Sébastien Marie (Matmut) : « il faut commencer maintenant à s’intéresser au quantique »
La mutuelle Matmut, en plus de nombreux autres chantiers, s’est lancée dans l’informatique quantique. Sébastien Marie, CTO de la Matmut, l’explique.

La Matmut est une mutuelle d’assurances. Pourquoi s’intéresser maintenant à l’informatique quantique ?
Tout d’abord, je voudrais signaler que, pour une fois, l’Europe (et la France) n’est pas une simple spectatrice des guerres technologiques sino-américaines. C’est donc d’autant plus important de promouvoir cette technologie pour combattre nos dépendances. Et la France est particulièrement bien placée.
Alors, oui, je peux comprendre que l’on trouve étonnant que nous nous intéressions à l’informatique quantique.
Mais la promesse de l’informatique quantique, c’est de traiter les sujets complexes avec une consommation de ressources (notamment en temps) raisonnable. Or, comme beaucoup d’autres secteurs, l’assurance est confrontée à des algorithmes complexes. Dans notre domaine, il s’agit des travaux des actuaires, de la gestion des risques, etc.
Actuellement, nous pouvons être amenés à simplifier des algorithmes en abandonnant certaines données ou contraintes pour qu’ils puissent s’exécuter mais, de ce fait, cela pose parfois des soucis d’« explicabilité » des résultats.
Nous attendons des progrès majeurs sur le matériel de l’informatique quantique sous quatre à cinq ans. Il existe aujourd’hui deux types d’ordinateurs quantiques : ceux dits « universels », qui ne seront pas suffisamment matures avant 2029 selon les feuilles de route des constructeurs, et ceux dits « analogiques » (Pasqal, D-Wave…) qui sont utilisables aujourd’hui.
Or il faut trois à quatre ans pour acculturer les équipes et les former au formalisme mathématique et à la conception d’application tirant partie des spécificités des ordinateurs quantiques. Il faut donc commencer maintenant à s’intéresser au quantique.
Retrouvez Sébastien Marie au Disruptiv’Summit
Sébastien Marie témoignera au Disruptiv’Summit qui se déroulera les 9 & 10 décembre 2025 à l’Hôtel Le Royal Deauville. Il interviendra sur l’atelier « comment le quantique peut-il contribuer à la réussite des métiers ? »
Quels résultats avez-vous concrètement obtenus ?
Nous menons deux initiatives. La première a été lancée il y a entre deux et trois ans et concerne la tarification. Et nous venons de commencer à travailler sur une deuxième autour de la lutte contre la fraude.
Je ne rentre pas dans le débat scientifique quant à la réalité de l’avantage quantique actuel par rapport aux supercalculateurs traditionnels. En tant qu’industriel, je commence à tirer de la valeur si je parviens, en mixant cette technologie avec les approches traditionnelles CPU / GPU, à obtenir de bons résultats sans dérive budgétaire. Tout en débutant la formation des équipes, ce qui représente déjà un avantage en soi.
Sur la tarification, nous avons à faire face à une problématique classique d’optimisation. Nous mesurons, comme tout le monde, notre performance au travers d’indicateurs clés (KPI). En l’occurrence, c’est notamment le ratio sinistralité sur cotisations (indemnisations versées sur les souscriptions collectées, ratio S/C). Ce ratio doit être évidemment inférieur à 1… mais pas trop ! En effet, si le ratio est trop bas, cela signifie que notre tarif est trop élevé et que nous risquons une attrition de nos adhérents.
Dans l’assurance, la fixation du tarif est parmi les problèmes les plus compliqués. Les critères sont de plus en plus nombreux et les matrices de plus en plus complexes, notamment sur l’assurance automobile avec une typologie des véhicules qui s’étend (électriques, hybrides, SUV, etc.). Actuellement, nous sommes obligés de simplifier les traitements.
Notre approche a été de revoir nos méthodes de clustering de données. Nous avons des nuages de points et nous devons créer les bons regroupements en tenant compte de trois contraintes : le nombre de regroupements souhaités, leur étendue et la place relative des barycentres de chaque groupement de points. Nous avons ensuite « traduit » ce problème de classe de complexité élevée dans un formalisme mathématiques appelé QUBO (Quadratic Unconstrained Binary Optimization) permettant de trouver, nous l’espérons, la meilleure solution possible. En effet, les ordinateurs quantiques analogiques sont bien adaptés aux traitements des QUBO. Il s’arrêtent « naturellement » sur le meilleur résultat correspondant au minimum de la fonction QUBO. En un nombre restreint d’exécutions, je peux trouver la solution optimisée à mon problème.
Depuis deux ans, nous travaillons sur ce sujet. Actuellement, nous étudions quels auraient été nos résultats (ratio S/C) en 2022, 2023 et 2024 si nous avions utilisé cette approche quantique plutôt que l’approche traditionnelle pour notre clustering de données. Comme les résultats sont, de fait, connus, nous pouvons vérifier si cette technologie peut d’ores et déjà nous apporter de la valeur.
Avez-vous acquis un ordinateur quantique ?
Non, nous utilisons les ressources mises à disposition par les constructeurs dans le cloud. Nous travaillons avec QBitsoft pour mener nos travaux. La charge de calcul quantique est envoyée sur les machines quantiques de D-Wave quand c’est nécessaire avant que le résultat soit réinjecté dans la chaîne classique de traitement avec les CPU/GPU. Les capacités quantiques sont achetées par QbitSoft et nous les utilisons pour nos besoins.
Quels sont les prochaines étapes ?
Le deuxième cas d’usage est sponsorisé par l’assurance santé. Nous verrons si c’est pertinent, sur celui-ci, de remplacer ou plutôt de compléter le calcul classique.
A propos de la Matmut
La Matmut est une mutuelle d’assurances généraliste avec 4,6 millions de sociétaires et gérant plus de 8,4 millions de contrats. Son siège social se situe à Rouen mais la mutuelle est présente dans toute la France métropolitaine, Corse incluse, avec un réseau de 480 agences et 6 grandes plates-formes régionales. En tout, la Matmut dispose de 500 sites et 6800 salariés dans son UES (Unité Economique et Sociale) composée de la SGAM et des différentes mutuelles adhérentes ou filiales (Matmut, MG, AMF, Mutlog…) pour réaliser 3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Généraliste, la Matmut couvre tout le champ des assurances : l’assurance dommage (IARD, 2,3 millions de contrats en multi-risque habitation et 2,9 en automobile), l’assurance santé (1,2 million de bénéficiaires)… Elle propose également des offres en « finances et patrimoine » : assurance-vie, épargne, etc. (284 000 clients).
Ses clients sont d’une part des particuliers et des professionnels (TPE, indépendants…), d’autre part des souscripteurs de contrats collectifs en santé.