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Facturation électronique obligatoire : simplification pour les entreprises et Etat data driven

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Cet article est référencé dans notre dossier : Les 15 interviews les plus lues en 2023

Simplifier les relations fournisseurs et les obligations déclaratives des entreprises ainsi qu’améliorer la connaissance des flux économiques par l’État sont les enjeux majeurs de la facturation électronique obligatoire qui sera mise en œuvre à compter de mi-2024. Céline Frackowiak, directrice du projet Facturation électronique à la DGFiP (Direction Générale des Finances Publiques) pour la maîtrise d’ouvrage, et Sabrina Hué, directrice de projet transverse facturation électronique à l’AIFE (Agence pour l’Informatique Financière de l’Etat), pour la maîtrise d’oeuvre, nous expliquent les tenants et aboutissants de cette révolution.

De gauche à droite :  Sabrina Hué (AIFE) et Céline Frackowiak (DGFiP) - © Républik IT / B.L.
De gauche à droite : Sabrina Hué (AIFE) et Céline Frackowiak (DGFiP) - © Républik IT / B.L.

Quels sont les objectifs de la réforme rendant obligatoire la facturation électronique entre entreprises ?

Céline Frackowiak : La réforme est menée par la DGFiP (Direction Générale des Finances Publiques), comme porteur du projet et maître d’ouvrage, et l’AIFE (Agence pour l’Informatique Financière de l’État) pour opérer le portail public appuyé sur l’actuel Chorus-Pro. Elle a plusieurs ambitions.

La première est une simplification du quotidien des entreprises. Comme cela a déjà pu être constaté en Italie ou en Amérique Latine, il y a de vrais gains d’efficacité sur la chaîne de facturation, permettant aux entreprises françaises de trouver des marges de compétitivité.

Comme la TVA impacte le prix, la réforme vise aussi à favoriser une concurrence loyale et juste en améliorant la lutte contre la fraude à la TVA. En Italie, où obligation similaire date de 2019, un gain de deux milliards d’euros a été observé sur la collecte de la TVA.

A terme, quand le dispositif sera totalement généralisé, les entreprises bénéficieront également d’une simplification des obligations déclaratives, notamment la déclaration de TVA qui sera pré-remplie.

Enfin, le dispositif permettra une amélioration de la connaissance en temps réel de l’activité économique des entreprises et donc le pilotage des politiques publiques. Par exemple, il pourra enrichir le dispositif ‘Signaux faibles’ réalisé en partenariat entre la DGFiP, les URSSAF et la Direction Générale des Entreprises (DGE) du ministère des Finances. Ce dispositif vise à améliorer la détection et l’accompagnement des entreprises en difficulté. La statistique publique et les analyses de l’INSEE pourront également se trouver enrichies, dans le respect de la réglementation applicable.

Depuis 2020, toutes les factures destinées au secteur public (du boulanger facturant son pain à une cantine scolaire à EDF) doivent obligatoirement être dématérialisées en passant par le portail Chorus Pro. Quel bilan tirez-vous de cette première obligation de facturation électronique ?

Sabrina Hué : Le déploiement de Chorus Pro s’est déroulé progressivement de 2017 à 2020 mais les premiers travaux sur le portail ont commencé en 2015. Aujourd’hui, effectivement, toutes les entreprises voulant adresser une facture au secteur public (collectivités, Etat, établissements publics…) doivent utiliser Chorus Pro. Le portail a 1,4 million d’utilisateurs identifiés correspondant à 850 000 entreprises. Nous avons traité 74 millions de factures en 2022 et, en cumulé, 281 millions depuis 2017.

Il existe trois canaux de transmission : le portail (environ 37 % des factures, 97 % des entreprises), l’EDI (environ 49 % des factures) et l’API (environ 14 % des factures). Le portail est plutôt destiné aux TPE/PME, API et EDI aux entreprises qui ont un certain volume et des automatisations.

Avec Chorus Pro, il n’y a pas de schéma en Y : toutes les administrations y sont directement inscrites et toutes les entreprises doivent l’utiliser en direct. Les délais de paiement ont été maîtrisés selon l’Observatoire des Délais de Paiements. Le portail Chorus Pro a évolué au fil du temps, notamment pour améliorer la terminologie employée, pas toujours très compréhensible par des comptables du secteur privé, l’ergonomie générale…

Céline Frackowiak : Le processus de stabilisation des spécifications a été une co-construction avec les entreprises et les éditeurs de logiciels. Il était nécessaire de commencer ces travaux de concertation de bonne heure pour pouvoir procéder par itérations régulières avec l’ensemble des parties prenantes. La première version des spécifications a été mise à disposition dès septembre 2021 et la version cristallisée à l’été 2022. Grâce à ces travaux, nous avons pu bien appréhender les vraies problématiques et processus des entreprises et des éditeurs de logiciels intervenant dans la mise en place du SI des entreprises.

Vous avez parlé du « système en Y ». Pouvez-vous expliquer ce dont il s’agit ?

Céline Frackowiak : Il s’agit d’associer l’expertise du secteur public et l’expérience du privé. Les entreprises auront donc le choix entre déposer directement leurs factures sur le portail public ou bien passer par un service privé agréé pour interagir avec le portail public (les deux branches du Y), que nous nommons PDP (plate-forme de dématérialisation partenaire) et qui transmettront au portail public (le pied du Y) les données attendues par l’administration.

Un tel mécanisme n’est pas unique au monde, même s’il est rare en Europe. Nous avons testé, lors de nos travaux préparatoires, les différents modèles possibles auprès des fédérations professionnelles. Le modèle en Y a été retenu car nous n’inventons pas la facturation électronique, nous la généralisons. Nous voulons donc respecter l’écosystème existant, les investissements déjà consentis par de nombreuses entreprises, et bénéficier ainsi du meilleur des deux mondes. Le portail public assurera donc un « service minimum », les initiatives privées existant déjà et pouvant être des sources d’émulation.

Sabrina Hué : De fait, l’écosystème existe. Mais parfois avec des normes particulières, comme le déjà ancien Edifact. Le portail public accepte les documents à la norme EN16931 : les fichiers structurés UBL ou C2I ainsi que les Factur-X (PDF et métadonnées structurées). Le schéma en Y permet aux entreprises de continuer à échanger avec leurs formats habituels dans leur écosystème et le PDP fera la conversion pour la transmission au portail public. Le Mexique a dix ans d’avance sur nous et a adopté cette même philosophie. 

Quel est le calendrier de mise en place du système ?

Sabrina Hué : Dès le 1er décembre 2023, nous mettrons à disposition des PDP et des éditeurs une plate-forme de qualification pour transmettre des flux fictifs afin de tester les solutions.

Au 1er janvier 2024 commencera la phase pilote. Quelques centaines d’entreprises de toutes tailles vont tester en mode réel, sur les différents canaux (PDP ou directement via PDF, EDI ou API), l’envoi de factures dématérialisées. L’objectif est de vérifier que tous les cas de gestion sont bien pris en compte.

Au 1er juillet 2024 commencera la généralisation. En réception, cela concernera tout le monde. En émission, seules les grandes entreprises (selon les critères de la LME 2008 avec une référence à l’année A-1) seront soumises à l’obligation. Au 1er janvier 2025, les ETI les rejoindront puis, au 1er janvier 2026, toutes les autres entreprises.

Concrètement, comment fera-t-on pour émettre et recevoir des factures ?

Céline Frackowiak : La première question à se poser est de savoir quel est le besoin de l’entreprise et en fonction, de déterminer s’il est mieux couvert par une PDP ou le portail public, les premières proposant une offre à valeur ajoutée alors que le second propose un service de base. Les entreprises ont donc le choix de leur plateforme, au mieux de leurs intérêts. 

Sabrina Hué : Si l’entreprise choisit de réaliser un dépôt direct sur le portail public d’un PDF, les données vont faire l’objet d’OCR pour remplir un formulaire que le déclarant validera, le cas échéant après corrections. Mais le destinataire de la facture a lui aussi le choix de son portail ! C’est la raison pour laquelle nous opérons un annuaire des destinataires assujettis à la TVA. Si le destinataire a choisi une PDP, le portail public lui enverra la facture au format Factur-X. S’il n’a pas choisi de PDP, la facture sera mise à disposition à son attention sur le portail public. S’il n’a pas exprimé de choix explicite, le portail public sera le canal par défaut mais, dans ce cas, nous informerons le destinataire du fait qu’une facture l’attend. Le processus pour réaliser cette information n’est pas totalement fixé à ce jour.

Si l’émetteur et le destinataire ont fait des choix techniques différents (PDP ou non, format de factures…), cela n’a pas d’importance. : le système fera les conversions nécessaires. Nous pensons que les grandes entreprises doivent aussi jouer un rôle d’information de leurs prestataires afin que ceux-ci fassent rapidement un choix explicite.

Céline Frackowiak : A terme, nous attendons deux milliards de factures par an. Nous sommes des chefs d’orchestre mais chacun doit jouer sa partition. L’administration accompagnera les entreprises vers le passage à la facturation électronique en étant aussi aidante que possible. Toutefois, la dynamique doit aussi être partagée par les entreprises. Nous attendons donc de la communauté des relais (experts-comptables, fédérations professionnelles, grandes entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants…) que chacun joue son rôle dans la réussite de cette réforme structurante.


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