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Skander Ben Attia (France Télévisions) : « nous serons plus agiles, plus efficients, plus économes »


France Télévisions est la plus importante société de l’audiovisuel public en France. Les IT support et broadcast sont en importante refonte. Skander Ben Attia, DTSI (par intérim) de France Télévisions, présente les évolutions en cours.

Skander Ben Attia est DTSI par intérim de France Télévisions. - © Républik IT / B.L.
Skander Ben Attia est DTSI par intérim de France Télévisions. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter France Télévisions ?

En dehors des filiales spécialisées, France Télévisions est une seule société qui possède quatre chaînes nationales, 24 chaînes régionales et 9 chaînes ultramarines (avec radios associées). En plus de ces programmes linéaires, nous sommes évidemment présents sur les réseaux sociaux, en ligne avec la plus importante plateforme de streaming française, France.TV, et la plateforme d’information continue FranceInfo.fr. Nous sommes également diffusés au travers des agrégateurs (box de FAI, Amazon Prime…).

Nos 8800 collaborateurs nous permettent de générer un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros.

Nous disposons de cinq studios et de régies pour réaliser en interne de nombreuses émissions (notamment tout ce qui relève de l’information) et d’une filiale France TV Studio. Pour certaines émissions, comme toutes les entreprises audiovisuelles, nous recourons à des prestataires externes.

Comment est organisée l’IT de France Télévisions ?

Un peu à part, il existe une direction du numérique en charge des produits numériques (apps pour smartphones, box, etc.) qui dispose de sa propre DSI.

Mais tout le SI « corporate » (fonctions supports : RH, finances, bureautique…) et le SI « broadcast » (métier, de la production à la diffusion) est dans une même direction, la direction des technologies et du système d’information (DTSI). La DTSI dispose de 300 collaborateurs.

Chaque collaborateur de l’entreprise utilise l’IT selon son métier. Nous avons des outils spécifiques à notre activité comme OpenMedia (pour consolider les sources de contenus et construire le conducteur de l’information), Dalet (système de fabrication des reportages), etc.

Un de nos grands défis des années passées a été la rationalisation de notre IT qui nous a amené à construire un SI commun à toutes les chaînes.

Un projet politique est de rapprocher Radio France et France Télévisions. Anticipez-vous certains sujets ?

Nous ne pouvons pas, bien sûr, savoir ce qu’il adviendra des choix politiques.

Mais nous travaillons déjà avec toutes les entreprises et établissements de l’audiovisuel public comme Radio France, l’INA, France Médias Monde… Par exemple, nous réalisons d’ores et déjà 120 millions d’euros d’achats mutualisés. Plus généralement, nous partageons nos problématiques au sein de notre communauté de l’audiovisuel public.

Quelles sont les grandes lignes de votre architecture ?

Nous avions des salles techniques (je n’ose dire « datacenters ») réparties dans tous nos sites mais qui montraient leurs limites. Nous avons réfléchi à construire un datacenter moderne mais louer s’est révélé plus pertinent. Nous recourons donc aux services de Data4 et de Thésée. Notre plan de migration est actuellement en cours. Ces datacenters sont plus efficients énergétiquement, plus sécurisés (y compris contre une crue centennale de la Seine…) et bien plus économes.

Pour les serveurs virtualisés avec des applications pour fonctions supports, c’est évidemment simple de migrer. Nous avons une bureautique Microsoft Office 365 et les logiciels des fonctions supports sont de plus en plus en SaaS (ERP Oracle, SAP Concur, etc.).

Par contre, pour migrer ce qui concerne le broadcast, nous avons mené simultanément une évolution technologique. La consolidation et la modernisation des outils n’est pas un simple remplacement d’outils obsolètes : il s’agit aussi d’accompagner les équipes et de faire évoluer les processus métiers.

La migration technique est pratiquement terminée. Nous sommes passés de flux vidéos points à points au standard SDI au transport sur IP à la norme ST-2110. Auparavant, il y avait deux réseaux, broadcast et bureautique. Désormais, tout le transport des flux vidéos utilise le réseau IP et des serveurs standards sans infrastructures physiques dédiées. Il existe malgré tout des réseaux virtuels ségrégés pour des questions de sécurité. Nous montons, en conséquence, de nouvelles régies au siège et en régions. Avec les nouvelles régies, il n’y a plus de serveurs dans des salles techniques sur place mais tout est dans notre cloud privé. Cela a impliqué aussi, au préalable, un renouvellement de nos infrastructures réseau avec le projet RHD (Réseau Haut-Débit), full IP et multi-redondé. La fin du projet d’évolution technique est prévue pour mars 2026.

Avec ces nouvelles technologies, nous serons plus agiles, plus efficients, plus économes.

Vous avez monté un partenariat particulier avec un autre hébergeur, Scaleway. Quels en sont les objectifs ?

Nous voulons développer une offre la plus adaptée possible à une entreprise audiovisuelle. Il s’agit de posséder une alternative complète « souveraine » aux offres comme celles d’AWS. Nous utilisons un peu d’hébergement chez Scaleway, en complément de Data4 et de Thésée, afin de diversifier nos consommations d’offres de cloud public. Par exemple, nous bénéficions de leur offre Kubernetes pour nos outils d’observabilité. D’ici 2026, notre socle Data y sera également migré. Nous envisageons de travailler avec l’éditeur spécialisé Ateme pour utiliser la puissance de calcul de Scaleway afin de réaliser de l’encodage et du réencodage vidéo.

Avec Scaleway, nous pouvons avoir une logique partenariale. Ce serait impossible avec AWS qui a juste un catalogue de produits.

L’IA est-elle un sujet pour vous et, si oui, pour quels cas d’usage ?

Cela fait plusieurs années que l’IA est un sujet pour nous !

Nous avons commencé par travailler sur la data : la data d’information journalistique, les métadonnées des programmes (pour leur indexation), les données sur la consommation des produits… Nous avons achevé nos travaux sur la gouvernance data.

Nous avons un certain nombre de cas d’usages IA à partir de ces données. Par exemple, nous recourons au Speech2Text dans les outils de montage. Ainsi, c’est plus simple et efficace pour trouver les bonnes séquences en vue du montage d’un reportage. Et l’indexation dans les archives est bien meilleure.

Un autre cas d’usage de l’IA est le sous-titrage en temps réel, c’est à dire sans décalage de temps entre le mouvement des lèvres et l’affichage, avec un coût bien plus faible qu’avec une méthode manuelle. Désormais, nous avons un vrai sous-titrage permanent sur France-Info. Dans le cadre de notre mission de service public, nous devons être inclusif, notamment pour les sourds et mal-entendants. Le problème du sous-titrage est que la tolérance aux erreurs est nulle. Nous devons donc mener un entraînement spécifique des IA. Aujourd’hui, nous estimons notre qualité suffisante.

Nous avons également créé la plateforme MedIAgen. Celle-ci permet un accès aux grands LLM dans un univers sécurisé pour éviter le shadow AI. Cette plateforme permet aussi de créer des assistants spécialisés, notamment pour du RAG : analyse de contrats, de documentation technique, etc.

Les prochaines étapes seront d’une part de continuer à accroître notre efficacité, d’autre part de développer la découvrabilité de nos offres. Si des spectateurs promptent au lieu d’utiliser Google, ils doivent trouver nos contenus sans perte de qualité. En tant que média de service public, nous devons proposer à chacun des offres de contenus adaptées en évitant la « bulle informationnelle » et en proposant des angles différents.

Pour terminer, quels sont vos grands projets et défis ?

Déjà, il faut terminer la transition du broadcast vers l’IP.

Comme tout le monde, nous avons un enjeu autour de la cybersécurité de l’IT que nous devons continuer de renforcer.

Nous devons également terminer la migration vers le Cloud.

Nous avons des objectifs ambitieux en matière de RSE et notamment d’empreinte environnementale. Nous sommes certifiés par l’Agence Lucie au niveau 1 et nous visons le niveau 2 au plus vite.

Enfin, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, nous a demandé, dans le cadre de sa stratégie, d’adopter le « Streaming First » au lieu de privilégier la diffusion linéaire comme auparavant. Il y a évidemment des implications éditoriales mais aussi techniques. Désormais, chaque programme doit être nativement fabriqué pour tous nos canaux.

Nous devons également baisser nos coûts pour obtenir des marges de manœuvre qui nous permettront, dans un contexte budgétaire difficile, d’investir sur le numérique.

Podcast - Comment France Télévisions se transforme pour gagner en agilité et efficience

France Télévisions est l’une des sociétés de l’audiovisuel public français. Ses nombreux canaux de diffusion bénéficient aujourd’hui d’un SI unique. Skander Ben Attia, DTSI par intérim de France Télévisions, explique ici le grand chantier du moment qui permet de rapprocher les deux IT, broadcast et fonctions support, pour plus d’agilité et d’efficience, transformation vécue par le secteur des télécoms il y a une vingtaine d’années. Au-delà de l’enjeu technique, il y a bien, également, un enjeu d’évolution des savoir-faire.