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David Lepicier (Pernod Ricard) : « l’expérience employé est clé pour gagner la guerre des talents »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Le groupe Pernod Ricard a mis la data au coeur de sa transformation comme l’explique David Lepicier, Data Analytics Director.

David Lepicier est Data Analytics Director chez Pernod Ricard. - © Républik IT / B.L.
David Lepicier est Data Analytics Director chez Pernod Ricard. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter le groupe Pernod Ricard ?

Nous sommes le deuxième acteur mondial des vins et spiritueux avec 240 marques et 19 000 collaborateurs. Nous connaissons une forte croissance et visons évidemment la première place. Nous sommes présents dans 80 pays et nous générons un chiffre d’affaires de 10,7 milliards d’euros.

Parfois, nous avons des marques très locales mais importantes, ce qui a évidemment un fort impact dans le traitement de la data associée. Par exemple, le whisky Imperial Blue est, au monde, l’un des whiskys les plus vendus en volume mais il n’est vendu essentiellement qu’en Inde.

Comment sont organisées les fonctions IT et Data chez Pernod Ricard ? Quelles sont leurs relations ?

Nous avons donc une organisation au niveau groupe, par marques et par marchés (pays pour faire simple). Chaque marque créé les campagnes marketing pilotées par les données pour grandir. Dans chaque marché, les campagnes de marques sont intégrées en fonction des caractéristiques locales. Par exemple, en France, il est interdit de diffuser de la publicité télévisée pour des boissons alcoolisées, ce qui est possible (dans le respect de certaines règlementations spécifiques) au Royaume-Uni.

Les optimisations sont donc différentes mais toujours réalisées avec les mêmes outils et méthodes.Pour réaliser ce programme nous avons besoin d’une excellente collaboration entre de nombreux départements du groupe aussi bien Digital, IT, HR et finance. L’important est d’assigner des rôles bien définis aux équipes et de créer un sentiment d’appartenance fort du programme au-delà du département.Par exemple il existe une équipe data science rattachée à la direction Digital Acceleration et une équipe globale data à l’IT. Ces deux équipes travaillent quotidiennement ensemble avec d’un côté des profils qui vont travailler sur l’appropriation des besoins des marchés et une autre plus axée sur la mise en place de produits et services data tech.

Depuis trois ans, nous avons compris comment faire fonctionner cette double organisation avec ces deux rythmes. Contrairement à ce que j’ai pu voir dans d’autres entreprises, cette dualité n’est pas conflictuelle chez Pernod Ricard mais, au contraire, fonctionne très bien avec des expertises complémentaires.

La Digital Acceleration comprend plusieurs autres divisions, notamment celle sur le « new business ». Par exemple, celle-ci a créé une plateforme B2B « easy 24 » qui facilite la vente de produit entre distributeurs et revendeurs et qui ne se limite pas aux produits Pernod Ricard.

Retrouvez David Lepicier aux journées Républik Data

David Lepicier fait partie du Comité de Pilotage des journées Républik Data qui se dérouleront mardi 13 et mercredi 14 juin 2023 à l’Hôtel Barrière Le Royal à Deauville. Vous pourrez le rencontrer sur place. Renseignez-vous et inscrivez-vous ici

Quand on parle de « data » chez Pernod Ricard, de quoi s’agit-il ?

Au delà du classique (SIRH, finances…), nous avons surtout des données issues des ventes et de l’efficacité des campagnes de promotion ou marketing.

Pour l’instant (mais ça changera), nous n’avons pas encore trop mis l’accent sur les données de supply-chain car nos produits ne sont pas périssables.

Vous avez créé un portail data partagé avec JCDecaux. Au-delà, quelles approches avez-vous ?

Le portail que nous avons mis en œuvre est d’ailleurs un très bon exemple de la complémentaire des équipes Data. Il facilite le partage de l’information et a donc joué un rôle important dans l’accélération de notre transformation.

Nous avons mis en place plusieurs algorithmes de recommandation.

Pour le marketing, nous avons ainsi un algorithme qui vise à optimiser les investissements entre marque, marché, support… Si j’ai un budget de X, dois-je investir ici ou là ? Est-ce que ce sera efficace et rentable ? Avant, les responsables marketing réclamaient du budget aux financiers qui exigeaient du ROI. Maintenant, nous avons des chiffres ! Et cela a d’ailleurs permis des ajustements importants.

De la même façon, nous avons un algorithme d’optimisation des promotions. Doit-on offrir des réductions, des ventes en lots… ? Sur quelles marques et quels marchés ? On essaye de simuler les effets de chaque promotion pour anticiper les revenus pour Pernod Ricard comme pour nos partenaires distributeurs. Avant, on le faisait sous Excel. Aujourd’hui, c’est accessible et les utilisateurs peuvent se l’approprier facilement.

Pour nos commerciaux, nous avons aussi un algorithme de recommandation pour les visites autant dans les hypermarchés que pour les CHR (cafés, hôtels, restaurants). En la matière, les approches sont très différentes selon les pays. En France nous avons notre propre réseau de distribution alors que, aux Etats Unis par exemple, avec le système des trois tiers, cela n’est pas possible dans un grand nombre d’états et nous devons donc nous adapter à ce système hérité de la Prohibition.

Quelles technologies utilisez-vous ?

Les technologies employées relèvent de la plate-forme mis en place par l’IT. Elle repose essentiellement sur les technologies Microsoft sur Azure avec Snowflake, le tout étant connecté aux outils locaux. Pour un projet, nous allons regarder quelles datas et quelles fonctionnalités sont disponibles, pour quel cas d’usage et pour quel coût. Une fois que nous avons fait « à la main » un démonstrateur et que nous l’avons testé, si c’est pertinent, nous travaillons à l’industrialisation et à l’automatisation.

Votre entreprise bénéficie d’une image sympathique. Est-ce que cela suffit pour triompher dans la guerre des talents ?

Malheureusement, non. Quand nous avons commencé notre transformation data, il a été difficile de recruter des collaborateurs pour « faire de la tech ». Pernod Ricard n’avait pas une image d’entreprise de technologie et les candidats potentiels craignaient de finir à créer des classeurs Excel ! Pour contrer cela, nous avons adapté notre processus de recrutement. Dès les premiers entretiens, le candidat rencontre un futur collègue pour bien lui faire comprendre ses futures missions.

D’une manière générale, nous travaillons beaucoup pour améliorer l’expérience employé qui est clé pour gagner la guerre des talents. Cela passe bien sûr par une proposition de déroulé de carrière mais aussi par le « data booster group ».

Ce dernier dispositif consiste à proposer aux collaborateurs, peu importe leur département, de travailler, 10 % de leur temps, sur un problème business en parallèle d’un projet plus long terme pour tenter de définir des pistes de résolution. Par exemple, nous sommes en train de travailler, dans ce cadre, sur le calcul de l’empreinte environnementale de la vente d’une bouteille fabriquée dans un pays et vendue dans un autre. Au delà de la satisfaction de relever un défi, le « data booster group » est l’occasion de rencontrer des collègues avec qui on ne travaille pas au quotidien.

Pour nous assurer de la qualité de l’expérience employé, nous menons deux études régulières, Pulse (bien-être) et Isay (enquête salariale globale). Les informations remontées de ces enquêtes constituent une mine d’or pour les managers.

Enfin, nous avons distingué d’un côté les « staff managers » qui gèrent les employés, sont à leur écoute, et, d’un autre côté, les responsables de projet. Trop souvent, quand on ne distingue pas les deux, les managers n’ont pas le temps de manager. Là, les « staff managers » sont spécialisés sur cette seule tâche et viennent du métier pour bien accompagner les collaborateurs qui débutent leur carrière et leur expliquer les ficelles pour bien travailler.

Quels sont les défis que vous avez à relever ?

Tout d’abord, un défi qui est encore d’actualité, c’est la récupération des données structurées et de qualité. Jusqu’à présent, cela reste compliqué. Nous expliquons bien le pourquoi de nos attentes et nous fournissons les outils nécessaires. Nous avons aujourd’hui de meilleures données qu’au début de notre démarche mais nous déplorons encore régulièrement des incidents.

A l’inverse, il y a peu de défis technologiques. Celles que nous utilisons sont au point et fonctionnent bien.

Mais, bien sûr, il faut continuer à s’adapter aux évolutions liées à notre transformation. Si nous relâchons nos efforts, je suis certain que nos succès retomberont comme un soufflé. La conduite du changement, c’est un défi perpétuel.

Podcast - L’expérience employé utilisée pour gagner la guerre des talents

David Lepicier, Data Analytics Director chez Pernod-Ricard, avait rencontré des difficultés pour recruter des spécialistes techniques de la data. L’entreprise n’était en effet pas vue comme technologique. De plus, la l’expérience employé a été mise au premier rang des préoccupations. En termes de management, la direction de projet et la gestion des collaborateurs sont désormais deux fonctions différentes.


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