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Pascal Martinez (AG2R La Mondiale) : « recentrer sur le client supposait d’unifier les visions »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

La transformation d’AG2R La Mondiale a impliqué une unification des différents SI comme le raconte Pascal Martinez, membre du comité de direction groupe en charge des SI, du digital et de la data.

Pascal Martinez est membre du comité de direction groupe en charge des SI, du digital et de la data. - © Républik IT / B.L.
Pascal Martinez est membre du comité de direction groupe en charge des SI, du digital et de la data. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter AG2R La Mondiale ?

Spécialiste de la protection sociale et patrimoniale en France, AG2R La Mondiale assure les particuliers, les entreprises et les branches, pour protéger la santé, sécuriser le patrimoine et les revenus, prémunir contre les accidents de la vie et préparer la retraite.

Notre groupe est doté d’une gouvernance paritaire et mutualiste.

Nous avons par conséquent deux types de clients : les particuliers (contrats individuels) et les entreprises (contrats collectifs). Nous distribuons nos produits soit directement, soit par du courtage, soit par des partenaires distributeurs soit dans le cadre de partenariats comme la retraite supplémentaire collective sous la marque Arial CNP-Assurances.

De ce fait, définir réellement qui est notre client et combien nous en avons n’est pas si simple chez nous entre les bénéficiaires de contrats collectifs, les entreprises, les particuliers ayant souscrit des contrats individuels… Toutes activités confondues, nous protégeons quinze millions de personnes. Chaque personne physique protégée doit être identifiée sans doublon pour que nous puissions, par exemple, émettre les attestations fiscales uniques. Nous nous efforçons, de plus, de permettre à chaque personne d’accéder à tous les contrats la concernant (individuels ou collectifs) sur une même page de notre espace client.

AG2R La Mondiale est le fruit de nombreux rapprochements successifs, notre informatique s’est donc construite avec le Groupe. Nous souhaitions donc réconcilier les données et qualifier les demandes entrantes des clients car, historiquement, les SI étaient silotés de haut en bas et, même s’il y a depuis longtemps un seul système comptable nous avionspar exemple, une quinzaine de CRM !

Une des conséquences principales était que nous exposions notre complexité organisationnelle et informatique aux clients. Il était indispensable que cela change, évidemment, d’autant que la majorité des contacts entrant concernait une demande d’information sur l’avancement d’un dossier en cours. Il fallait remettre le client au centre et cela impliquait une remise à plat du traitement des demandes le concernant.

Avant d’entrer dans le détail de votre refonte, comment est organisée votre direction ?

Je suis membre du comité de direction groupe en charge des SI, du digital et de la data. A ce titre, j’ai notamment le rôle de CIO. Me sont directement rattachés un CTO, un adjoint au Digital et au CRM et un adjoint en charge des assurances et du support.

Sur la transformation du groupe, je travaille avec un directeur général adjoint pour la partie organisation. Refondre les processus et l’IT les supportant doit bien sûr aller ensemble.

Où en êtes-vous de votre refonte et quelle est votre architecture aujourd’hui ?

Nous aurons un seul CRM pour l’ensemble des marchés en fin d’année 2024. Pour l’heure, seul le marché des professionnels est sur ce CRM unique. Les particuliers y basculeront durant l’été et les entreprises en fin d’année. Pour toutes les populations, nous aurons une vision 360° commune aux commerciaux, aux centres de contact, aux gestionnaires, à l’espace client web, etc. : quelles données clients, quels contrats, quelles demandes en attente…

Autant que possible, nous optons pour des SaaS et pour du cloud public. Aujourd’hui, nous avons 1400 systèmes que nous basculons progressivement. Mais nous ne menons poursuivons pas une stratégie « Move2Cloud » systématique car héberger dans le cloud n’a pas nécessairement de sens pour des applications internes. Il faut savoir que le maintien en conditions opérationnelles (MCO) d’une IT complexe peut finir par coûter cher. L’avantage du SaaS est donc de déléguer cette maintenance et maintenir les budgets au service direct des applications métiers. De plus, le SaaS permet aussi des montées de version transparentes. Mais, pour l’heure, nous avons besoin de garder un datacenter.

Nous avons choisi Salesforce pour le CRM et Genesys pour la gestion des flux clients (téléphonie, mail, courriers papier…) auxquels s’ajoutent du développement propre hébergé sur la version de confiance de Google Cloud Platform (GCP) en partenariat avec S3ns qui garantit un chiffrement avec une clé conservée en France. Nous voulons que les données de nos clients soient protégées par les plus hauts standards de sécurité.

Le master data management et le dédoublonnage s’effectuent sur une base Informatica sur GCP. Ce MDM est issu d’un énorme travail de rationalisation et de nettoyage. Auparavant, nous avions six référentiels différents ! Recentrer sur le client supposait d’unifier les visions. Unifier les référentiels était une nécessité pour remettre le client au centre de nos attentions.

Lorsqu’un client nous contacte, nous en profitons pour accroître la qualité de nos données en vérifiant ses coordonnées et les autres informations en notre possession issues des différentes bases historiques.

Comme, dans les PME, les experts comptables gèrent souvent la protection sociale des salariés de leurs clients, ils ont souvent accès à nos services avec un portail dédié.

En aval de Salesforce, nous utilisons la solution SaaS de FASST pour gérer le canal de vente. C’est en effet un outil très paramétrable en low code. Nous avons besoin de cette grande souplesse parce qu’il nous arrive de gérer des contrats distribués par des tiers ou de vendre des contrats proposés par des tiers (la MAIF par exemple).

Côté systèmes de gestion, nous sommes toujours en train de rationaliser. Nous avons aujourd’hui une quinzaine de systèmes, dont certains ont cinquante ans. Notre objectif est de disposer d’un seul SI de gestion en santé en 2027 et un SI de gestion rénové en épargne retraite en 2028. D’ici là, nous basculons progressivement de l’ancien système vers les nouveaux SI cibles. Pour les retraites Agirc-Arrco, nous sommes connectés à l’« usine retraite » commune gérée par la Fédération Agirc-Arrco même si la comptabilité associée est partiellement chez nous.

Quels sont vos grands projets actuels ?

Nous avons six projets majeurs.

La construction de notre plateforme d’engagement client et de CRM est toujours en cours. La reprise de données est faite et les tests sont en cours. L’achèvement est programmé pour la fin de l’année.

En matière de digital, notre objectif est que, en 2024, toutes les demandes d’un client, puissent être disponibles et accessibles sur l’espace digital en ligne. Le traitement des demandes n’est, cela dit, pas nécessairement automatique : certaines nécessitent des interventions humaines (comme, par exemple, en cas de déménagement à l’étranger).

Deux autres grands projets concernent, bien sûr, le changement de nos systèmes de gestion en matière de contrats de santé et de prévoyance (pour que nous passions de six à un seul) et en épargne individuelle.

Nous procédons à l’évolution des fondations technologiques (MDM, plateforme Data, plateforme d’API, GED, éditique…)

Enfin, n’oublions pas la migration de notre fonction comptabilité/finances sous l’ERP en SaaS d’Oracle.

L’intelligence artificielle (IA) est-elle un sujet pour vous ?

L’IA est utilisée depuis très longtemps chez nous, par exemple pour la reconnaissance de documents (parfois des notes d’honoraires manuscrites pour les prestations hors sécurité sociale) avec entrée automatisée des données dans les systèmes de gestion. Un autre exemple d’usage est évidemment la lutte contre la fraude.

Aujourd’hui, nous regardons les usages potentiels de l’IAG (intelligence artificielle générative). Pour protéger les données de nos clients, nous avons commencé par bloquer les accès aux outils grand public de type ChatGPT. Et, depuis un mois, nous avons lancé Almia (AG2R La Mondiale IA), une IAG interne avec les LLM de Microsoft et Google. Cet outil est actuellement en test auprès de « champions IA » un peu partout dans le groupe. Nous envisageons une dizaine de cas d’usage en 2024.

Au sein de la DSI, nous utilisons Microsoft Copilot pour générer ou optimiser du code. Nous utilisons aussi l’IAG pour de l’analyse de verbatim client, pour la synthèse d’appels d’offres en protection sociale (contrats collectifs), etc. Nous testons Einstein GPT (Salesforce), Gemini (Google), Copilot (Microsoft)… mais avec, toujours, une condition préalable : les données doivent rester maîtrisées. Tout assureur est toujours vigilant là-dessus.

Quels sont vos prochains défis ?

En premier lieu, la conformité DORA va être un vrai sujet. Nous attendons encore des détails. Mais banques et assurance ont en commun d’avoir une autorité de contrôle, l’ACPR, qui va veiller à l’application de la règle. Ce qui est bien avec DORA, c’est que cette directive concerne l’extension de certaines obligations pour nos fournisseurs avec possibilité pour l’ACPR de pouvoir les auditer. DORA nous impose des contraintes (comme la déclaration des incidents) mais c’est plutôt une bonne chose pour garantir la cybersécurité. Et notre système cible sera « DORA compliant by design ». Le fait que nous soyons en train de refondre notre IT, finalement, nous facilite le passage à la conformité DORA.

Un deuxième défi, je ne serai pas original, est bien sûr le recrutement. Dans les enquêtes auprès des étudiants en fin de cursus, les assureurs sont souvent bons derniers. Mais, nous, nous avons la chance d’avoir de nombreux facteurs de séduction des talents grâce à notre transformation en cours. Travailler sur de l’IA sur GCP, c’est très séduisant pour un ingénieur ! A côté des méthodes traditionnelles de recrutement (annonces, chasseur de tête…), nous procédons avec de nouvelles approches comme l’approche directe sur Linkedin. Quand un talent est approché, nous lui présentons nos projets, nous lui proposons les rendez-vous (manager, RH…) dans la foulée et, sous une semaine, il peut recevoir une proposition d’embauche. Il faut être conscient que, quand il y a transformation, le couple star est composé du DSI et du DRH. Seul un tel couple peut mettre en œuvre, comme nous, un processus de recrutement adapté aux enjeux du moment. Et, bien sûr, le recours intensif à l’alternance permet aussi de faire bouger les lignes. C’est positif pour l’étudiant qui apprend à travailler et pour l’entreprise qui découvre des talents. Aujourd’hui, nous avons une soixantaine d’alternants au sein de la DSI.

Aujourd’hui, nous développons systématiquement en mode produit, en méthodes agiles avec des trains SAFe les plus standards possibles. L’adoption de processus standards facilite l’intégration des nouveaux embauchés autant que le travail avec les ESN. Je ne connais aucun informaticien nostalgique du cycle en V…

Podcast - Comment AG2R La Mondiale attire les talents IT

Après avoir présenté le groupe AG2R La Mondiale, Pascal Martinez, membre du comité de direction groupe en charge des SI, du digital et de la data, explique comment ce groupe de protection sociale mutualiste et paritaire arrive à attirer les talents IT. Il s’agit d’un réel défi lorsque l’on sait combien les assureurs ne font pas rêver les étudiants diplômés. Cela commence par corriger la vision erronée des étudiants : il peut y avoir des projets passionnants dans ce secteur, notamment chez AG2R La Mondiale. Et le groupe n’hésite pas à chasser les profils recherchés sur les réseaux sociaux. Enfin, le recours à l’alternance est aussi un excellent canal de recrutement.