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Antoine Trillard (Coter Numérique) : « les éditeurs poussent au SaaS… en décuplant les prix ! »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Le Coter Numérique, club informatique des collectivités territoriales, vient de boucler son Congrès dont le thème était la sobriété numérique. Mais d’autres sujets préoccupent les DSI de collectivités territoriales comme l’inflation des tarifs des éditeurs ou la cybersécurité.

Antoine Trillard est président du Coter Numérique et DSI de la ville de Chelles (Seine-et-Marne). - © Coter Numérique
Antoine Trillard est président du Coter Numérique et DSI de la ville de Chelles (Seine-et-Marne). - © Coter Numérique

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le Coter Numérique ?

Le Coter Numérique est une association qui réunit environ 200 collectivités territoriales de toutes tailles, de la petite communauté de communes à la région en passant par la majorité des départements et des grandes villes. Le budget numérique cumulé de nos membres est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.

Outre notre Congrès annuel, nous organisons six à huit groupes de travail par an soit entre nous, soit sur un retour d’expérience sur le déploiement d’une solution dans une collectivité. Nos groupes de travail sont hybrides, présentiels et en visioconférence, et réunissent jusqu’à une centaine de personnes.

Justement, vous venez de tenir votre Congrès, à Deauville les 20 et 21 juin 2023, sur le thème de la sobriété numérique. Que doit-on en retenir ?

Le Congrès a accueilli 900 participants représentant 271 collectivités différentes (plus que les seuls membres donc). Environ la moitié des présents sont des partenaires. L’objet du Congrès est de nous regrouper avec nos pairs alors que notre écosystème est très spécifique, notamment au niveau des progiciels métiers. Dans les sujets qui animent les discussions, nous avons beaucoup évoqué l’intelligence artificielle, précédemment la cyber-sécurité et, cette année, nous avons travaillé autour de ChatGPT. Outre les tables rondes et les plénières, le Congrès est aussi l’occasion d’organiser 80 ateliers avec nos partenaires.

Concernant la sobriété numérique, en quoi les collectivités territoriales ont des spécificités ?

Les collectivités de plus de 50 000 habitants ont en effet des obligations légales particulières. Et l’un des sujets étudiés au Congrès a été, justement, d’identifier ce qui peut et doit être fait.

Cela dit, pour des raisons budgétaires, nous faisons de la sobriété numérique depuis longtemps. Il nous est demandé de baisser notre consommation d’énergie, d’allonger la durée de vie des matériels, de réutiliser dans les écoles les machines administratives en fin de premier usage, de changer les disques durs par des SSD et d’augmenter la mémoire pour faire durer des terminaux, de limiter le nombre de terminaux par agent (entre les smartphones, les PC fixes, les PC portables, les tablettes….), etc.

Quand on achète du matériel, il faut toujours se poser la question : est-ce vraiment nécessaire ? Dans ma commune, pour prendre un exemple, nous avons mis en place une solution pour gérer l’extinction automatique des PC. Il y a aussi une tendance forte à diminuer le nombre d’imprimantes et à installer uniquement des multifonctions départementaux.

Il faut parfois se méfier de fausses bonnes idées car, par exemple, la fabrication d’un écran OLED a un coût environnemental très élevé et remplacer les écrans LCD qui, certes, consomment plus d’énergie n’est finalement pas du tout pertinent.

Prochainement, la dématérialisation des factures inter-entreprises va être obligatoire. Elle l’est déjà dans le secteur public. Comment se passe la relation avec la plate-forme Chorus-Pro ?

Pour nous, ce n’est plus un soucis depuis déjà plus de cinq ans. L’automatisation des procédures et l’intégration automatique avec notre système financier sont une réalité.

De la même façon, l’approche « Dites-le nous une seule fois » suppose des interconnexions avec des systèmes d’État. Est-ce que cette intégration se passe bien ?

Le « Dites le nous une seule fois » est évidemment une excellente chose. En récupérant des informations comme le revenu fiscal dans le SI de la DGFiP, nous évitons de demander beaucoup d’informations et de justificatifs aux usagers. La numérisation des démarches évite également de nombreux déplacements. Cependant, afin d’éviter la fracture numérique, nous maintenons toujours une possibilité de réaliser les démarches en présentiel.

Cependant, il peut arriver des mauvaises surprises. Par exemple, nous avions intégré début 2022 l’API Particuliers pour récupérer automatiquement certaines informations auprès de la DGFiP mais, soudain, un changement dans les procédures nous a obligé à refaire l’intégration.

Les collectivités suivent-elles l’approche « cloud au centre » de l’État avec la même philosophie ?

Les collectivités ont encore beaucoup de datacenters internes. Lorsque se créent de nouveaux regroupements ou de nouvelles collectivités, comme il faut partir de zéro, le cloud est alors souvent adopté.

Les éditeurs de nos logiciels métiers nous poussent à basculer vers le SaaS. Mais parfois en décuplant les prix ! J’ai un exemple où l’on passe de 3400 euros par an à 33 000 ! Il est évidemment impossible de réaliser la bascule dans ce cas, pour de simples raisons budgétaires. Vous imaginez la situation avec une centaine d’applications métiers !

Lorsque l’on adopte le cloud, la tendance est donc plutôt au IaaS.

Comme le président du Cigref le mentionnait dans nos colonnes la semaine passée pour les grandes entreprises privées, l’inflation injustifiée et exagérée de la part de fournisseurs vous concerne donc aussi ?

Tout à fait. Quand on renouvelle un marché, il arrive que le fournisseur nous avertisse qu’il ne propose plus que le SaaS, avec une augmentation substantielle ! Donc soit on accepte l’inacceptable, soit on relance une procédure complète d’appel d’offres, sans garantie, au final, d’avoir une solution dont le coût total de possession (y compris l’éventuelle migration et la formation des personnels) soit meilleure.

Je ne comprends pas cette inflation délirante des tarifs pratiqués par les éditeurs. Le SaaS leur simplifie considérablement la vie en leur donnant la main sur les mises-à-jour et en unifiant leur base installée, même s’il y a un coût technique d’hébergement.

Je crains que les mauvaises pratiques des grands éditeurs mondiaux ne donnent des idées à d’autres.

Quelles sont les tendances en matière de projets dans les collectivités locales ?

On retrouve l’intelligence artificielle, la data, la sobriété numérique… Le stockage des données et leur bonne exploitation sont un gros sujet actuellement. Quant à l’IA, elle ouvre de nouvelles perspectives sur de nombreux services.

Les collectivités territoriales sont-elles concernées par la guerre des talents ?

Encore plus que les entreprises ! Et ce pas seulement dans l’informatique mais dans tous les domaines techniques. Un ingénieur territorial au premier échelon a un salaire de base très légèrement supérieur au SMIC. Dans tous les métiers d’expertise, l’écart avec le salaire dans les entreprises privées ne cesse de s’accroître. Et le télétravail est bien plus développé dans le secteur privé, entraînant une qualité de vie meilleure. Notre force, c’est de pouvoir recruter des agents résidant à proximité immédiate de leur domicile mais c’est très compliqué de recruter quelqu’un à une heure de transport.

Pour terminer, quels sont les défis actuels en matière de numérique dans les collectivités ?

Sans surprise, je pense que le principal défi actuel des collectivités est la cybersécurité. Nous sommes trop souvent pris en défaut. Nous avons, pour cette raison, des travaux en cours, notamment avec l’ANSSI.