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Pernod Ricard et JCDecaux : les raisons et modalités de l’alliance autour de la data

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

En septembre 2022, Pernod Ricard et JCDecaux ont annoncé une alliance technologique autour de la data et de la création d’un portail data. Nous revenons ici en détail sur ce projet avec Romain Nio, head of global data du groupe Pernod Ricard, et Victor Azria, data director chez JCDecaux.

De gauche à droite : Victor Azria (JCDecaux) et Romain Nio (Pernod Ricard). - © Républik IT / B.L.
De gauche à droite : Victor Azria (JCDecaux) et Romain Nio (Pernod Ricard). - © Républik IT / B.L.

Vous représentez des entreprises majeures dans vos secteurs respectifs. Pouvez-vous nous les présenter brièvement ?

Romain Nio : Pernod Ricard est le numéro deux mondial des vins et spiritueux (y compris sans alcool tels que Suze Tonic 0 % et Cinzano Spritz 0 %. l…). Nous sommes présents dans 80 pays et nous générons un chiffre d’affaires de 10,7 milliards d’euros.

Victor Azria : JCDecaux est le numéro un mondial de la communication extérieure. Nous sommes présents dans plus de 80 pays et notre chiffre d’affaires 2022 s’élève à 3,3 milliards d’euros.

Le projet de portail data a d’abord été créé au sein de Pernod Ricard. Quels étaient les objectifs initiaux ?

Romain Nio : En 2015, le coeur de métier de Pernod Ricard n’était pas vu comme technologique mais nous avions besoin d’innover en nous appuyant sur la data. Mais le patrimoine de données était dispersé et mal exploité. Au départ, en 2015, le but du portail était simplement d’être un annuaire des données disponibles dans le groupe. A cette époque, le groupe était très décentralisé avec une majorité de projets locaux. Les équipes data globales étaient plus là pour assister ces projets en proposant des bonnes pratiques.

La première version de notre portail data reposait sur un CMS, Drupal, avec des fiches d’identité des sources de données. Le portail a ensuite été créé de zéro et hébergé sur AWS avec des développement Node.js. Il n’existait en effet pas de solutions adéquates sur le marché pour couvrir nos besoins alors que nous avions plutôt l’intention d’acheter une solution sur étagère. L’objectif était d’avoir plus ou moins 300 utilisateurs.

Nous avons commencé à développer des outils de manière très empirique en répondant à de nouveaux besoins au fur et à mesure, sans véritable plan préconçu. Il s’agissait juste de couvrir un besoin face à la dispersion des données. Il arrivait en effet que l’on mène un projet avant de se rendre compte que quelque chose de similaire avait été réalisé ailleurs dans le groupe.

Comment décririez-vous aujourd’hui ce portail data ?

Romain Nio : Le portail data permet un accès harmonisé aux douze data lakes hébergés sur AWS ou Azure ainsi qu’aux dashboards Power BI sur Azure, le tout en exploitant la SSO lié à notre SIRH. Lorsqu’un collaborateur nous quitte, ses droits sont donc automatiquement annulés. Si on change d’hébergement, de technologie ou si on ajoute des données hébergées ailleurs ou autrement, c’est totalement transparent pour l’utilisateur.

Pourquoi avoir recherché une ouverture de vos développements techniques à l’extérieur ?

Romain Nio : Nous n’avons jamais cherché à gagner de l’argent en vendant cette technologie. Nous en avons juste parlé de manière informelle autour de nous. Et, franchement, nous n’étions pas persuadés que ces développements puissent avoir un intérêt pour d’autres.

De plus, nous ne voulions pas entrer dans une démarche de fournisseur, avec l’obligation de garantir des niveaux de service, une sécurité, etc. Nous n’avons pas non plus voulu nous lancer dans de l’open-source parce que nous n’étions pas très à l’aise avec l’idée d’ouvrir le code sans certitude sur sa qualité.

Nous avons donc adopté une troisième voie, sans revente et sans ouvrir le code, à savoir rechercher un partenaire, une alliance. Et, là, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un vrai défi juridique car ce type d’approche était original.

Victor Azria : S’il n’y avait pas eu une véritable volonté d’aboutir de la part de nos directions générales, nous n’aurions pas été au bout du projet car il y avait une vraie complexité juridique. Cette complexité a constitué le principal challenge.

Romain Nio : Si un autre partenaire nous rejoint, il lui faudra suivre les règles que nous avons mises en place.

Du côté de JCDecaux, pourquoi vous êtes-vous intéressés à ce projet ?

Victor Azria : Notre groupe est également décentralisé, avec des filiales fortes et peu de fonctions groupes.En 2016, JCDecaux a lancé un chantier autour de la data qui s’est concrétisé par la création d’une entité data groupe, concrétisée par la nomination de François-Xavier Pierrel comme Group Chief Data Officer en novembre 2018, aujourd’hui composée de 65 personnes. Notre premier objectif, c’était de connaître, centraliser et rationaliser les initiatives autour de la data dans le groupe. Nous voulions aussi standardiser nos concepts, définitions (audience…) et indicateurs clés de performance.

Même si la mise en œuvre est décentralisée, nous avons conçu une gouvernance des données centralisée au niveau groupe.

Le premier cycle de travail sur notre projet a permis de centraliser en mettant en place une infrastructure commune et des fondations technologiques communes afin d’alimenter les filiales en outils. Par exemple, nous avons créé un outil de calcul d’audience pour nos supports en aéroport, construit sur des algorithmes pour modéliser les flux de voyageurs. Fondés sur les données de vols et des halls concernés, ils nous permettent de définir combien de voyageurs passent devant nos mobiliers publicitaires. Nous partageons ainsi une dizaine de plateformes avec une quarantaine de filiales.

Mais nous avions besoin de donner accès aux données au-delà du réseau d’outils et du réseau d’experts data.

Nos plateformes ne suffisent plus et les métiers avaient une vraie volonté d’accéder aux données brutes. Pour reprendre l’exemple de la mesure d’audience en aéroport, les responsables locaux peuvent avoir besoin d’études ad hoc pour tel ou tel annonceur. Nous voulions donc fournir un self-service BI et de l’outillage. Au lieu de laisser les filiales totalement indépendantes, nous avons choisi de centraliser la technologie et de décentraliser l’expertise. Pour cela, il nous fallait remplacer une simple page web avec des liens vers des outils par un vrai data portal offrant de la data as a service.

Le temps que l’on mette au point le contrat avec Pernod Ricard, nous avions accru notre maturité et évolué dans la définition de nos besoins. La signature a été annoncée publiquement par un communiqué le 6 septembre 2022.

Pourquoi ne pas avoir choisi une solution existante sur le marché de place de marché de jeux de données ?

Victor Azria : Nous préférions partir sur une alliance, un partage de solution que nous allons maîtriser, notamment sur sa feuille de route et son évolution. Nous voulions aussi garder la main sur la propriété intellectuelle. Et puis nous pouvions ainsi intégrer aisément les nombreux outils développés en interne.

Romain Nio : D’abord, il n’existait pas de solution satisfaisante pour nos besoins sur le marché. Et puis nous avions une préoccupation de prix de licence. Si chaque compte créé coûte une licence, on peut être tenté de limiter les usages ou le nombre d’utilisateurs. Là, nous pouvons développer les usages sans problème de coût de licence ou de coût de l’infrastructure.

Qui, aujourd’hui, utilise ce fameux portail ?

Romain Nio : Chez Pernod Ricard, 7 000 collaborateurs (sur 19 000) l’ont utilisé au moins une fois. Nous avons 5 000 utilisateurs uniques par mois et 1 000 par jour, ce qui le place parmi les sites internes les plus visités ! Nous avons pu constater un véritable effet boule de neige sans que l’on réalise une promotion particulière. Les utilisateurs sont de tous les services, de tous les pays, du PDG à l’employé opérationnel en usine.

Victor Azria : Nous voulons suivre cette même évolution mais, aujourd’hui, les utilisateurs sont, chez JCDecaux, surtout nos experts data. Nous avons de ce fait plus de 400 utilisateurs uniques par mois, surtout issus des fonctions marketing et commerciales. Nous sommes en période de croissance et d’ouverture à de nouveaux usages et utilisateurs.

Pourquoi cette forme originale d’une alliance et pas, par exemple, d’un GIE ?

Romain Nio : La décision a été prise par la direction juridique qui a estimé que la solution de l’alliance était la plus adéquate. Nous partageons la propriété intellectuelle avec des engagement financiers communs mais pas de liens perpétuels. C’est une solution très flexible.

Concrètement, qui fait quoi ?

Romain Nio : L’essentiel du code produit est commun, à frais partagés (ce qui est l’objectif premier de l’alliance), mais chacun peut apporter des spécificités à son implémentation. Chacun de nous héberge sa plateforme data chez AWS.

Victor Azria : Nous avons le même intégrateur (Neoxia) et celui-ci peut en effet nous faire des développements spécifiques. L’outil est installé sur deux instances différentes, avec évidemment deux jeux de données totalement séparés. Mais nous avons une stratégie commune sur l’évolution de l’outil. Nous avons ainsi dans les développements prévus un outil commun de data quality.

Romain Nio : Pour cet outil, Pernod Ricard est venu avec une technologie, JCDecaux aussi, les deux étant complémentaires même s’il y avait des zones de recouvrement. Nous allons prendre le meilleur des deux, sans faire de calculs d’apothicaires. Chacun amène le meilleur de ce dont il dispose, en bonne intelligence, sans calculer au centime les coûts respectifs. Nous avons un objectif commun d’accélérer la transformation digitale et data des deux groupes.

Victor Azria : Notre outil disposait d’une expérience utilisateur limitée mais d’un moteur très puissant. Chez Pernod Ricard, l’expérience utilisateur était extraordinaire mais le moteur moins puissant. En assemblant les qualités des deux, nous allons disposer d’un outil exceptionnel ! Nous avons chacun buté sur des sujets et nous connaissons tous les deux la valeur d’un travail commun pour apprendre l’un de l’autre.

Avez-vous prévu d’autres partenaires dans cette alliance ?

Romain Nio : Oui, nous avons des discussions en cours, plus ou moins avancées, avec cinq à dix groupes français internationaux.

Victor Azria : Evidemment, nous restons sur un principe : aucune société de l’alliance ne doit être concurrente avec une autre. Nous sommes plus forts à deux mais nous serons encore plus forts à trois, quatre ou plus si nous partageons la même vision de la data.

Romain Nio : Et si une autre entreprise nous rejoint, peut-être amènera-t-elle une force que nous n’avons pas. Au début, nous envisagions une alliance à quatre. Nous étions ravis de voir que les trois quarts de nos problèmes étaient similaires, avec, donc, peu de débats à avoir sur les fonctionnalités que nous allons développer.


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