Solutions
&
techno

Le Sénat veut fiabiliser le déploiement du Très Haut Débit

Par Bertrand Lemaire | Le | Infrastructure & service

35 milliards investis dans le Très Haut Débit (THD) et beaucoup de plaintes d’usagers : les sénateurs veulent mettre de l’ordre dans le déploiement de la fibre, clé du télétravail et du développement du numérique partout sur le territoire national et dans toutes les entreprises.

De gauche à droite, les sénateurs Patrick Chaize,  Patricia Demas et Jean-François Longeot. - © Républik IT / B.L.
De gauche à droite, les sénateurs Patrick Chaize, Patricia Demas et Jean-François Longeot. - © Républik IT / B.L.

Le Plan Très Haut-Débit (THD) correspond à un investissement public de 35 milliards d’euros. Il vise au remplacement du réseau cuivre traditionnel par un réseau fibre optique. Les enjeux sont considérables à tous niveaux. Il est notamment essentiel pour le télétravail (y compris en zones rurales), l’accès à l’administration et aux procédures dématérialisées, le développement numérique des entreprises (notamment des établissements en zones rurales ou péri-urbaines comme des usines)… Le déploiement général de la fibre a aussi pour objet de réduire la fracture numérique géographique en dotant l’ensemble du territoire d’un accès Internet correct, même loin des répartiteurs (grosse faiblesse de l’ADSL). Or la fiabilité de ce déploiement est loin d’être, elle, à la hauteur. De nombreux dysfonctionnements ont été constatés, en particulier le plus agaçant, à savoir le « débranchement » d’un abonné pour qu’un autre soit connecté avec des délais de résolution de l’incident pouvant dépasser le raisonnable (parfois plusieurs semaines). Le décommissionnement du réseau cuivre (donc de l’ADSL) à partir de 2025 rend la résolution de ces problèmes urgente. A l’initiative du sénateur Patrick Chaize, une proposition de loi « visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique » vient d’être adoptée à l’unanimité par le Sénat malgré l’opposition du gouvernement et des opérateurs télécoms.

Les sénateurs Patrick Chaize, Patricia Demas et Jean-François Longeot ont présenté à la presse, le 4 mai 2023, la proposition avant qu’elle ne soit transmise à l’Assemblée Nationale. Un vote de ce texte par cette chambre est attendu pour l’automne 2023. Le sénateur Patrick Chaize, élu de l’Ain et membre du groupe Les Républicains, est vice-président de la commission des Affaires Economiques et président du groupe d’études Numérique du Sénat. Rapporteure du texte, Patricia Demas, également du groupe Les Républicains, est membre de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Président de cette dernière commission, qui a piloté l’étude du texte, Jean-François Longeot est, lui, membre de l’Union Centriste. Ce dernier a insisté sur la qualité du travail transpartisan réalisé ayant abouti à cette adoption unanime au Sénat pour répondre à un problème grave constaté par tous et nuisant au développement du numérique en France.

Un constat unanime, des diagnostics différenciés

Pour comprendre les mesures proposées, il est nécessaire de revenir en arrière sur la situation actuelle. Deux types d’acteurs agissent sur l’infrastructure : l’opérateur d’infrastructure (OI, propriétaire ou responsable du réseau) et l’opérateur commercial (OC, le prestataire assurant le service s’appuyant sur l’infrastructure). Lorsqu’un client demande un raccordement à un OC, c’est celui-ci qui va, normalement et depuis 2015, s’occuper de connecter la fibre reliant le client et l’infrastructure cœur de réseau. L’OI sous-traite donc une opération sur son infrastructure à l’OC. C’est ce qui s’appelle le mode STOC (Sous-traitance opérateur commercial). Cependant, l’ARCEP a posé une condition à cette délégation : le respect des règles de l’art. Or, au moins depuis 2018, l’accélération du déploiement de la fibre a entraîné de graves dysfonctionnements. La cascade de sous-traitance des OC confiant les interventions à des sociétés nationales qui, elles-mêmes sous-traitent à des acteurs locaux, finit par nuire à la qualité des prestations. D’où les déconnexions sauvages. La sénatrice Patricia Demas a rappelé que l’ARCEP a réalisé un examen d’un échantillon de 840 armoires et que la moitié n’étaient pas conforme aux règles de l’art.

L’AVICCA (Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l’Audiovisuel), dont le président est Patrick Chaize, a exprimé à plusieurs reprises son mécontentement. Or l’ARCEP ne dispose pas de statistiques sur les incidents courants : seuls les dysfonctionnements de l’infrastructure sont remontés. De ce fait, les multiples problèmes rencontrés au quotidien par les clients des opérateurs n’apparaissent pas. Et le ministre Jean-Noël Barrot peut donc épouser la thèse des opérateurs : les problèmes sont marginaux, liés à quelques situations atypiques… « Si l’on fait le travail bien dès la première fois, cela coûte moins cher que d’y revenir encore et encore, les opérateurs devraient donc approuver nos mesures » plaide Patrick Chaize. Mais les mesures proposées vont surtout mettre en lumière les dysfonctionnements, notamment grâce au « guichet unique » destiné aux abonnés. C’est peut-être cette mise en lumière que les opérateurs redoutent. Un deuxième point a été soulevé par les trois sénateurs : les interventions des OC peuvent être subventionnées jusqu’à 500 euros l’unité mais les sous-traitants intervenant effectivement ne recevoir que le dixième de cette somme. Reste à savoir où passe la différence. Là encore, la transparence voulue par les sénateurs peut sans doute irriter certains acteurs.

Des mesures fortes et contraignantes

Le mode STOC était issu de négociations entre opérateurs sous l’égide de l’ARCEP. La proposition du Sénat l’intègre à la Loi et le réglemente. Par principe, l’OC effectuera le raccordement sous réserve de respecter les règles de l’art. Au cas où l’OC ne peut pas réaliser cette intervention, c’est l’OI qui devra l’effectuer. Ce mode STOC étant la source de tous les maux, pourquoi le pérenniser ? Patrick Chaize a expliqué ce choix : « Certes, l’OI prend mieux soin de son réseau que des OC, exactement comme un véhicule partagé est moins propre qu’un véhicule personnel, mais la dynamique de déploiement est très forte avec 15 000 connexions par jour. S’appuyer sur les OC a donc du sens. Mais l’exception que nous avons introduite (article 3) sur les zones dites fibrées fait que, lorsque le déploiement industriel sera terminé, c’est bien l’OI qui reprendra la main pour des interventions ponctuelles.  » Les zones dites fibrées sont celles où le déploiement est terminé et le décommissionnement du réseau cuivre prévue dans les dix-huit mois. Ce serait, dans ce cas, ruineux pour les OC de multiplier des interventions rares et dispersées sur tout le territoire.

La principale innovation apportée par le texte est l’obligation de l’intervenant final de remettre à l’abonné un certificat de conformité aux règles de l’art, formalisées dans le cahier des charges et dans le cadre d’un contrat validés par l’ARCEP et opposables par les usagers. Pour les interventions sur les réseaux d’initiative publique (RIP), la remise de ce certificat sera un préalable à tout paiement. Les abonnés voient leurs droits renforcés en cas de coupure d’accès : suspension du paiement, indemnisation puis résiliation sans frais (même avec une période d’engagement restant à courir). L’ARCEP voit ses pouvoirs de contrôle et de sanction renforcés, des indicateurs de qualité de service étant formalisés et des astreintes jusqu’à 100 000 euros par jour de retard pour une mise en conformité étant prévues. Enfin, le « c’est pas moi, c’est lui » ne sera plus possible : chaque OI devra mettre en place un « guichet unique » pour traiter les incidents touchant les utilisateurs de ses infrastructures, incidents qu’il devra, le cas échéant, prendre en charge.


En savoir plus

- Petite loi adoptée par le Sénat et transmise à l’Assemblée Nationale « visant à assurer la qualité et la pérennité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ».