Philippe Cuvelier (Covea) : « la mutualisation simpliste est satisfaisante mais ne fonctionne pas »
Le groupe de mutuelles d’assurances Covea (GMF, MMA, MAAF…) mène un vaste programme de refonte du SI. Philippe Cuvelier, DSI de Covea et membre du Comex Assurances France, en explique les enjeux et modalités.

Pouvez-vous nous présenter Covea ?
Covea est un groupe mutualiste d’assurances. Les principales mutuelles de Covea sont GMF, MAAF et MMA. Mais le groupe comporte aussi le réassureur Partner Re et il y a aussi d’autres mutuelles comme SMI, les Assurances Le Finistère, Covea Affinity, Assurland, Covea Insurance (Royaume-Uni)…
Nous sommes présents sur les marchés de l’assurance santé, de la prévoyance, de l’assurance-vie, de l’IARD… Bref, sur tous les segments de marché en contrats individuels ou collectifs. Nous revendiquons la première place en France sur l’IARD et sur la protection juridique.
Les primes acquises (équivalent du chiffre d’affaires) ont été de 27,7 milliards d’euros. Nos fonds propres sont de plus de vingt milliards d’euros. Nous avons 24 000 collaborateurs, 11,3 millions de sociétaires et clients, 3 millions de bénéficiaires santé pour 7,3 millions de personnes protégées, 7,3 millions d’habitations et 10,4 millions de véhicules protégés.
Comment est organisée votre IT ?
Je pilote en direct les SI des trois marques principales et celui des fonctions support groupe. Mais il y a un DSI par marque. Concernant Partner Re et les autres filiales, il y a une supervision groupe et une mutualisation sur les achats IT.
Le CISO m’est rattaché hiérarchiquement et au directeur conformité et finances fonctionnellement. Il est également patron du SOC et des grands programmes de conformité (RGPD, DORA…). Pour l’avoir vécu dans des banques, mettre le CISO dans une tour d’ivoire en espérant que le DSI tienne compte de ses recommandations, ce n’est pas très efficace. Nous avons fortement progressé en maturité en cybersécurité depuis ce choix.
Côté data, le CDO rapporte à la direction générale offres et services même si les moyens techniques de traitement de la data sont bien gérés par la DSI. Le CDO bénéficie d’un pool de data scientists et pilote la gouvernance des données.
Retrouvez Philippe Cuvelier à l’IT Night
Philippe Cuvelier est membre du jury des Trophées de l’IT Night. Il a donc assisté aux présentations des candidats le 30 avril 2025 et interviendra à la cérémonie le 26 mai 2025 au Théâtre Mogador à Paris.
Puisque l’on va parler de refonte, commençons par décrire le point de départ. Quelle était votre architecture initiale ?
Il y avait un SI par marque, on premise avec du mainframe. Une première rationalisation avait été opérée sur l’utilisation du mainframe avec une mutualisation pour les trois marques. L’assurance-vie avait aussi un SI par marque. Mais l’assistance client était mutualisée.
Quelle était votre stratégie de refonte ?
Notre stratégie a d’abord été de plateformiser et de centraliser avec une plateforme pour le CRM, une plateforme pour l’assurance-vie, une plateforme par fonction… A chaque fois, nous avions voulu avoir une forte orientation vers des progiciels. Mais cette première stratégie partait des outils et elle n’a pas apporté la valeur attendue. Certaines plateformes ont même été arrêtées.
La mutualisation simpliste est satisfaisante pour l’esprit mais elle ne fonctionne pas. Elle implique un abaissement de la valeur délivrée au lieu de l’accroître.
La mutualisation, pour fonctionner et apporter de la valeur, doit être intelligente, granulaire. Il peut être intelligent d’avoir des technologies communes, des modules communs (éventuellement instanciés plusieurs fois). En plus, si on mutualise tout sur un seul système, on accroît de fait le risque : un plantage est un plantage global.
Le progiciel est souvent associé à une fausse promesse : permettre de faire l’économie d’une réflexion métier et d’une réalisation IT. Plus on touche à la relation client et à la spécificité de la marque, plus la promesse progicielle est difficile à tenir. Il y a d’abord une explosion des coûts de build et ensuite un coût croissant pour des licences. Je préfère prendre le meilleur outil du groupe et le plateformiser pour le réutiliser sur une autre marque plutôt que de prendre un progiciel externe.
Bien sûr, pour les commodités (comptabilité, GRH, bureautique collaborative…), les progiciels s’imposent mais pas pour le coeur de métier. Notre comptabilité utilise, pour l’heure, l’ERP SAP ECC.
En quoi consiste le « Projet #1 » ?
Nous sommes l’assureur n° 1 en France, nous devons avoir la DSI n° 1 ! D’où le « Projet #1 ». La question que nous nous sommes posée est donc : qu’est-ce qui fera de nous la DSI n° 1 ?
Le premier point fondamental est d’être centré métier. Notre organisation devait être verticalisée : chaque métier doit avoir une équipe IT qui va lui répondre de bout en bout. Nous n’avons pas créé de centres de compétences (développement, test…) mais des communautés transverses aux équipes verticalisées. Toutes les équipes doivent avoir un esprit nativement transverse. Un corollaire important est qu’il faut valoriser l’expertise : les experts sont au niveau de rémunération et de hiérarchie des managers.
Chaque équipe verticale est autonome mais pas indépendante. Le pilotage s’effectue par la compétence et la valeur. Petit complément : le SIRH et la RH du SI sont gérés par la même équipe. Il en est de même pour le SI finance et la finance du SI.
Quels sont les autres axes forts du « Projet #1 » ?
Le modèle opérationnel est commun basé sur le mode produit. Même si personne ne va à la même vitesse, tout le monde utilise le même modèle opérationnel. En 18 mois, nous avons gagné 10 % en productivité.
Nous capitalisons sur des « accélérateurs », des modules développés pour un usage commun. Par exemple, nous avons un tel « accélérateur » sur la dématérialisation intelligente (avec des services) : collecte de pièces, OCR, stockage au bon endroit… Ces accélérateurs sont utilisés partout mais ils sont découplés du coeur du SI et appelés en cas de besoin. Un bon exemple est aussi la dizaine de composants d’IA pour alimenter 75 cas d’usages.
Côté infrastructures, nous nous basons sur un Cloud Service Provider unique hybride permettant de recourir ç un cloud privé avec du cloud public sécurisé en débord. Pour valoriser notre patrimoine, nous le migrons progressivement vers ce cloud hybride.
Quelle est votre cible de transformation ?
Tout le SI coeur métier devra être en mode produit et industrialisé comme un cloud. Tout notre SI devra aussi être sur le Cloud Hybride. La partie mainframe/Cobol peut être incluse pour les transactions élémentaires. Mais il ne faut jamais en perdre la valeur. Migrer le patrimoine mainframe serait d’ailleurs ruineux. Les problèmes d’obsolescence ne sont pas sur le mainframe/Cobol mais plus sur des technologies de type client-serveur, Smalltalk…
Même le poste de travail est traité en mode produit.
Vous avez créé des « clubs ». Pour quelle raison ?
La DSI compte environ 2000 personnes. Nous avons créé deux « clubs » : le « Club IT #300 » et le « Club IT #100 ».
L’IT #100, réunissant une centaine de personnes, comprend les managers et experts de premier rang au sein de la DSI (architectures, directeurs de programmes…). C’est le club des décideurs de la transformation. Il se réunit quatre fois par an et est force de propositions voire participe à la conception de la stratégie.
L’IT #300 comprend l’ensemble des experts et managers. Il est un peu plus dans l’exécution. C’est plus une communauté avec des réunions physiques une fois par an.
A ces clubs s’ajoutent bien sûr des réunions sur chacun des sites avec des kiosques présentant les éléments de la transformation au sein de la DSI. Et, au sein des directions métiers, on organise des événements destinés aux comités de direction.
L’IT est présentée partout dans toutes les instances métiers où elle peut être. Cela a pu se faire parce que la confiance dans l’IT s’est accrue grâce aux gains sur la qualité de service, sur la transparence et sur la pédagogie.
Pour terminer, quels sont vos défis pour les mois et les années à venir ?
En tout premier lieu, il s’agit d’accompagner les métiers sur les objectifs stratégiques en matière de rentabilité et d’attractivité des marques.
Ensuite, il s’agit d’accélérer sur ce dont on a fait la preuve de valeur. Les investissements ont pour objet d’accélérer la transformation en tenant compte de l’obsolescence technique et de l’obsolescence fonctionnelle.
Enfin, il nous faut maîtriser nos coûts liés aux progiciels et à la migration cloud de ceux-ci. C’est en ce moment le cas pour la gestion de centre de contacts Genesys. Dans ce genre de cas, on a souvent des propositions de prix trois ou quatre fois supérieures à la version on premise.
Podcast - Covea mutualise mais pas n’importe comment
Le groupe Covea comprend un certain nombre d’entités dont les plus importantes sont GMF, MAAF et MMA ainsi que le réassureur Partner Re. De fait, il existait de nombreux SI très hétérogènes et une rationalisation s’est évidemment imposée. Mais Philippe Cuvelier, DSI de Covea, explique comment une mutualisation efficace et porteuse de valeur doit être menée.