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Nicolas Siegler (MAIF) : « pour le coeur de métier, nous choisissons de créer notre IT »


Basée à Niort, la mutuelle d’assurance MAIF revendique, en « assureur militant », d’investir dans une IT faite sur mesure et en toute agilité, sans oublier les ressources humaines avec une forte dimension d’inclusion. Nicolas Siegler, DGA en charge des SI à la MAIF, fait le point sur sa stratégie et présente ses défis.

Nicolas Siegler est DGA en charge des SI à la MAIF. - © Républik IT / B.L.
Nicolas Siegler est DGA en charge des SI à la MAIF. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la MAIF ?

Nous sommes une mutuelle d’assurance spécialisée en IARD avec deux filiales : MAIF Vie (assurance-vie, prévoyance) et la SMACL (mutuelle des collectivités locales). Nous traitons surtout des contrats individuels de particuliers mais nous avons aussi des contrats avec des personnes morales, associations et collectivités locales surtout.

Notre chiffre d’affaires est de l’ordre de cinq milliards d’euros pour un résultat net de 70 millions. Nous comptons 10 000 collaborateurs dont 400 à MAIF Vie et 1000 à la SMACL.

Quelle est votre organisation IT ?

En tant que DGA SI, je pilote bien sûr la DSI elle-même. Celle-ci est en charge des infrastructures, des applications et des postes de travail. Un deuxième département est la Performance SI (le contrôle de gestion de l’IT) et un troisième la Transformation. Ce dernier est également en charge de l’accompagnement des équipes pour l’adoption de l’agilité. La cybersécurité et la protection des données (DPO) me sont également rattachées.

Deux entités me sont rattachées fonctionnellement. La première est la Digital Factory (web, apps…) qui est rapprochée du marketing. Et il y a la Data Factory, rapprochée de l’actuariat. Au sein de la Data Factory, nous avons une squad dédiée au risque climatique et aux impacts sur la sinistralité des événements climatiques.

SMACL et MAIF Vie ont chacune un DSI qui me sont rattachées fonctionnellement car elles utilisent les infrastructures du groupe. La politique IT (architecture, technologie, sécurité…) est autant que possible commune.

Justement, quelle est votre architecture générale ?

Elle est hybride. Nous avons deux datacenters internes redondants. Nous utilisons des applicatifs dans le cloud mais sans aucune donnée sociétaire stockée dans le cloud. Nous avons du cloud Azure en lien avec Microsoft Office 365.

Nous utilisons actuellement un cloud souverain français, Clever Cloud. C’est un prestataire avancé dans le PaaS mais un peu petit pour nos ambitions. Nous allons donc lancer un appel d’offres sur le cloud souverain. Nous cherchons un partenaire pour, surtout, travailler sur la data et l’IA, donc avec des GPU.

Nous avons une architecture presque totalement conteneurisée avec Red Hat OpenShift. Cela nous garantit une grande souplesse. Nous n’avons plus de mainframe depuis une vingtaine d’années.

Notre coeur applicatif historique est toujours en Cobol. Il est en cours de modernisation en Java et microservices. Je tiens à rappeler que le Cobol est très performant, même s’il est limité en évolutivité.

Nous utilisons quelques progiciels mais l’essentiel est fait maison. Pour le coeur de métier, nous choisissons de créer notre IT. La relation client est au coeur de notre activité. Il est impossible d’avoir un progiciel nous permettant de réaliser une relation client au niveau de qualité qui est notre différenciant.

Nous avons, en interne, une équipe de trente designers pour travailler sur les interfaces utilisateurs, autant pour les collaborateurs que pour les sociétaires. Nous pouvons ainsi garantir une symétrie des expériences interne/externe.

Bien entendu, nous avons une recherche systématique de synergie et de mutualisation entre la MAIF et nos filiales. L’objectif est autant de bénéficier d’effets d’échelle que de partager nos expériences. Partager les approches et les technologies a aussi l’avantage de faciliter les mobilités internes.

La MAIF a fait de l’agilité une marque de fabrique. Pour quelle raison ?

Avant cette bascule vers l’agilité, nous étions une entreprise normale avec des équipes verticales, silotées. Et puis nous comptions sur des collaborateurs « super-héros » pour avoir une certaine transversalité. Evidemment, compter sur des « super-héros » a comme conséquence un goulot d’étranglement.

Nous avions à prendre une série de virages : digital, cloud, IA… Il nous fallait donc impérativement être plus évolutifs. 100 % des acteurs devaient être à 100 % de leur potentiel, sans être bridés par une organisation non-optimale.

L’agilité entraîne que les équipes build et run sont réunies. Ces équipes sont collectivement responsables sur tout le cycle de vie d’un produit. Les managers ne sont pas au sein des squads mais en « servant leaders ». Ils servent davantage à donner des capacités qu’à contrôler.

Nous avons trois principes fondamentaux.

Tout d’abord, faire le juste nécessaire par itérations successives en relation intime avec les utilisateurs. La DSI est partenaire des métiers. Le SI est vu comme une copropriété DSI/métiers.

Ensuite, nous responsabilisons les acteurs. Ils sont responsables ensemble, collectivement, pas tel individu ou tel autre. C’est pour cela que les managers sont devenus des servant leaders.

Enfin, la transparence de l’information. Pour qu’il y ait des échanges entre squads, nous veillons à organiser des mêlées régulières pour faire le point, échanger sur les ambitions…

Avant, nous avions un stock de 5000 tickets d’incidents que nous ne parvenions pas à réduire. Actuellement, nous sommes à moins de 700. Avant, les utilisateurs se plaignaient dans nos enquêtes internes régulières avec 70 % d’avis positifs et 30 % de négatif. Aujourd’hui, nous dépassons les 90 % de positif. De même, le délai de résolution est passé de 58 % en moins de quatre heures à 71 %. Avant, nous avions trois très grosses livraisons par an qui pouvaient générer une certaine angoisse dans les métiers et nous obligeaient à une information lourde, voire de la formation. Aujourd’hui, nous avons trois cents livraisons par mois qui présentent des petits changements que les utilisateurs peuvent appréhender en large autonomie.

L’objectif de l’agilité, c’est bien la qualité de service.

Vous avez pris des initiatives pour mieux gérer les compétences. Pour quelles raisons ? Et quelles initiatives exactement ?

Il y a quatre ans, nous avons fait un bilan de la maîtrise de notre SI et nous avons constaté que nous étions trop externalisés. Nous avons donc décidé de réinternaliser les compétences afin de repasser de 50 à 75 % d’interne.

Réinternaliser supposait de recruter 250 personnes. Si on ajoute les mobilités, les départs à la retraite, etc. il fallait, en fait, recruter 400 personnes sur la durée de notre plan stratégique, de 2023 à 2026.

Mais recruter des talents IT à Niort n’est pas forcément très simple. D’un côté, il nous fallait valoriser notre marque employeur. Avoir adopté à ce point une véritable agilité à l’échelle est rare. De l’autre, nous avons décidé de faire de notre contrainte une opportunité en nous appuyant sur notre attachement viscéral à l’inclusion.

Nous avons donc décider de relancer des personnes éloignées de l’emploi ou en reconversion. Nous avons choisi douze personnes dont un taxi, un salarié de fast-food… Puis nous les avons formées en partenariat avec Simplon pour leur permettre d’obtenir un diplôme de développeur. Ils ont eu une formation de quatre mois à temps plein suivie de dix-huit mois en alternance dans les locaux de la MAIF à Niort. Sur les douze de la première session, un poursuit ses études et nous en avons recruté neuf dont cinq femmes.

C’est une initiative qui a beaucoup fait parler dans le bassin d’emploi niortais.

Devant ce succès, nous lançons une deuxième session, toujours avec Simplon, avec deux autres entreprises, Intermutuelle Assistance et Darva, un éditeur filiale de tous les assureurs qui permet de gérer les flux de données entre assureurs, experts, etc. Cette deuxième session est en cours de recrutement.

Il faut se rendre compte que douze alternants, c’est aussi douze tuteurs et douze équipes qui accueillent les alternants. Nos équipes ont été très fières d’accueillir des alternants et de les aider à réussir. Lors de la remise de diplômes, tous les alternants ont d’ailleurs chaudement remercié les équipes et les tuteurs.

Quels grands projets avez-vous en ce moment ?

L’IA, évidemment. Nous faisons de l’IA depuis une dizaine d’années mais, comme tout le monde, de l’IAG depuis deux ans. Notre conviction est qu’il nous faut aider tous nos collaborateurs à s’emparer de l’IA.

La technologie est très fascinante et intrusive. Elle donne une impression de facilité. Mais l’éthique est une vraie question. Nous avons mis en place un Conseil de Surveillance Numérique et Ethique pour accompagner le développement de l’IAG. Nous nous assurons notamment que l’IAG n’est pas imposée. L’IA pose des problèmes d’impact environnemental. Il faut mesurer cet impact et toujours se poser la question de la pertinence du recours à l’IA.

Ensuite vient la question de l’emploi et de l’employabilité. Si je gagne du temps avec l’IA, que fais-je de ce gain ? La MAIF s’est engagée à ne supprimer aucun emploi à cause de l’IA. Au niveau employabilité, qu’implique l’IA en terme de qualification ?

Ensuite, il faut examiner avec un œil critique ce que produit l’IA. Aujourd’hui, les professionnels connaissent leur métier et ont le recul nécessaire. Demain, les juniors auront-ils le recul nécessaire ?

Pour permettre l’acquisition des compétences nécessaires, nous avons parfois pris des décisions radicales. Par exemple, nous avons des assistants IAG pour aider au traitement des réclamations. Mais les juniors doivent comprendre, acquérir le savoir. Pour eux, il n’y a donc pas d’IAG. Quand ils sauront faire seuls, il pourront accéder à l’assistant IAG mais en ayant le recul nécessaire.

Nous avons deux métiers majeurs : la Tech et la relation clients. Or ce sont les deux domaines les plus impactés par l’IAG. Nous suivons donc les réflexions des chercheurs et des philosophes sur ce sujet pour nous guider.

Quels sont vos défis du moment ?

Nous avons un défi autour de la construction de notre plan de recrutement et de compétences (GPEC). L’IA va apporter de la productivité. Quelle impact va être induit sur les emplois ?

Nous devons aussi continuer à moderniser nos SI historiques, continuer de sortir du Cobol notamment. L’IA pourrait nous aider à la rétro-documentation voire la conversion.

Comme beaucoup, nous avons un défi lié à la dépendance envers certains éditeurs. Parfois, c’est acceptable. Parfois, cela devient franchement pénible (passage obligé au SaaS, augmentation indécente de tarif…). Nous participons aux travaux du Cigref sur la construction d’un indice de résilience numérique. Quand les fournisseurs exagèrent, la bascule vers l’open-source devient intéressante. La formule de Jean-Baptiste Courouble de l’URSSAF, « ils nous donnent les modèles économiques des migrations », me plaît bien.

Un défi que nous n’attendions pas est la téléphonie. Genesys abandonne la version on premise de son offre, rendant le SaaS obligatoire. Il va donc nous falloir migrer.

Evidemment, nous regardons les acteurs souverains.

Podcast - Comment la MAIF recrute face à la pénurie tout en développant son inclusivité

La MAIF est une mutuelle d’assurances basée à Niort réalisant un chiffre d’affaire de 10 milliards d’euros. Recruter des talents IT n’est pas forcément évident quand le siège de l’entreprise à Niort. Or la MAIF voulait réinternaliser ses opérations et avait 400 personnes à recruter sur quatre ans. Pour couvrir ses besoins tout en agissant dans le cadre de ses valeurs, la mutuelle a misé sur ses atouts (open-source, agilité…) mais aussi sur la formation de publics éloignés de l’emploi avec Simplon.