Décideurs it

Comment La Banque Postale gère son patrimoine numérique

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

Actifs anciens ou solutions à l’état de l’art, La Banque Postale estime sa dette technique par scoring afin de lui permettre de gérer ses priorités.

Mikael Syr est directeur du programme gestion de la dette à La Banque Postale.  - © La Banque Postale
Mikael Syr est directeur du programme gestion de la dette à La Banque Postale. - © La Banque Postale

Aujourd’hui, qu’est-ce que La Banque Postale ?

Le rapprochement, annoncé en 2018 et opéré en 2020, entre le groupe La Poste et le groupe Caisse des Dépôts visait à créer un pôle financier public. Aujourd’hui, La Poste est détenue à 66 % par la CDC et 34 % par l’État. La Banque Postale, détenue à 100 % par le groupe La Poste grâce à l’acquisition à 100 % de CNP Assurances Holding, appartient également au grand pôle financier public et est ainsi devenu un grand groupe international de bancassurance. Créée le 12 avril 2023, CNP Assurances Holding est l’entité juridique qui regroupe CNP Assurances SA et les quatre filiales assurantielles de La Banque Postale (IARD, Santé, Prévoyance et Conseil). Rappelons que La Banque Postale a été fondée en 2006 à partir des services financiers de La Poste issus du service des seuls mandats postaux créés en 1817, de la Caisse nationale d´Epargne fondée en 1881 et du compte chèque postal introduit en 1918.

La Banque Postale a quatre grands pôles métiers. En premier lieu, la Bancassurance France, regroupant les activités banque de détail de La Banque Postale, La Banque Postale Consumer Finance, la néobanque Ma French Bank ainsi que les filiales domestiques d’assurance-vie et non-vie. Ensuite, la Bancassurance International, constitué essentiellement des activités internationales de CNP Assurances, notamment au Brésil, en Italie et en Irlande. Troisièmement, la Banque de Financement et d’Investissement (BFI), regroupant les activités destinées aux entreprises, au secteur public local, aux institutions financières et à la clientèle institutionnelle, ainsi que les activités de marché et de financements spécialisés. Enfin, la Banque Patrimoniale et Gestion d’Actifs, regroupant les activités de la filière banque privée du groupe, de Louvre Banque Privée, des sociétés de gestion d’actifs La Banque Postale Asset Management et Tocqueville Finance.

La logique générale reste celle de produits simples et abordables.

Comment est organisée l’IT ?

Certaines filiales ont leur propre SI, d’autres sont intégrées plus ou moins totalement au SI de La Banque Postale. Il peut y avoir des mutualisations et des rationalisations.

La Banque Postale a été créée en 2006 à partir des CCP (Comptes Chèques Postaux). Il a donc fallu construire un SI bancaire complet pour couvrir l’ensemble des nouvelles activités. En 2012, le SI a été transformé et rénové. Mais une partie du Legacy date d’avant 2006.

En termes de technologies, nous avons de tout : du centralisé, du distribué, en virtualisé ou non, du mainframe zOS, etc. comme dans toutes les banques. Cependant, nous sommes en full cloud privé sur nos propres datacenters.

Toutes les banques sont à peu près dans la même situation. Pourquoi la question de la dette technique se pose-t-elle ?

En fait, le premier sujet est de comprendre la dette technique IT. Nous disposons avant tout d’un patrimoine qui n’est, par définition, pas conçu avec des technologies qui viennent de sortir. Il y a donc un écart entre un actif et un état de l’art technologique.

Il ne s’agit pas seulement d’obsolescence technique mais de connaître notre capacité à maintenir les actifs et à leur faire supporter les nouvelles fonctionnalités dont nous avons besoin. Notre capacité à maintenir, c’est notamment connaître le fonctionnement de telle ou telle application. L’obsolescence technique n’est qu’un des aspects de la dette technique.

A l’inverse, il ne s’agit pas de changer de voiture à chaque fois qu’un nouveau modèle sort ! Il faut donc arriver à mesurer la dette technique et à identifier les risques réels alors même que La Banque Postale s’est développée très vite.

Malgré notre récence, notre SI commence à prendre de l’âge alors même que les technologies se renouvellent de plus en plus vite. Si l’on ne fait rien, notre dette technique s’accroîtra inexorablement. Il nous faut donc gérer notre dette pour prendre les bonnes décisions.

Vous parlez d’un « nutriscore » pour vos différentes solutions. Qu’est-ce que cela signifie ?

Il y a deux ans, nous ne parlions que d’obsolescence et pas de dette technique. Or le concept d’obsolescence n’a pas forcément un sens concret si la solution concernée fonctionne et répond aux besoins métiers à l’instant t. Il nous faut donc rendre concret la problématique, expliquer à tous les acteurs de la banque ce que cela signifie.

Quand vous achetez un paquet de biscuits, vous allez y trouver une évaluation de ce que cela implique pour votre santé de le manger : le nutriscore. Notre approche consiste de la même façon à indiquer en quelle mesure telle solution est saine ou risquée. Obtenir une note A n’est pas pareil qu’un D.

Le nutriscore alimentaire est critiqué pour son simplisme. N’est-ce pas aussi un souci pour votre approche ?

A la DSI, nous évaluons chaque couche : l’application elle-même, les infrastructures qui la supportent, etc. Puis nous faisons une moyenne, le nutriscore. L’idée est que cela parle à tout le monde. Nous expliquons seulement ce que cela implique. Ce n’est pas pareil, pour un métier, d’utiliser une application ayant un A ou un D. Nous expliquons le risque associé à chaque actif et nous le rapprochons de la sensibilité de cet actif. C’est un outil de communication qui nous fait gagner du temps. Personne ne vous interdit de manger des chips mais, avec le nutriscore, vous connaissez les conséquences. Avec notre méthode, chaque métier sait ce qu’il en est de ses applications.

C’est aussi un outil de pilotage pour la résolution de la dette technique. Par exemple, si une application stratégique, critique, est en D, c’est un vrai problème et nous devons travailler dessus en priorité.

Globalement, avoir une dette technique, c’est normal et on en a dès lors qu’il y a un patrimoine. Mais il faut la piloter, la maîtriser et la contenir dans des niveaux acceptables. Il est cependant évident que le travail sur la dette est, par nature, perpétuel.

Quels sont vos prochains défis ?

Nous avons un modèle d’évaluation mais le SI évolue sans cesse. Il nous faut donc réussir à mener les réévaluations nécessaires sans que cela devienne une usine à gaz. Et il nous faut adapter nos modèles pour éviter les effets de bords comme le mauvais nutriscore attribué au fromage parce que, par nature, il est gras.

Aujourd’hui, notre évaluation est surtout technique. Il nous faudrait faire évoluer nos évaluations pour tenir compte de la dette fonctionnelle métier. Autrement dit : est-ce que le besoin fonctionnel du métier concerné est effectivement couvert aujourd’hui et, en fonction des évolutions attendues, demain ? Peut-on couvrir un besoin par une autre application afin de décommissionner une application obsolète ?

Enfin, bien sûr, notre objectif est de passer demain à une gestion continue et nominale de la dette, au lieu d’un programme de gestion de la dette qui, lui, a pour objectif d’assainir notre SI.