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La manutention portuaire du Havre passe à la 5G privée pour sa fiabilité

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

La GMP (Générale de Manutention Portuaire) a déployé sur les terminaux portuaires havrais une 5G privée créée par Hub One, filiale du Groupe ADP. La première application concerne la sécurité des déplacements de véhicules.

Le Havre est le principal port à conteneurs en France. - © Samuel Salamagnon / GMP
Le Havre est le principal port à conteneurs en France. - © Samuel Salamagnon / GMP

La Générale de Manutention Portuaire (GMP) est la plus importante société de manutention portuaire en France. Elle opère sur trois terminaux du port du Havre (Terminal de l’Europe, Terminal des Amériques et Terminal de France sur Port 2000) pour plus d’une centaine d’hectares grâce à 1200 collaborateurs dont un millier de dockers. Annuellement, elle traite, 24 heures sur 24 et 362 jours par an, un million et demi de conteneurs (près de deux millions d’équivalents vingt pieds). Au-delà de la stricte manutention portuaire, GMP est également transporteur routier courtes distances et assure quelques services annexes (par exemple de la menuiserie pour les cales de transport). Pour ses usages, GMP devait déployer une nouvelle capacité réseau. Elle a choisi de confier à Hub One la création d’un réseau 5G privé.

Le contexte d’un port est en effet très particulier et avec des contraintes spécifiques qui justifient des choix techniques précis. GMP dispose ainsi d’un SI essentiellement on premise, d’une part pour garantir la confidentialité des données mais, aussi, d’autre part, pour éviter toute conséquence grave à un « coup de pelle » malheureux coupant une fibre reliant à Internet. « En zone sablonneuse, un câble peut bouger d’une vingtaine de mètres par rapport au plan » signale ainsi Patrick Labbé, directeur informatique de GMP. L’entreprise dispose donc de ses propres datacenters en actif-actif sur la zone portuaire. Certains progiciels courants sont utilisés : la paie sous Sage, Microsoft Dynamics… D’autres produits sont spécifiques au secteur, comme l’ERP portuaire Navis. Patrick Labbé indique : « nous n’avons aucun spécifique mais nous développons des produits autour des progiciels standards ».

Plusieurs réseaux pour plusieurs types d’usages

La zone portuaire est évidemment un lieu de stockage de conteneurs métalliques mais aussi de circulation de nombreux véhicules avec du matériel important. Par exemple, un « cavalier » utilisé pour déplacer les conteneurs est un engin de levage pouvant mesurer une quinzaine de mètres de haut pour un poids d’une centaine de tonnes. Les cavaliers peuvent utiliser du matériel complémentaire dans certaines situations de levage. Des véhicules légers se déplacent aussi dans la zone mais uniquement des véhicules autorisés.

GMP a donc déployé depuis longtemps plusieurs réseaux servant à divers usages. Un réseau Lora privatif sert à la géolocalisation du matériel de manutention. « Cela nous permet de gagner beaucoup de temps pour trouver le matériel dont le docker a besoin à un instant donné » souligne Patrick Labbé. Le réseau Sigfox, toujours opérationnel, sert à repérer les 250 remorques de camion même au-delà de la zone portuaire. La 4G est utilisée pour gérer les autorisations d’usage des véhicules : chaque conducteur possède un badge personnel et il n’est pas question de recourir à des clés de contact, chaque conducteur pouvant utiliser de nombreux véhicules différents dont le démarrage est géré par un boîtier spécifique. Enfin, un réseau WiMesh est utilisé pour la communication.

De la 5G pour gérer la sécurité anti-collision

Les véhicules légers circulant dans les allées entre des conteneurs n’ont qu’une visibilité limitée voire nulle sur les véhicules pouvant surgir à un croisement, y compris des cavaliers de cent tonnes. Les véhicules se signalaient donc par conversations radios. En Août 2023, une collision entre un véhicule léger et un cavalier a réveillé les consciences. « Au Havre, nous avons eu la chance qu’il n’y ait pas de mort dans ce type d’accident mais, dans d’autres ports, cela a parfois été le cas » pointe Patrick Labbé.

L’objectif était donc de visualiser sur un écran, en temps réel, tous les véhicules circulant dans sa zone sur une carte de celle-ci. Seuls les véhicules autorisés pouvant circuler sur le port, tous pouvaient être équipés des outils nécessaires. Malgré tout, les véhicules peuvent être dans une zone d’ombre à cause des empilements de conteneurs. La carte distingue donc les véhicules vus en temps réel (en vert) et ceux qui sont temporairement impossibles à positionner avec certitude (en orange). Le positionnement est récupéré par GPS et transmis à l’outil par le nouveau réseau 5G. A terme, le WiMesh, au matériel compatible, devrait être remplacé par ce réseau 5G tout comme la 4G et le Sigfox. Par contre, pour l’heure, le Lora devrait être maintenu.

Recours à un opérateur maîtrisant la 5G privée

Pour mettre en place le réseau privé 5G, GMP a eu recours à Hub One. Filiale du Groupe Aéroport de Paris, celui-ci gère le réseau privé le plus vaste de France, à savoir celui des zones aéroportuaires parisiennes d’Orly et de Roissy (55 km² dont 1,8 de zones de bâtiments). La 5G privée est, techniquement et juridiquement, de la 5G « ordinaire ». Les fréquences sont réservées grâce à une licence accordée par l’ARCEP pour une zone géographique donnée.

L’opérateur doit positionner ses antennes pour assurer une bonne couverture de la zone concernée malgré les obstacles. La 5G privée emporte quelques fonctionnalités spécifiques comme les appels de groupe et la capacité de préemption. En cas de crise, les bandes passantes réseau peuvent ainsi être réservées à certains types d’utilisateurs (pompiers, police…). Au contraire de la 4G, la 5G est orientée usages : elle garantit ainsi un très haut débit mais aussi le traitement de l’IoT et une fiabilité forte avec une latence limitée, les flux pouvant être priorisés afin que les usages prioritaires ne soient pas bloqués par des usages moins importants. La localisation des véhicules fait évidemment partie des flux prioritaires.

Un projet mené rapidement

Le Wi-Fi, sans licence, ne peut pas être réservé sur une zone donnée donc sa fiabilité ne peut pas être garantie. De plus, le réseau mobile 5G est aussi plus fiable parce que ce sont les éléments du réseau qui recherchent les terminaux et non pas l’inverse. Il y a deux ans, de premiers tests ont été réalisés. Pour le démonstrateur, le coeur de réseau était celui des aéroports parisiens avec un tunnel IPSec jusqu’au Havre. Pour ces tests, une surface de 870 m² a été équipée en quelques mois. Dans un univers très métallique avec de nombreux conteneurs, il s’agissait de détecter toutes les ombres. Deux types d’usages ont été alors testés : les échanges vocaux et la réalité augmentée.

A terme, d’autres usages devraient être portés sur cette technologie, avec une digitalisation complète de la logistique, y compris jusque dans la cale (métallique) des navires. Les dockers descendent en effet dans les cales pour poser ou retirer les élingues servant à saisir chaque conteneur. Il y a de ce fait de très nombreuses communications entre dockers pour vérifier que le bon conteneur est au bon endroit. Les tests ont démontré que des antennes 5G peuvent être installées sur les portiques portuaires pour desservir jusque dans les cales.

Des usages progressivement étendus

Le premier usage a donc été la gestion des positions de véhicules dans un objectif de lutte contre les collisions. Le renforcement du réseau est en cours, d’une part pour le rendre résilient, d’autre part pour supporter les nouveaux usages. S’il existe un jumeau numérique complet du Terminal de France, la 5G va permettre de l’enrichir en temps réel. Après l’anti-collision, la 5G sera aussi utilisée pour assurer un suivi des incidents et des pannes, pour adapter l’éclairage au besoin en temps réel…

A termes, des usages hors zone portuaire devraient également être développés. Haropa, l’établissement public qui regroupe les ports du Havre, de Rouen et de Paris, souhaite établir un réseau interopérable unique. De même, il n’est pas impossible, à terme, que le réseau 5G privé soit interopérable avec la 5G publique en dehors des zones portuaires.