Jean-Cédric Costa (La Redoute) : « notre stratégie repose sur le choix des meilleurs partenaires »
La Redoute a refondu son IT en mode cloud en s’appuyant sur quelques partenaires clés et en se focalisant sur l’expérience client optimale. Jean-Cédric Costa, CIO de La Redoute, nous explique ses approches.

La Redoute approche ses deux siècles d’existence (voir encadré). Pouvez-vous nous présenter ce que cette entreprise est aujourd’hui ?
Nous sommes aujourd’hui une filiale à 100 % du groupe Galeries Lafayette. Nous sommes un distributeur B2C. Notre activité est aujourd’hui répartie à raison de 60 % pour le rayon Maison-Décoration, 35 % pour le prêt-à-porter et le solde pour le high tech, la beauté, le sport… La Redoute est présent dans plus de 20 pays avec près de 9 millions de clients actifs dans le monde.
Notre volume d’affaires dépasse le milliard d’euros dont 40 % à l’international. Plus de 90 % de notre activité réside dans le e-commerce (30 % sur l’application mobile)et nous possédons huit boutiques en propre et 21 corners, notamment dans les magasins Galeries Lafayette en France. 67 % du chiffre d’affaires est issu des marques propres de La Redoute. Nous sommes la quatrième plateforme e-commerce Mode et Maison en France avec en moyenne près de 20 millions de visites par mois.
Notre objectif est d’offrir à nos clients une expérience omnicanale unifiée dans tous les pays. Par exemple, l’abonnement LaRedoute+, lancé en France en 2018, sera totalement déployé dans tous les pays où nous sommes présents d’ici la fin de l’année. Pour 19 euros par an, cet abonnement offre une panoplie de services tels que la livraison offerte et des promotions spécifiques.
A propos de La Redoute
La Redoute est issue d’une filature de laine peignée fondée en 1837 à Roubaix. L’entreprise prend son nom actuel en 1873 lors de l’ouverture d’une usine rue de la Redoute à Roubaix. Dans les années 1920, elle développe le commerce à distance, les catalogues, les magazines incitant les ménagères à tricoter, etc. En 1956, elle commence à étendre ses gammes de produits et, en 1961, se recentre sur la seule distribution, arrêtant toute production industrielle. Le célèbre « catalogue » de La Redoute dépasse les 1200 pages à la fin du XXème siècle mais l’entreprise développe, au fil des ans, de nouveaux canaux physiques (Rendez-Vous Catalogue, magasins…) ou digitaux (Minitel, Internet…). En 2015, l’emblématique catalogue disparaît.
Entrée en bourse en 1964, elle est rachetée en 1994 par le groupe Pinault qui deviendra Kering. En décembre 2013, lourdement déficitaire, La Redoute est revendue un euro à ses dirigeants qui ouvrent le capital aux salariés. En deux phases, 2017 et 2022, La Redoute est finalement rachetée par le groupe Galeries Lafayette.
Et concernant l’IT ?
Nous avons une stratégie d’unification technique et organisationnelle qui décline celle d’expérience unifiée pour les clients. Il y a donc une seule équipe Tech pour tout le groupe et qui gère la totalité des aspects techniques : IT, data/IA, cybersécurité, applicatifs internes, digital et e-commerce, etc. Il s’agit de faciliter le déploiement international de tout à l’échelle de la manière la plus aisée possible.
Data et IA sont, là aussi, dans des équipes communes car c’est aujourd’hui au cœur de notre activité.
Comment est construite votre architecture IT ?
Nous avons une stratégie d’unification, un seul coeur applicatif pour nos sites web et nos applications mobiles. Et, aujourd’hui, nous avons d’ailleurs une seule plateforme technique commune pour tout le groupe. Bien évidemment, les contenus, eux, sont adaptés à chaque pays. Nous avons mené énormément de travaux de refonte ces dernières années.
Fin 2022, nous avons conclu un partenariat avec Microosft Azure et nous avons pratiquement tout migré dans le Cloud en deux ans. Cette migration a été une véritable occasion de modernisation et de transformation. Nous migrons actuellement la fonction data/IA vers Databricks sur Azure.
Sur la même approche, nous avons unifié nos plateformes de paiement avec Stripe. Notre CRM est Adobe Campaign v8 en SaaS. Nous avons également totalement changé d’ERP et opté pour SAP S/4Hana avec l’offre Rise, le SIRH étant sous SAP Success Factor.
Le frontal web est un développement interne, tout comme le back-end e-commerce mais nous avons déployé Mirakl pour la place de marché, la connexion par API avec tous nos partenaires commerçants. Nous avons choisi Cloudflare pour la cybersécurité.
D’une manière générale, notre stratégie repose sur le choix des meilleurs partenaires disponibles. Nous savons que l’expérience client, c’est bien sûr de proposer des produits de qualité et un parcours fluide mais c’est aussi la rapidité de réponse du site web !
La Redoute a une histoire de plus de 180 ans et notre enjeu est bien de mener une transformation digitale au service du client. La prochaine étape est de finaliser la modularisation dans le cadre d’une architecture MACH (Modulaire, API-first, Cloud-native, Headless) pour accroître notre agilité et faciliter le développement de nouvelles fonctionnalités, ce qui nous permettra d’accélérer la transformation digitale et le développement de l’entreprise.
Vous avez mentionné plusieurs fois la data et l’IA. De quoi parle-t-on à La Redoute ?
Pour tout e-commerçant, la data est évidemment un très gros enjeu. Notre site web, c’est 36 millions de visites par mois !
La data, c’est avant tout un atout majeur pour comprendre le consommateur mais aussi pour améliorer notre efficacité opérationnelle. Nous avons donc voulu, avec Databricks sur Azure, construire une plateforme unifiée, structurée, pour une data de qualité. Les données sont issues de la logistique, du paiement, du e-commerce, etc.
Bien évidemment, nous respectons scrupuleusement le RGPD et les autres réglementations. Nous suivons les bonnes pratiques et nous veillons à protéger les données de nos clients comme de l’entreprise, notamment avec Cloudflare.
Et l’IA ?
Bien sûr, il n’y a pas d’IA sans données de qualité et correctement collectées et rassemblées. Data et IA doivent être exploitées par tous les acteurs de l’entreprise, le plus en temps réel possible, avec la plus grande fiabilité possible.
Cela dit, j’insiste sur un point : nous ne faisons pas de l’IA pour surfer sur le buzz mais bien selon des cas d’usage concrets.
Par exemple, nous avons déployé un chatbot dans notre application mobile et sur le web pour apporter des réponses 24/7 aux clients, aujourd’hui sur des questions génériques, demain sur des informations personnalisées en lui donnant accès aux données clients. Pour l’heure, nous avons environ 60 % des réponses aux questions posées sur le chatbot qui satisfont directement les clients, sans nécessité d’escalade à un agent humain. Cela nous permet de libérer du temps humain pour que les humains n’interviennent que lorsqu’ils apportent une valeur ajoutée, notamment pour des cas complexes. Avec ce cas, nous avons un retour de 70 euros pour chaque euro investi ! Nous nous basons sur le Databricks sur Azure bien sûr et nous utilisons le LLM d’OpenAI mais, bien évidemment, nous avons la possibilité de changer de LLM si nous en avions le besoin demain.
Il faut veiller à ne pas s’enfermer ou se limiter.
Le e-commerce est une réalité depuis plus d’un quart de siècle. Y-a-t-il encore des enjeux IT dans le e-commerce ?
Bien sûr ! Et depuis cinq ans, nous avons mené énormément de travaux.
Pour nous, notre premier enjeu, est de poursuivre l’uniformisation technologique mais aussi d’être prêt pour intégrer les nouveaux usages. Cela passera par la modularisation dont je parlais tout à l’heure.
Bien sûr, il faut soutenir le passage à l’échelle international, y compris en nous adaptant aux évolutions du e-commerce. Peut-être, demain, ouvrira-t-on une Tik-Tok Shop.
Côté métier, il y a l’enjeu pour La Redoute, d’être reconnue come partenaire lifestyle par nos clients. Côté IT, cela implique une obligation de proposer une expérience client toujours meilleure, avec une vraie personnalisation.
Les clients ont des attentes qui évoluent. Nous devons donc toujours nous transformer. Par exemple, nous avons amélioré le paiement fractionné. L’architecture modulaire nous permettra aussi d’intégrer aisément de nouveaux partenaires, par exemple dans le paiement.
Il nous faut innover toujours plus, toujours plus vite. Nous devons donc développer des cas d’usage IA, pas seulement directement au service des clients mais aussi indirectement, en améliorant la performance opérationnelle interne. L’IA peut servir à multiplier les images en contextes variés.
Pour terminer, il y a un sujet malheureusement récurrent qui est la fraude. Est-ce toujours un réel problème pour vous ?
La fraude constitue un enjeu majeur pour tout les e-commerçants avec une grande variété de cas selon les pays ou selon les points du processus qui sont attaqués. Pour lutter contre la fraude, la data et l’IA se révèlent essentielles. Notre problème, c’est bien sûr que nous ne savons jamais quelle nouvelle fraude va bien pouvoir être inventée !
La fraude au paiement continue d’exister mais c’est aujourd’hui un sujet plutôt maîtrisé.
La fraude au remboursement ou au retour est plus problématique.
Et puis la fraude est devenue beaucoup plus industrielle grâce à l’IA. Mais l’IA nous permet en revance aussi d’améliorer le scoring du risque de fraude. Si on suspecte un problème, on peut alors créer de la friction, ralentir le suspect fraudeur (par exemple en demandant un code envoyé par SMS). Mais nous évitons de réduire la fluidité du parcours d’un client a priori bien intentionné.
Les bots qui testent des couples identifiants/mots de passe pour se connecter à notre site et récupérer des informations ou qui multiplient les accès simplement pour saturer nos infrastructures sont de vrais sujets que nous traitons avec Cloudflare. Grâce à cette solution, nous pouvons même avertir un client que son identité est compromise (publiée sur le Darknet par exemple) et l’inviter à changer de mot de passe. Nos clients apprécient beaucoup, d’autant que les couples identifiants/mots de passe sont souvent les mêmes sur de multiples services.