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Didier Bove (Veolia) : « le numérique accompagne notre transformation écologique »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Head of Digital Business & Technology de Veolia Group, Didier Bove explique ici la stratégie numérique de ce groupe dédié à l’environnement. Si la migration Cloud a été un marqueur des dernières années, aujourd’hui l’empreinte environnementale est devenu le défi majeur.

Didier Bove est Head of Digital Business & Technology de Veolia Group. - © Veolia
Didier Bove est Head of Digital Business & Technology de Veolia Group. - © Veolia

Aujourd’hui, comment peut-on décrire le groupe Veolia ?

Notre groupe a été la première société du CAC 40 à se doter d’une raison d’être. La nôtre est : « être leader de la transformation écologique ». Nous parlons bien d’une « transformation », pas d’une « transition ». Il s’agit en effet d’une transformation en profondeur, d’adopter une écologie humaine, pour garantir l’accès à l’eau et au développement économique par exemple.

Nous sommes présents dans une cinquantaine de pays avec trois grands métiers : l’eau, l’énergie et la propreté. Le pôle eau concerne la distribution d’eau potable, le traitement des eaux usées, le traitement des pollutions complexes, le re-use (réutilisation de l’eau usée après traitement)… Le pôle énergie comprend la production de chaud et de froid, la production d’énergie verte, ainsi que les prestations de services en efficacité énergétique des bâtiments tertiaires. Enfin, la propreté renvoie à la collecte et au traitement des ordures ménagères, à la valorisation et au traitement des déchets, y compris les déchets dangereux.

De manière transverse, nous travaillons sur la décarbonation tant de nos activités propres que de celles de nos clients, et nous produisons de l’électricité, par exemple à partir de la méthanisation. En 2027, 100 % de nos productions de carbone liées à nos activités (gasoil des véhicules, consommation électrique et de gaz, etc.) seront compensées par notre production d’énergie verte. D’ici 2032, nous réduirons de moitié notre production nette de CO² et, en 2050, nous les amènerons à 0.

Actuellement, nous fabriquons des usines pour récupérer les métaux rares des batteries de véhicules électriques. Nous allons donc devenir producteur de matière première secondaire, servant ainsi notre capacité souveraine en éléments stratégiques.

Comment est organisé le numérique dans le groupe Veolia ?

La direction Digital Business & Technology couvre les trois activités IT, digital et data. En transverse aux métiers du groupe, l’IT délivre les socles technologiques, la data se concentre sur le nécessaire à la mesure, à la valorisation et au pilotage des activités et, enfin, le digital la mise à disposition de solutions digitales pour accroître l’efficience de nos activités. Demain, nous allons packager des solutions digitales sous forme de produits commercialisés, la première devant être, d’ici fin 2023, une solution soutenant l’efficacité énergétique des bâtiments.

Par nature de ses métiers très locaux, Veolia est globalement très décentralisée avec une organisation par zones géographiques et par métiers. Côté IT, nous avons une DSI par pays et une structure chapeau par zone. Le board, organe de pilotage de DB&T, regroupe les douze DSI de zones et le comité de direction DB&T central. Les grandes décisions sont prises au niveau du board et déclinées ensuite localement par chaque DSI. Tous les choix technologiques sont communs et l’IT est opérée localement, parfois avec des contraintes locales qui justifient des écarts par rapport à la stratégie groupe.

Retrouvez Didier Bove à l’IT Night

Didier Bove est membre du jury de l’IT Night et sera donc amené à juger des projets présentés aux Trophées de cette soirée. Plus d’informations sur l’IT Night.

Quelles sont les grandes lignes de votre architecture IT ?

Nous opérons centralement quelques services mis à disposition du monde entier : backbones réseau, ITSM Service Now, solution collaborative Google… Notre orientation est Cloud First, avec des compétences en central sur AWS et GCP. En Chine, nous utilisons bien sûr Alibaba mais il n’y aura donc de ce fait pas de capacité de support central avec les outils développés pour AWS et GCP. L’harmonisation se fait autour de solutions validées centralement et listées sur un catalogue central.

Par exemple, nous avons un contrat groupe pour le CRM Salesforce mais les implémentations sont bien locales. Le niveau de support assuré par les fonctions groupe va dépendre de la maturité de l’entité concernée.

Nous disposons d’un datalake central. Et nous avons développé au niveau groupe un modèle de datadesk local dont le déploiement peut se faire de manière industrialisée dans une entité, aisément et sans expertise importante.

Côté ERP Finances, nous avons deux références listées, SAP et Workday. Mais, historiquement, d’autres choix peuvent avoir été faits ici ou là. En alignement avec notre stratégie générale, quelques pays disposant actuellement de SAP ECC 6 sont en train de migrer vers SAP S/4Hana avec l’offre Rise sous GCP ou AWS.

Justement, qu’est devenu votre grand programme de migration dans le cloud public ?

Jusqu’en 2012, chaque pays était assez autonome. En 2012, Antoine Frérot, notre PDG de l’époque, a lancé le programme “One Veolia” dans lequel l’IT a été le premier facteur d’unité avec un large déploiement de la plateforme collaborative Google. Dans la suite, mon prédécesseur Jean-Christophe Laissy a lancé le programme SATAWAD« Secure, Anytime, Anywhere, Any Device » avec une migration massive dans le cloud et la mise à disposition de la data au service des métiers. Il s’agissait, de fait, de bénéficier des capacités technologiques des acteurs du cloud au service de nos métiers.

Depuis 2019, nous avons pris la suite de ce programme pour encore mieux servir nos opérations à partir des opportunités technologiques disponibles et la proximté avec nos business au travers des solution digitales. Cela fait donc plus de dix ans que nous conservons la même stratégie, avec pour chaque période son style et son objectif propre. A la fin 2021, la bascule cloud était achevée à 70 % dans l’ensemble du monde, à 100 % en France, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et largement avancée en Australie ou en Amérique du Sud.

En janvier 2022, quand la fusion avec Suez a été effective, nous sommes repartis pour une harmonisation avec la mise en œuvre de synergies et de fusions. Suez était aussi très décentralisé et misait sur un couple on premise / Microsoft Azure. Pour la partie de Suez qui est restée séparée de Veolia, nous avons des accords de services jusqu’à la fin de 2023.

Dans un tel contexte très Cloud, comment se passent les relations avec vos fournisseurs IT ?

Le Cigref a communiqué récemment sur son agacement vis-à-vis de fournisseurs qui annoncent des augmentations de prix tout à fait inacceptables. Nous ne pouvons qu’approuver.

Avec notre fusion avec Suez, chaque fournisseur est venu toquer à la porte. J’ai été très sensible aux efforts de Google et SAP, moins satisfait de la réaction d’autres acteurs historiques de l’IT.. *Vous êtes un grand groupe mondial. Parvenez-vous à nouer des relations avec des start-ups pour innover ?

C’est vrai que ce n’est pas natif… Nous sommes en train d’achever le plan 2020-2023 et nous allons commencer le 2024-2027. L’innovation y prendra un poids important, notamment en nous appuyant sur des start-ups.

Nous avons une expérience intéressante avec une start-up, en France, pour accroître l’efficacité d’une station d’épuration par exemple. Mais, si nous voulons bénéficier de l’innovation et de l’énergie de la start-up, il nous faut respecter nos fondamentaux comme la cybersécurité.

Un domaine où il est assez aisé de s’appuyer sur des start-ups, c’est la data. Derrière une innovation médiatique comme ChatGPT, il y a beaucoup de solutions qui voient le jour, par exemple pour documenter et accélérer les développements, développer des produits digitaux innovants, etc.

Pour innover, « l’effet groupe » est très important car nous avons six data scientists en central et une centaine au niveau groupe.

La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?

Oui, bien sûr.

Parmi nos actions, citons le fait que nous parrainons une promotion de l’école Telecom ParisTech. Nous cherchons surtout à mieux faire connaître nos besoins et les métiers au service de l’environnement.

Comment améliorez-vous l’expérience collaborateur, facteur-clé de fidélisation ?

Tous les ans, nous éditons une feuille de route « What Binds Us » (ce qui nous lie) : un programme décrivant quinze principes de management voire de leadership. Pour notre migration cloud, nous avons beaucoup investi sur les savoir-faire. De ce fait, il y avait un certain déséquilibre avec les savoir-être. Le recrutement, l’entrée en fonction (on boarding), l’évaluation, le départ (off boarding)… sont orientés par « What Binds Us ». Par exemple, l’un des entretiens lors de la procédure de recrutement est dédié à l’adéquation du candidat avec nos valeurs et nous demandons une auto-évaluation annuelle sur le respect de nos principes.

En appui à cette politique générale, nous avons trois programmes pour améliorer l’expérience collaborateur. Tout d’abord, « Click & Visit » : une sorte de « vis ma vie » par lequel chaque collaborateur doit visiter une usine au moins une fois tous les deux ans. Ensuite, nous avons « Solidar’IT », un ensemble d’actions à visée sociale ou environnementale qui joue aussi le rôle de team building, par exemple un nettoyage de plage réalisé tous ensemble. Enfin, “Creation Days”, au travers duquel nous libérons du temps de collaborateurs pour qu’ils puissent s’investir dans des actions qui ne sont pas incluses dans nos projets. Par exemple, un datascientist a travaillé sur un modèle de propagation du Covid-19 à partir des détections dans les effluents des égoûts.

Toujours pour améliorer l’expérience collaborateur, nous permettons le télétravail dans des sites de proximité Veolia, ce qui réduit le temps de trajet sans que le collaborateur soit isolé chez lui.

Dans le cas d’une démission, nous veillons à toujours recevoir le partant pour comprendre les raisons de son départ et en tirer des enseignements pour améliorer la fidélisation.

Il y a cinq parties prenantes à garder en équilibre : la planète, les employés, les clients, la société et nos actionnaires. « What Binds Us » nous oblige mais c’est un levier majeur pour retenir les talents.

Vous insistez sur votre implication pour l’environnement. Pouvez-vous nous parler plus généralement de votre politique RSE ?

Dans le cadre de notre politique RSE, nous réduisons de 30 % nos surfaces de bureaux. Nous veillons également à réduire le nombre d’écrans et à prolonger la durée de vie des terminaux. Bien entendu, nous cherchons à réduire autant que possible les voyages internationaux pour y substituer des visioconférences.

Afin d’éviter le green washing, nous réalisons une double comptabilité, à la fois financière et carbone. Nous affichons aujourd’hui une baisse mesurée de 50 % de nos émissions CO² par rapport à 2019.

Quels sont vos grands défis actuels ?

Bien sûr, les ressources humaines représentent un de nos défis majeurs.

Surtout, le numérique se doit d’accompagner la transformation écologique de Veolia, en particulier la décarbonation et la production énergétique. Cela passe notamment par la mise à disposition de solutions et de produits digitaux s’appuyant sur l’IT (notamment l’IA) et la data.

Podcast - Des solutions digitales pour améliorer l’efficience opérationnelle

Acteur majeur de l’environnement dans le monde, le groupe Veolia s’appuie sur trois métiers principaux : l’eau, la propreté et l’énergie. Ses 220 000 collaborateurs lui permettent de générer 43 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’IT a un rôle bien au-delà de sa fonction support. Il s’agit d’accompagner les opérations et d’en accroître l’efficience, notamment grâce à des solutions digitales comme l’explique Didier Bove, Head of Digital Business & Technology de Veolia Group.