Sébastien Rousset (Naval Group) : « nous avions besoin de fédérer nos initiatives IA »
Le spécialiste du naval de défense Naval Group a nommé un directeur IA, Sébastien Rousset. Celui-ci explique son rôle et ses approches.

Pouvez-vous nous présenter Naval Group ?
Naval Group est un acteur international du naval de défense : bâtiments de surface, sous-marins, drones marins, centres à terre… Nous sommes l’un des rares acteurs mondiaux à maîtriser l’ensemble du cycle de vie des navires : conception, fabrication, entretien / maintien en conditions opérationnelles, modernisation et démantèlement. Et, bien sûr, nous innovons sur tout ce cycle de vie.
Naval Group compte 17 000 collaborateurs dans 400 métiers sur 10 sites en France. Mais nous sommes présents dans 17 pays. Nous sommes une société de droit privé dont l’État est actionnaire à 62,25 % au côté de Thales. Nous réalisons un chiffre d’affaires de 4,4 milliards d’euros.
Comment sont organisées vos fonctions IT/Data ?
Personnellement, je suis rattaché au Directeur Technique mais avec un mandat sur l’ensemble du groupe, donc à la fois sur les données d’ingénierie, les données d’exploitation opérationnelle, etc.
La DTSI de l’entreprise est très centrale mais sur une autre ligne hiérarchique, dans la Direction de la Performance.
Les systèmes embarqués d’une part, le SI d’entreprise d’autre part, forment en effet deux pôles distincts. Mais, mon rôle étant transverse, j’interagis avec les deux. En effet, la conduite de plateformes techniques comme la conduite de combat peuvent, par exemple, tirer des bénéfices de l’IA.
Retrouvez Sébastien Rousset à la Nuit de la Data et de l’IA
Sébastien Rousset est membre du jury des Trophées de la Nuit de la Data et de l’IA. Il va donc assister aux présentations des candidats le 22 janvier 2026 et interviendra à la cérémonie le 9 février 2026 au Théâtre Mogador à Paris.
Quel est l’historique de l’IA chez Naval Group ?
L’histoire de l’IA chez Naval Group est déjà longue. Tout d’abord l’intelligence artificielle concerne quatre grands domaines techniques : l’IA d’apprentissage (machine learning, deep learning), l’IA générative et la gestion des connaissances, la recherche opérationnelle et les systèmes multi-agents. Dès la fin des années 90 nous avons déployé sur nos systèmes numériques des IA dites déterministes reposant sur la recherche opérationnelle ou la fusion de données, notamment l’aide à l’évaluation de la menace et l’optimisation tactique.
Au début des années 2010, il y a eu une rupture avec l’émergence du Big Data, et ainsi la capacité de concevoir des IA d’apprentissage pour la simulation, les jumeaux numériques et la maintenance prédictive en particulier.
Pourquoi Naval Group a-t-il créé le poste de directeur IA début 2024 ?
Nous avons fait le constat qu’il y avait un foisonnement des initiatives. Nous avions besoin de les fédérer, d’harmoniser les méthodologies ainsi que de mutualiser les expériences et les outils techniques. Et comme nous opérons dans la défense, nous avions aussi besoin de disposer d’une IA de confiance.
Mon rôle est d’être l’interlocuteur de toutes les directions pour identifier les cas d’usage porteurs de valeur.
Nous focalisons les investissements sur ceux-ci et nous orientons ainsi la recherche supportée par Naval Group.
Quels sont vos grands projets actuels en matière d’IA ?
Nous avons deux axes principaux.
Le premier concerne les gains de productivité et d’efficacité internes. Les cas d’usage peuvent concerner les process d’ingénierie (par exemple : optimisation des implantations de réseaux fluides et électriques) ou de l’IAG de synthèse ou de traduction pour de la production documentaire. Nous travaillons dans la défense et nous avons donc un besoin impératif et absolu de maîtriser la solution et les données. Tous nos outils d’IA sont donc totalement déconnectés d’Internet et hébergés sur nos propres infrastructures, même si nous utilisons des modèles de tiers.
Le deuxième axe vise à apporter de la valeur ajoutée dans nos bâtiments, notamment par l’aide à la décision. L’IA peut être utilisée pour l’optimisation énergétique afin d’accroître la disponibilité opérationnelle. Elle peut aussi piloter la maintenance préventive, là aussi pour accroître la disponibilité. En opération, l’IA peut améliorer l’identification des menaces et optimiser les contre-mesures.
En raison des choix éthiques des doctrines militaires, les drones ont une autonomie décisionnelle contrôlée : l’être humain est toujours dans la boucle de décision. L’IA est donc là aussi une aide à la décision. Mais c’est bien un choix éthique, pas une limite technique.
Quels sont vos défis à relever dans les mois et années à venir ?
J’en vois trois technologiques et un plus éthique voire philosophique.
Tout d’abord, comme chacun sait, il n’y a pas d’IA sans data. Or nous n’avons pas la même quantité de données que Google ou qu’une banque. Nous devons donc bien entraîner nos IA tout en ayant une nette frugalité en data.
La frugalité doit aussi être énergétique. Que ce soit pour un drone ou même pour un navire (y compris un porte-avion), l’énergie est toujours comptée. Il faut donc optimiser son usage.
Nous devons également toujours prendre en compte que les données que nous utilisons sont hautement sensibles. Nous avons donc l’obligation d’être toujours extrêmement vigilants.
Enfin, le défi majeur n’est pas de concevoir la meilleure IA, mais d’atteindre la performance optimale du système humain / IA (ou système autonome) et cela implique les notions de résilience, explicabilité, de souveraineté, de responsabilité et surtout de confiance.