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Hervé Guehl (Cora) : « nous tenons à la maîtrise de notre IT »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Le groupe de grande distribution Cora a une tradition d’IT frugale et développe les logiques IT4Green autant que Green IT.

Hervé Guehl est DSI de Cora. - © D.R.
Hervé Guehl est DSI de Cora. - © D.R.

Pouvez-vous nous présenter Cora ?

Cora est un acteur de la grande distribution, filiale française du groupe Louis Delhaize, et spécialisé sur le format hypermarchés. Le groupe dispose, en France, de l’enseigne Match pour les supermarchés. Comme vous le savez, le groupe Carrefour a le projet de nous racheter sous réserve de l’avis de l’Autorité de la Concurrence.

Cora est un acteur intégré avec une culture historique d’autonomie des magasins. Ceux-ci ont une certaine capacité à définir un « marketing de site ». Il peut ainsi y avoir des particularités locales dans le fonctionnement d’un ma­gasin, notamment pour le référencement d’acteurs locaux. D’une manière générale, en magasin, comme au sein des services support, Cora compte beaucoup sur l’autonomie et la responsabilité de chacun.

Aujourd’hui, nous disposons de 60 hypermarchés en France, nous avons 17 000 collaborateurs et nous générons un chiffre d’affaires de 4,2 milliards d’euros.

Le siège est près de Marne-la-Vallée en banlieue de Paris mais la DSI est située à Metz.

Comment est organisée l’IT de Cora ?

Il s’agit d’une organisation relativement classique avec un département chargé du développement et l’intégration de solutions, un département des gestion des éléments technique (réseau, infrastructures, exploitation…) et un département de gestion du service à l’utilisateur (supports, déploiement et maintenance des matériels magasin et qualité de service). Ces trois départements sont complétés par des fonctions transverses qui me sont directement rattachées à savoir une cellule PMO en charge de la consolidation du portefeuille de projet mais aussi de l’accompagnement méthodologique des différents chefs de projet et de la cellule sécurité qui inclut le RSSI.

Cora informatique étant un établissement secondaire de Cora, nous avons aussi des services administratifs finance, paie et de gestion de bâtiments…

Quelles sont les grandes lignes de votre architecture IT ?

Nous avons une approche pragmatique en nous méfiant des phénomènes de mode. A chaque outil son cas d’usage, ce qui fait que notre IT est totalement hybride. Pour ce qui concerne le cloud nous sommes sur une utilisation raisonnée là où le cloud apporte une véritable valeur ajoutée tout en ayant un sens économique. Nous avons d’ailleurs une forte culture du développement interne, poussée historiquement par nos actionnaires, pour qui la maîtrise de l’IT est un gage de réussite. Le recours aux solutions du marché se fait de manière réfléchie. Nous pesons toujours le coût, l’accessibilité (à savoir difficulté de développement et de maintenance), le délai et la valeur ajoutée métier. Nous avons aussi des besoins particuliers de résilience pour certaines activités.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

Sur des fonctions plutôt standardisées nous utilisons des progiciels, c’est le cas de la finance et de la comptabilité (aujourd’hui Cegid XRP Ultimate) et plus récemment des outils RH (SopraSteria). Jusqu’en octobre 2022, la comptabilité, la gestion des temps et la paie de Cora étaient assurées pour les magasins par des solutions internes. Les efforts de maintenance, majoritairement sur des évolutions réglementaires, et la nécessité de refondre techniquement notre système de paie, nous ont conduit à mettre en œuvre un progiciel.

Cela nous permet de nous concentrer sur les activités core business, c’est-à-dire là où notre agilité, notre connaissance du retail et notre proximité avec le métier peuvent être des facteurs d’accélération et de performance en proposant des solutions plus rapides à mettre en œuvre, moins coûteuses et plus pertinentes que des solutions « généralistes ».

Par exemple, notre encaissement est entièrement développé et maîtrisé en interne. D’un point de vue technique, nous disposons d’une double infrastructure locale hyperconvergée dans chaque magasin. Il existe un secours sur place dans une deuxième pièce située sur le même site mais à une certaine distance. Nous avons fait en sorte que le système accepte différents niveaux de dégradation des infrastructures et qu’il soit même possible que chacune des caisses fonctionnent un certain temps chacune en autonomie totale (compte tenu de la certification LNE de notre système, l’absence de transmission des données ne peut excéder un certain délai). La maîtrise du logiciel nous a permis d’avoir une solution unique très intégrée gérant le parcours client (caisse de ligne, self check out, self scanning, réduction des files d’attente en caisse et même la gestion de la file unique).

Pour notre back office magasin, développé lui aussi en interne, nous nous sommes interrogés l’an passé. Le tour du marché que nous avons réalisé a permis de conclure que notre outil, bien qu’ayant besoin d'être modernisé, est bien plus adapté à notre organisation magasin. Ainsi, cet appel d’offres a permis de constater que nos magasins bénéficient d’une palette de fonctions utilisables en mobilité bien plus large que ce que les progiciels référents ne savent proposer.

Précisément, parmi vos particularités, vous gérez en rayon des promotions ciblées sur les dates courtes. Comment procédez-vous ?

La DSI cultive une grande proximité avec les magasins et nous sommes à l'écoute des demandes des directeurs.

Nous sommes un petit parmi les géants de la grande distribution et nous ne pouvons donc pas nous permettre de gâcher. Nous devons toujours mieux servir nos clients et éviter, à la fois, les ruptures et le gâchis.

Nous avons donc mis en place un processus en mobilité pour traiter les dates courtes. Le but est d’inciter le consommateur à acheter ces produits-là grâce à des prix adaptés. Il faut donc ré-étiqueter avec une remise.

Même si le GS1 ce travaille actuellement sur le sujet avec le code-barre 2D (QRcode), il n’existe pas pour l’instant de codification standardisée de la DLC (date limite de consommation). Le sujet doit donc obligatoirement être traité en rayons. Le collaborateur utilise un périphérique et une imprimante mobile afin d’imprimer les étiquettes autocollantes avec le nouveau code-barre. Pour le client, mis à part l'étiquette distinctive qui lui permet de repérer la promotion, l’opération est transparente, le prix est automatiquement pris en compte en caisse.

Avez-vous d’autres initiatives IT4Green ?

Sur la partie gestion des stocks nous avons aussi travaillé sur l’amont de la chaîne d’approvisionnement afin d’optimiser les stocks pour éviter qu’il nous reste des produits à dates courtes. Nous utilisons pour cela un outil du marché, Relex, qui propose une IA pour optimiser les stocks autant en entrepôts qu’en magasins.

Cora France s’engage dans un plan ambitieux baptisé « puissance carbone » visant à réduire de manière importante son impact carbone d’ici à 2032.

Les sujets sont nombreux et l’IT se tient aux côtés des équipes métiers pour atteindre leurs objectifs, que ce soit les équipes finance en charge de la production d’indicateurs extra-financiers ou encore notre direction technique qui met en œuvre une solution de pilotage centralisée de la consommation électrique de nos bâtiments.

Plus généralement, nous accompagnons les métiers dans leurs initiatives. Le sujet étant complexe, ce n’est pas toujours simple à mettre en œuvre !

Symétriquement, quelles sont vos initiatives en Green IT ?

Il faut bien intégrer que dans la distribution le principal du bilan carbone est porté par les scopes 2 et 3, plus particulièrement l’empreinte des produits vendus qui représente 92 % du bilan. Dans tout ça, l’informatique a un poids infinitésimal.

Cela étant, ce n’est pas une raison pour ne rien faire ! Nous avons une culture de la frugalité et des politiques de conservation du matériel relativement longues. Nous prévoyons des plans de maintenance afin de faire durer les équipements lorsque c’est possible et nous mutualisons les usages chaque fois que c’est possible.

C’est le cas pour les scannettes utilisées en self-scanning pour nos clients. Ces équipements peuvent être utilisés indistinctement par nos employés pour leur mission en utilisant notre suite mobile, ou par les clients pour faire leurs courses. Les pics d’utilisations étant différents en fonction des types d’usages, cela nous permet de faire des économies d'équipements. Nous avons aussi travaillé à des processus permettant de piloter l'état d’usure des batteries et de remplacer ces dernières lorsque c’est nécessaire afin de prolonger la durée de vie de l’équipement.

Nos PC et serveurs ont, de plus, une durée de vie entre 6 et 8 ans. D’ailleurs, nous comptons bien profiter de l’annonce de Google portant à dix ans la durée de vie des Chromebook pour renforcer l’utilisation que nous avons de ces équipements.

L’open-source, socle de la plupart de nos développements, nous aide dans cette tâche. Plus de 50 % de notre parc de serveurs ainsi que l’ensemble de nos caisses fonctionnent sous des systèmes d’exploitation open-source et c’est un véritable allié pour gérer cette durabilité (il existe d’ailleurs un rapport de l’union européenne sur le sujet).

Quels sont vos grands projets actuels ?

Nous avons une feuille de route chargée sur cette fin d’année

Côté client, nous avons plusieurs challenges de taille dans les prochains mois. Nous refondons en partie notre programme de fidélité basé sur notre moteur interne. Ce programme nécessite pour son fonctionnement une application mobile. Sur une première version de l’application, nous pourrons proposer au client la consultation de son compte fidélité, des prospectus ou encore la récupération de ses tickets de caisse.

En parallèle, nous accompagnons l’équipe omnicanal dans la refonte du parcours d’encaissement. Nous avons adapté notre système de caisse en intégrant de nouveaux matériels plus modernes et l’avons étendu avec des fonctionnalités d’optimisation des files d’attente et de file unique.

En magasin, nous venons de déployer une solution mobile de traçabilité pour l’ensemble des rayons « produits frais traditionnels ». Nous travaillons actuellement sur le pilotage des actions à réaliser en mobilité en surface de vente. Nous avons développé une suite applicative mobile, qui permet d’alerter les équipes sur des évènements nécessitant une action de leur part. L’idée est d’orienter les équipes terrain sur les anomalies ou les potentielles anomalies. Cela concerne par exemple les produits ayant une DLC susceptible d’arriver à échéance, ou encore des produits sans géolocalisation, information indispensable pour la préparation des commandes drive en magasin. Nous développons un outil complémentaire qui permet de visualiser sur une carte du magasin les alertes à traiter ainsi que divers indicateurs. Il s’agit d’un outil de management visuel permettant de communiquer sur les actions à mettre en œuvre et de les organiser.

En matière de recrutements, déjà difficiles, le fait que la DSI soit placée à Metz est-elle une gêne ? Comment gérez-vous la guerre des talents ?

Metz propose une très belle qualité de vie avec un immobilier abordable. Notre principale difficulté est la proximité du Luxembourg où les salaires sont élevés.

Notre approche, c’est avant tout de fidéliser nos collaborateurs car, simplement, le recrutement coûte cher. Nos valeurs de confiance, d’audace, d’autonomie et de responsabilité séduisent les talents. Il faut savoir que 64 % des collaborateurs de la DSI ont suivi une formation cette année et 10 % ont obtenu une mobilité interne.

Dans le Nord et l’Est de la France, notre marque employeur « Cora » est très bien implantée et nous travaillons à accroître la notoriété de Cora Informatique (Cora acteur de l’industrie numérique) en prenant, par exemple, la parole dans les médias, comme aujourd’hui, et réseaux sociaux professionnels… C’est une démarche portée par un groupe de travail interne.

Nous avons aussi travaillé avec les managers afin que ceux-ci soient réactifs et entretiennent des processus de recrutement rythmés.

Enfin nous développons la filière de l’alternance qui comporte de multiples avantages et nous nous permet d’entretenir les liens avec les écoles de la région de Metz ou du Grand Est (Université de Lorraine, Metz Numeric School, Epitech Strasbourg, Université de Technologie de Belfort Montbéliard, Cesi…).

Enfin, quels sont vos défis du moment ?

Le premier est sans aucun doute la data. Nous avons fait de vrais progrès sur la structuration des données mais il faudrait que nous élargissions l’accès à la data. Nous travaillons à un plan de formation et d’acculturation des collaborateurs pour avoir une démarche cohérente dans la démocratisation de l’accès à la donnée et l’utilisation de l’IA.

Un deuxième défi concerne l’IAG. Nous cherchons à identifier des cas d’usages pertinents. Nous menons des travaux transverses avec les métiers et le service formation a mis en place une sensibilisation (rédiger un prompt, savoir se méfier des hallucinations, ne pas injecter de données internes dans une IAG externe…). Nous testons aussi des solutions pour générer du code en les entraînant sur nos propres historiques de développements.