Emmanuel Sardet (Cigref) : « nous voulons transformer notre intelligence collective en influence »
Comme tous les ans, le Cigref a réuni son Assemblée Générale le 15 octobre 2025. La partie publique a permis de revenir sur les grandes préoccupations actuelles des entreprises en matière de numérique. Anne Le Henanff, la nouvelle ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, y a fait une première sortie publique remarquée.

« Les nouvelles frontières de la compétitivité numérique » : tel était le thème de la soirée publique associée à l’Assemblée Générale annuelle du Cigref, le 15 octobre 2025 au Pavillon Gabriel. Cette soirée se faisait en présence de représentants des associations homologues du Cigref en Allemagne et au Maroc. Comme chaque année, cette partie publique de l’assemblée générale est surtout l’occasion de présenter les travaux de l’association numérique des grandes entreprises et administrations françaises ainsi que les orientations voulues par les adhérents.
Pour les entreprises et leurs DSI, « les termes de l’équation se sont modifiés » a ainsi relevé Emmanuel Sardet, président du Cigref, en ouvrant la soirée. L’ancienne logique de faire « au plus vite, au moindre coût » est aujourd’hui dépassée. Il faut en effet, désormais, « innover sous contraintes » : budget, bien sûr, mais aussi contraintes géopolitiques, juridiques, etc. Si cela implique de muscler sérieusement la gouvernance numérique des entreprises, c’est aussi l’heure de la « résilience offensive », c’est à dire le moment de retrouver la capacité à décider et à agir en assurant la survie et la croissance des organisations. Selon les mots de son président, le Cigref doit « transformer notre intelligence collective en influence » pour mieux défendre les intérêts des entreprises.
Retrouvez Emmanuel Sardet au Disruptiv’Summit
Emmanuel Sardet représentera le Cigref sur les Assises des Souverainetés au Disruptiv’Summit qui se déroulera les 9 & 10 décembre 2025 à l’Hôtel Le Royal Deauville. Les ateliers de cet événement visent précisément à développer l’intelligence collective.
Une ministre et un sénateur
Côté institutionnels invités, le Cigref a accueilli le sénateur Damien Michallet, président de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes (CSNP) et, pour sa première expression publique, la nouvelle ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, Anne Le Henanff. Celle-ci était, il y a quelques jours encore, en tant que députée, vice-présidente de la CSNP qui accueille sept députés, sept sénateurs et trois personnalités qualifiées (dont Henri d’Agrain, délégué général du Cigref). Le sénateur a pu se réjouir de la nomination de la nouvelle ministre, bien sûr parce qu’il la connaît bien, mais surtout parce que l’ensemble des sujets numériques lui échoit, y compris les infrastructures, sujet qui avait migré auparavant au Ministère de l’Industrie.
Damien Michallet n’a pas apporté de révolution mais fait quelques rappels utiles comme le fait que la sécurité informatique est un levier de croissance, de performance et de résilience pour les entreprises. L’IA et le quantique constituent, de même, des évidences pour assurer la place de la France dans le monde de demain sous réserve de savoir assurer l’équilibre de la balance innovation/responsabilité. La CSNP a cependant mentionné trois axes de vigilance pour l’IA : la souveraineté et les dépendances à des acteurs extra-européens, les ressources humaines (et les talents, avec le besoin d’un plan massif de formation) et l’acceptabilité sociale (avec la nécessite d’un dialogue social pour garantir des usages responsables sans facteur de menaces, notamment pour l’emploi). La CNSP a lancé des travaux sur le déploiement de l’IA responsable dans les entreprises. Le sénateur a d’ailleurs lancé un appel à contributions, concluant sur « le numérique, c’est un sujet politique ».
Appel à agir en faveur de la souveraineté
Pour sa première intervention publique, il ne fallait pas attendre non plus une révolution de la part d’Anne Le Henanff. Sans surprise, elle se place dans les pas de sa prédécesseuse Clara Chappaz en s’engageant à poursuivre les initiatives déjà annoncées, notamment en faveur de l’IA. Les intérêts de l’IA sont désormais bien connus et démontrés mais, pour elle, « l’enjeu n’est plus de démontrer mais de déployer ». L’IA est à la mode mais il y a des sujets moins sympathiques que la ministre a tout de même abordés, à commencer par le problème des dépendances technologiques, en particulier en faveur d’entreprises extra-européennes. Elle compte déjà sur l’Observatoire de la souveraineté numérique, réalisé par le Commissariat au Plan, pour mieux appréhender la situation. Bien sûr, seuls les clouds immunes vis-à-vis des lois extraterritoriales demeurent acceptables. Enfin, la loi Résilience, qui transcrit la directive NIS2, va apporter le bon niveau de protection tant aux citoyens qu’aux entreprises. Elle a insisté : « une économie puissante ne peut que se construire sur des infrastructures de confiance ».

Certes, cela implique d’accroître les infrastructures nationales et la ministre entend faciliter cela, en particulier les datacenters. Le sujet de la migration du cuivre vers la fibre optique sera important dans les années à venir, avec d’éventuels impacts économiques sur les ménages les plus modestes qu’il conviendrait alors d’accompagner. Pour terminer, la ministre a salué le rôle essentiel du Cigref. Malgré tout, elle a émis trois demandes aux grandes entreprises constituant l’association. Tout d’abord, le moins engageant, il s’agit que les entreprises participent aux travaux du Haut Commissariat au Plan sur les dépendances. Moins simple, sans doute, est-il de satisfaire les deux autres demandes : soutenir les offres françaises et s’engager dans les technologies d’avenir (quantique par exemple).
Public, privé : un même besoin de résilience
Après les institutionnels, la soirée a accueilli des intervenants pour présenter les résultats des réflexions menées au sein du Cigref. Alice Guehennec, Group Chief Tech Data, Digital & Innovation Officer de Sodexo, s’est ainsi entretenue avec Amélie Verdier, DG des Finances Publiques, autour de la résilience numérique et de la manière de piloter l’incertitude pour créer de la performance et de la compétitivité. Dans le secteur public, il y a un devoir absolu de continuité de l’action de l’État, tandis que, dans le secteur privé, il s’agit bien de préserver la performance économique. La question de la souveraineté et des dépendances technologiques a évidemment été de nouveau évoquée. « On en sait pas comment en être indemne mais il s’agit de les maîtriser » a admis Amélie Verdier. De son côté, Alice Guehennec a rappelé que la question, pour une multinationale, se pose plutôt au pluriel : chaque pays a la sienne.
Retrouvez la thématique de la souveraineté au Disruptiv’Summit
Les Assises des Souverainetés se tiendront au cours du Disruptiv’Summit qui se déroulera les 9 & 10 décembre 2025 à l’Hôtel Le Royal Deauville.
Livrable habituel du Cigref pour son assemblée générale annuelle, le Rapport d’Orientation Stratégique (ROS) a été présenté par Sandrine Racouchot, DSI d’Abeille Assurances, et Yves Bernaert, PDG de 1001Fontaines. Le ROS vise à prendre aujourd’hui les bonnes décisions pour réussir dans dix ans. Il s’agit notamment de s’outiller pour évaluer les risques et bien les anticiper. Dans l’édition 2025, une première partie réalise une analyse prospective autour d’un certain nombre de tendances regroupées par champs (géopolitique, économie, technologies…). Quatre archétypes de la fonction numérique du futur, évidemment caricaturaux, sont ensuite présentées : le laboratoire, le caméléon, l’équipe responsable et le « système DSI ». Enfin, dix principes d’action concluent le ROS. Yves Bernaert a conclu la présentation avec un aphorisme qui est un bon résumé : « la Tech n’est plus au service du business, la Tech est le business. »

Un avenir pas toujours peint en rose
Après une séquence de coupure avec la navigatrice Sasha Lanièce, Vincent Strubel, DG de l’ANSSI, est venu, de son propre aveu, « casser l’ambiance ». Il est vrai qu’affirmer que « le pire n’est pas encore arrivé mais il faut le préparer » n’est guère festif. Le message, là encore, n’était guère original : les cyber-menaces s’intensifient, se complexifient… La résilience devient de ce fait un avantage compétitif. Le pire est la multiplications des « menaces hybrides » associant désinformation, sabotage et cybermenace. Comme il est impossible d’avoir une réunion sans parler d’IA, Yves Caseau, CDIO du groupe Michelin, et Etienne Grass, Global Chief AI Officer de Capgemini Invent, ont fait un état des lieux du sujet. Si les coûts se sont effondrés, les usages restent finalement basiques avec une forte domination du RAG et un peu d’agentique. RAG, assistance à la génération de code et back-office automation sont les trois grands cas d’usage. Les agents ne sont pertinents que si les process en sont imprégnés dans les détails très terrain. En rupture avec l’habituelle « arrêtez les démonstrateurs, déployez à l’échelle », Etienne Grass a voulu souligner la nécessité de garder un espace d’exploration et d’expérimentation.
Pour terminer la partie publique de l’assemblée générale, le président du Cigref, Emmanuel Sardet, est, lui, venu rappeler que l’heure n’était plus à réaliser des constats mais bien à agir. Quatre grands principes ont ainsi été mis en avant. Tout d’abord, il faut résoudre l’injonction contradictoire entre, d’un côté, le besoin de sobriété et, de l’autre, mener l’accélération technologique qu’il faut comprendre. Ensuite, il faut abandonner la dépendance subie au profit d’une autonomie stratégique : maîtriser les risques grâce à une stratégie en refusant l’autarcie. En matière de résilience, il faut qu’elle soit choisie, offensive et non plus seulement défensive, et socle de la croissance. Enfin, le Cigref poursuit son travail avec les instances européennes. Il y insiste notamment pour que les fournisseurs soient responsables de la conformité réglementaire de leurs produits et services.