Décideurs it

Philippe Doublet (Edenred) : « rester agnostique permet de négocier avec les hyperscalers »


Edenred termine son plan stratégique Beyond et lance Amplify avec de réels impacts IT. Philippe Doublet, Group CIO d’Edenred, explique ses approches.

Philippe Doublet est Group CIO d’Edenred.  - © Républik IT / B.L.
Philippe Doublet est Group CIO d’Edenred. - © Républik IT / B.L.

Surtout connu pour l’historique Ticket Restaurant, que représente aujourd’hui Edenred ?

Edenred est aujourd’hui présent dans 44 pays et nous proposons 250 solutions de paiement fléché comme le Ticket Restaurant en France. Nous sommes des spécialistes des moyens de paiement fléchés, c’est à dire avec un usage prévu et trois parties prenantes. La première est notre client (entreprise ou administration) qui va acheter le moyen de paiement. La deuxième est le bénéficiaire, utilisateur du moyen de paiement. Et ce moyen de paiement va être utilisé auprès d’un marchand, la troisième partie prenante.

Nous nous diversifions vers des plateformes digitales apportant des services complémentaires au paiement. Nous avons ainsi racheté Reward Gateway et Go Integro, deux plateformes proposant des solutions pouvant contribuer à la rétention des collaborateurs.

Nos 12 000 collaborateurs nous permettent de générer aujourd’hui un chiffre d’affaires de trois milliards d’euros.

Nous avons trois lignes de business : les « avantages aux salariés », l’activité historique présente dans 31 pays, la gestion de flottes de véhicules et des services connexes (cartes carburant ou de recharge électrique, maintenance, péage, etc.) et enfin les « solutions de paiement et nouveaux marchés » pour offrir des services complémentaires (par exemple des moyens de paiement pour travailleurs non bancarisés à Dubai).

Comment est organisée votre IT ?

Nos produits sont par nature technologiques. 90 % de nos investissements vont au développement de solutions digitales.

Au niveau groupe, nous avons des équipes dédiées au SI interne (ERP, CRM…) et au développement de briques techniques transverses (par exemple la gestion d’identité) utilisées dans l’ensemble de nos plateformes digitales métier, un responsable architecture, un responsable cybersécurité, un responsable infrastructure, avec, pour chacun, des équipes dans le monde entier. Par ligne de produits, nous avons un CIO à qui est rattaché un CIO par pays pour sa ligne de produits. Au sein de la ligne de produits, nous gérons le développement de plateformes stratégiques utilisant les briques techniques transverses et destinées à être déployées progressivement dans tous les pays pour remplacer les anciens systèmes. Historiquement, nous étions très décentralisés et cette approche par plateformes stratégiques est en soi une révolution.

Quelles sont les grandes lignes de votre architecture ?

Pour commencer, nous avons des infrastructures avec une très forte empreinte Cloud public. Nous utilisons AWS et Azure. Nous avons une approche Cloud First. Un nouveau composant de SI sera toujours prévu pour être en mode serverless sur Cloud. Le Legacy est migré soit en lift & shift, soit en replatforming seulement s’il y a un intérêt business à le faire. Par exemple, au Brésil, nous avions des datacenters susceptibles d’être inondés. Nous avons préféré tout migrer dans le Cloud. Actuellement, environ 80 % de notre SI est dans le Cloud. D’ici cinq ans, ça sera sans doute 100 %.

Ensuite, nous avons un avantage compétitif certain lié à notre propre SI d’émission de titres de paiement et de gestion des transactions (notamment la gestion des autorisations de paiement). Beaucoup d’innovations sont en effet liées à cette gestion des transactions. Par exemple, nous pouvons associer dans un wallet et un service un de nos titres et une carte bancaire ordinaire pour associer en une seule opération de paiement un décaissement fléché et un décaissement ordinaire. Prenons un exemple : en France, les titres comme le Ticket Restaurant sont limités réglementairement à 25 euros par jour. Si vous allez dans un restaurant et que votre addition est de 30 euros, vous paierez 25 euros en Ticket Restaurant et 5 sur votre carte bancaire en une seule opération.

Point important, comme je l’ai dit, nous avons ensuite des composants « sur étagère » (gestion des identités, wallet manager…). Notre objectif est d’avoir de plus en plus de tels composants pour éviter de réinventer la roue à chaque développement de plateforme dans une ligne de produit.

Nous avons évidemment des plateformes métiers, par exemple les frontaux pour les bénéficiaires, les marchands, etc.

Enfin, nous avons les outils des fonctions support comme notre ERP Oracle Business Suite, notre SIRH Workday… autant que possible en SaaS.

Vous achevez votre plan stratégique Beyond (2023-2025). Quels en sont le bilan et les perspectives, notamment au niveau IT ?

Le plan stratégique Beyond se termine en effet fin décembre. Notre nouveau plan stratégique s’appelle Amplify et couvre les trois prochaines années, de 2026 à 2028.

L’idée derrière Beyond était, comme son nom l’indique, d’aller « au-delà » de notre business. Nous avions un objectif de gain de 12 % en EBITDA par an et nous avons réalisé +21 %. C’est donc un plein succès. Aujourd’hui, 40 % de notre business se fait au-delà de nos métiers historiques (titre-restaurant et carte carburant), notamment grâce à de la croissance externe.

Avec Amplify, nous visons une croissance intrinsèque moyenne de l’EBITDA de 8 à 12 % par an sur trois ans.

Nous avons une base de clientèle d’un million de clients et 60 millions d’utilisateurs. Nous avons bien sûr à la faire grossir, notamment en allant à la conquête des PME, c’est le volet « Attract » de notre plan. Avec « Enrich » nous souhaitons accélérer l’up-selling et le cross-selling pour augmenter le nombre moyen de solutions utilisées par un client. C’est avec « Activate » que vient la rupture. Notre modèle actuel est B2B2C, nous allons aller chercher le C, aller vendre des services à l’utilisateur final, mais aussi développer nos offres de services aux marchands. Un nouvel indicateur clé de performance (KPI) sera l’ARPU (revenu moyen par utilisateur).

Edenred a annoncé un objectif de neutralité carbone. Qu’est-ce que cela signifie pour l’IT ?

La contribution de l’IT repose en particulier sur la gestion des terminaux, PCs et smartphones. Nous avons décidé d’étendre leur durée de vie à quatre ans au moins.

Concernant le Cloud, les gains sont avant tout des gains en électricité et en eau. Nous les gérons au travers de l’approche FinOps. Nous travaillons aussi sur la localisation des datacenters : il est ainsi préférable de placer un datacenter en France où l’électricité est nucléaire plutôt qu’en Allemagne.

Notre responsabilité sociétale et environnementale ne se limite d’ailleurs pas à l’empreinte carbone. Nous avons lancé un chantier sur l’accessibilité. Nous avons 1200 fronts à vérifier et le cas échéant traiter !

Malgré ces objectifs, vous avez, comme la plupart des entreprises, un plan d’usage de l’IA/IAG. Pouvez-vous le présenter ?

Vis-à-vis de l’interne, nous visons d’abord à la productivité personnelle. Nous avons donc créé EdenChat, une implémentation privée de plusieurs LLM (Mistral, ChatGPT 4…). Il réalise du RAG sur nos documents Microsoft Office 365 et, à terme, sur d’autres sources documentaires, comme Atlassian pour les équipes techniques. EdenChat est aujourd’hui défini comme étant un produit. Nous regardons Microsoft Copilot avec prudence : il est cher et nous devons comprendre pour quels cas d’usage et pour quelle population il peut créer de la valeur.

Nous visons également la productivité métier, y compris dans le développement logiciel. Nous menons de front une approche incrémentale visant à améliorer les processus existant via l’usage du RPA et de l’agentique et une approche transformationnelle dont l’objectif est de nous affranchir des processus Legacy pour repenser des processus entièrement nouveaux associant agents IA et humains.

En externe, nous cherchons à personnaliser l’expérience clients et à proposer des outils additionnels et personnalisés, en commençant par des agents conversationnels.

Nous avons de réelles ambitions sur l’IA et sa base, la data. Nos investissements vont être multipliés par six en trois ans !

Mais comment conciliez-vous vos ambitions RSE et vos ambitions IA ?

Comme tout le monde, nous allons apprendre en marchant. La problématique RSE est très liée à la problématique financière (coût de l’électricité…) et nous allons beaucoup renforcer le FinOps avec l’avènement de l’IA pour contrôler les consommations du Cloud, tant au niveau du storage que du compute.

Nous voulons aussi éviter de trop nous lier avec des fournisseurs qui ne sont, pour l’instant, pas très chers mais ça pourrait changer.

Avec votre stratégie Cloud, comment gérez-vous la maîtrise de votre IT face, notamment, aux défis géopolitiques ?

Actuellement, nous avons deux hyperscalers, AWS et Microsoft Azure. Mais nous veillons sans cesse à être les plus agnostiques possibles de manière à pouvoir déplacer aisément nos œufs d’un panier dans un autre. Pour gérer nos données, nous utilisons ainsi Databricks qui est agnostique. Rester agnostique permet de négocier avec les hyperscalers et, le cas échéant, de migrer. A date, nous avons encore du du mal à envisager des acteurs purement européens car nos plateformes digitales sont mondiales et nécessitent une présence dans chaque continent, pour des raisons de performance et de localisation des données. Mais nous restons en alerte sur ce sujet et menons des discussions

Quand c’est possible, nous relançons des appels d’offres pour les SaaS. Quand le SaaS est très lié au métier (par exemple Salesforce), nous cherchons à travailler en partenariat avec l’éditeur et cela fonctionne plutôt bien, avec parfois du co-investissement sur les sujets d’innovation.

Quand Microsoft a décidé d’augmenter ses tarifs, nous avons fait le choix du « pas un centime de plus ». Nous avons ainsi transformé une partie des licences E3 en E1. Côté Atlassian, nous avons réduit le nombre de licences. Dans les deux cas le montant total dépensé en Euros est resté stable.

La Facturation Electronique Obligatoire représente-t-elle une difficulté pour vous ?

Le projet est cadré et lancé. Nous avons choisi Generix comme partenaire groupe. En 2026, nous déployons la Pologne, la Belgique puis la France.

En Italie et au Mexique, où cette obligation existe déjà, nous avons des plateformes locales installées pour traiter cette réforme localement. A terme, elles seront migrées vers notre solution groupe.

En préparant le projet, nous avons rencontré des difficultés inattendues. Ainsi, par exemple, il est parfois interdit, dans certains pays, de comptabiliser la facture tant qu’elle n’a pas été émise électroniquement. La connexion avec l’ERP n’est donc pas forcément la bonne solution.

Certes, c’est un projet essentiellement réglementaire à priori peu porteur de valeur business. Mais, à terme, je suis persuadé qu’il y aura un important gain de productivité des équipes en particulier pour la comptabilité fournisseurs.

Chez nous, le projet est bien copiloté par un binôme CIO/CFO comme tous les projets touchant à la finance.

Pour terminer, quels sont vos défis pour les mois à venir ?

Réussir le plan Amplify, bien sûr ! Chaque pilier va solliciter la technique, des solutions de marketing automation à la personnalisation de l’expérience grâces à l’IA en passant par les sujets de compliance concernant la donnée.

Nous avons une obligation d’excellence opérationnelle sur chacun de nos systèmes. Or nos partenaires ne sont pas toujours parfaits. Il y a eu, par exemple, d’importantes pannes chez AWS et Azure qui ont entraîné des indisponibilités de nos propres services.

Bien entendu, la cybersécurité reste un défi constant, où il faut toujours rester humble, même si je pense que nous sommes bien organisés et outillés.

Nous avons évidemment de gros enjeux en matière de data et d’IA.

Et puis nous avons la bascule de la logique de décentralisation vers la convergence. Il y a quinze ans, quand on sortait une plateforme digitale, nous digitalisions le papier. Aujourd’hui, nos dix plateformes stratégiques groupe concentrent de plus en plus les investissements.

Podcast - L’impact du plan stratégique Amplify sur l’IT d’Edenred

Edenred est le spécialiste des moyens de paiement en « argent fléché » avec des organisations clientes, des bénéficiaires utilisateurs et des marchands. Le plan stratégique Amplify (2026-2028) va entrainer un certain nombre d’évolutions chez Edenred. Philippe Doublet, Group CIO, en explique les impacts IT.