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Pascal Bigard (GCC) : « je dois satisfaire les métiers, pas exécuter un contrat explicite »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Le groupe de BTP GCC sait innover grâce au numérique mais son DSI, Pascal Bigard, doit avant tout servir le business au niveau terrain.  Y compris en travaillant avec des start-ups.

Pascal Bigard est DSI du groupe de BTP GCC. - © Républik IT / B.L.
Pascal Bigard est DSI du groupe de BTP GCC. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter le groupe GCC ?

Avec un chiffre d’affaires de 1,136 milliards d’euros, le groupe tient à la fois de l’ETI et du grand groupe par certains aspects. Nous avons trois pôles.

Le premier, qui représente environ 68 % de notre chiffre d’affaires, est la construction. Nos agences régionales opèrent essentiellement sous la marque GCC même si nous avons quelques filiales. Avec ce pôle, nous réalisons de la construction de bâtiments, du gros œuvre. Dans nos chantiers emblématiques récents, il y a le nouveau centre commercial de La Pardieu à Lyon ou l’immeuble de bureaux L’Arboretum à Nanterre.

Nous avons un pôle, constitué de nombreuses filiales, que nous appelons « énergies » qui correspond à l’équipement des bâtiments pour la circulation des fluides (eau, électricité…) : plomberie, éclairage, lignes électriques… Nous avons ainsi réalisé l’éclairage de l’attraction Buzz l’Eclair à Disneyland Paris. Ce pôle représente environ 14 % de notre chiffre d’affaires.

Enfin, nous avons un pôle de promotion immobilière, 18 % de notre chiffre d’affaires, opérant essentiellement dans l’habitat avec la marque Edelis.

Parmi nos particularités, notons aussi qu’une centaine de nos « entrepreneurs » locaux (les patrons d’agences et de filiales) détiennent 78 % de notre capital avec les salariés.

Avec une structure à ce point éclatée, comment avez-vous organisé la fonction IT ?

Il n’existe qu’une DSI groupe qui opère le numérique pour l’ensemble des pôles, des agences et des filiales. Les fonctions transverses groupes, notamment la DSI, sont toutes au service des « entrepreneurs ». Si la stratégie SI est centrale, les entrepreneurs et les lignes de services sont les véritables donneurs d’ordres.

Nous fournissons donc l’ensemble du système d’information. Cela commence bien sûr avec les infrastructures hybrides : un datacenter hébergé et du cloud chez Microsoft Azure. Nous intégrons à cette partie de l’IT de base comme la bureautique collaborative (Microsoft Office 365). Le choix entre on premise et cloud est pragmatique, technique et économique. Nous sommes susceptibles d’utiliser du SaaS lorsque c’est pertinent.

Pour l’applicatif, nous distinguons trois gammes.

D’abord, il y a ce que l’on appeler « régalien » ou « Legacy » : des logiciels que tout le monde doit utiliser. Cela concerne par exemple la comptabilité, la paie… Nous avons une approche « best of breed ». Nous avons récemment adopté le SaaS Silae pour la paie et le remplacement de notre comptabilité Iris sur AS/400 est prévue. La gestion de chantiers fait aussi partie de cette gammes.

La deuxième gamme est dite « mutualisée ». Une entité a eu un besoin à un moment donné, la DSI a trouvé un outil pour y répondre puis, ensuite, le même besoin a été rencontré ailleurs. Dans ce genre de cas, celles qui ont des besoins pouvant être couverts par des solutions déjà choisies sont très fortement incitées à utiliser celles-ci. La généralisation d’une solution se fait plutôt par viralité que par décision centrale.

Enfin, la troisième gamme est celle des solutions spécifiques, liées à un métier, une entité… ou éventuellement à une première demande concernant un besoin qui aboutira à une solution mutualisée.

Dans une entreprise de BTP comme la vôtre, en dehors des données classiques (personnel, clients…), que représente la data ?

GCC s’est construit progressivement et la DSI est récente. L’équipe data n’a été mise en place qu’il y a dix-huit mois. La première mission de celle-ci est de créer les référentiels de données et de définir les vocables communs. Pour chaque jeu de données, elle doit aussi définir les data owners.

Pour l’heure, nous commençons à travailler les données financières et ressources humaines pour du pilotage d’activité.

Côté BIM (Building information modeling, modélisation des données du bâtiment), une mission de notre direction technique, nous faisons, pour l’instant, des maquettes numériques selon les besoins opérationnels. Mais le BIM va au-delà de la maquette avec de vraies données de chantier. Mais nous ne réalisons pas encore d’analyse de ces données standardisées car nous voulons d’abord optimiser l’emploi opérationnel des maquettes numériques avant d’aller plus loin.

Le concept d’entreprise étendue a-t-il un sens dans le BTP ?

Oui, bien sûr, car nous avons de nombreuses relations avec tous les intervenants sur nos chantiers.

Par exemple, nous avons déployé des digital workplaces sur nos chantiers, avec un partage de documents, de maquettes, etc. avec les clients, les sous-traitants… Pour cela, nous utilisons Sharepoint et Powell. Ce dernier produit permet d’automatiser la création de ces portails de chantier à partir de templates : une agence peut créer un portail avec tous les schémas de droits et la structuration déjà fixés sans avoir à appeler la DSI.

Nous disposons également de logiciels métiers spécifiques qui sont reliés aux systèmes de nos sous-traitants.

Comment innovez-vous ?

Je dois satisfaire les métiers, pas exécuter un contrat explicite. J’ai une mission de business partner. Les métiers sont focalisés sur leur quotidien. Nous devons bien sûr satisfaire leurs demandes classiques mais aussi les stimuler, leur proposer des innovations que nous repérons ou qui sont repérés par tel ou tel. C’est comme cela qu’a commencé la Digital Workplace. On peut expérimenter et, après, on voit.

Travaillez-vous avec des start-ups ?

Tout à fait, notamment dans le cadre des expérimentations.

Par exemple, nous travaillons avec Bloc-in-Bloc. Celle-ci nous fournit un outil de réalité augmentée pour vérifier la conformité de la réalité par rapport au plan.

Nous menons actuellement un test avec une autre start-up, Buildots, d’abord testée sur un chantier de construction d’un immeuble d’habitation et actuellement sur un deuxième chantier. Le conducteur de chantier passe dans le chantier avec une caméra montée sur son casque qui réalise une capture à 360° de chaque pièce. Une IA analyse les grandes masses, les équipements… sans être perturbée par le matériel posé à terre. L’analyse de l’image permet de comparer au plan et au planning afin, par exemple, de vérifier que telle fenêtre est bien au bon endroit, de mesurer l’avancement de la pose des équipements (le nombre de prises électriques par pièce…), d’historiser l’évolution du chantier et de son suivi…

Des solutions de ce type permet un vrai gain de temps sur le suivi. En deux heures, on peut avoir fait le tour d’un chantier. En plus, on peut factualiser le suivi de chantier et optimiser les relations avec les clients et les sous-traitants. Et puis, comme cela prend peu de temps, on peut augmenter la fréquence des contrôles et faire réintervenir un sous-traitant pour corriger une non-conformité avant qu’il n’ait quitté le chantier.

Cela dit, une telle solution a des limites : par exemple, il est pour l’instant impossible de vérifier le nombre de couches de peinture.

La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?

Oui, c’est même un vrai problème. Notre DSI a doublé en quelques années. Et nos besoins sont particuliers : nous avons besoin de gens qui maîtrisent évidemment les technologies et qui soient à la fois structurés, rigoureux et agiles. Nous devons aborder énormément de petits sujets. En plus, nous avons besoin qu’ils soient pédagogues pour travailler avec les métiers. Il faut comprendre les besoins sans qu’ils soient réellement exprimés formellement, avec de multiples itérations pour s’assurer que les besoins de chacun soient bien analysés, d’autant que chaque cas est souvent unique. Mais, malgré tout, quand on créé localement, il faut penser dès le départ à une éventuelle diffusion globale sans que soient engagés des moyens qui seraient justifiés par une diffusion générale.

Trouver des gens compétents techniquement et agiles intellectuellement, c’est compliqué. Et quand on est à cheval entre PME et grand groupe, avec un fonctionnement peu structuré mais avec du volume, c’est encore plus compliqué. Et le BTP n’est pas un secteur qui fait rêver les informaticiens.

Quels sont vos prochains défis ?

Déjà, il y avait des défis qui ont été plutôt bien relevés : sensibiliser les métiers au numérique et gagner la confiance du terrain en donnant envie à nos entrepreneurs de travailler avec nous. Bien sûr, ça n’est jamais totalement gagné.

Dans les années qui viennent, il va nous falloir finaliser la modernisation de notre SI régalien. Nous avons déjà traité l’obsolescence au niveau infrastructures.

Il nous faudra aussi poursuivre la numérisation et lancer la transformation digitale, c’est à dire la transformation des process par la data et le numérique.

Côté RSE, nous n’avons pas le secteur le plus économe en carbone mais la démarche RSE du groupe, évidemment une priorité, peut être accompagnée par l’IT.

Enfin, il y a un point d’orgue évident : la cybersécurité. Protéger le patrimoine IT du groupe est un défi de survie de l’entreprise. Il vaut mieux ne pas l’oublier.

Podcast - Une DSI business partner est un acteur de l’innovation métier

DSI du groupe de BTP GCC, Pascal Bigard revient, ici, d’abord les particularités de l’organisation du groupe. Les lignes de service support comme la DSI se doivent d’être des « business partners ». Cela implique non seulement de servir des clients internes mais aussi, surtout, d’être des acteurs de l’innovation et de la transformation numérique des métiers. GCC travaille notamment avec des start-up spécialisées dans l’analyse par IA de l’image pour faire du contrôle de suivi de chantiers.