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Dimitri Chevtchenko (Chateauform’) : « nous devons automatiser plus sans perdre l’humain »

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

Spécialiste de l’accueil de séminaires et événements, le groupe Chateauform’ multiplie les usages de l’IA comme le raconte Dimitri Chevtchenko, son DSI. L’entreprise a notamment été accompagnée par Twelve Consulting sur certains projets.

Dimitri Chevtchenko est Directeur des Systèmes d’Information de Châteauform’. - © D.R.
Dimitri Chevtchenko est Directeur des Systèmes d’Information de Châteauform’. - © D.R.

Pouvez-vous nous présenter Chateauform’ ?

Nous sommes un groupe spécialiste de l’accueil de séminaires et événements créé en 1996. Nous avons aujourd’hui 70 châteaux et maisons qui nous permettent de générer 277 millions d’euros de chiffre d’affaires (2023) grâce à nos 2200 collaborateurs. Notre trajectoire est celle d’une forte croissance, notamment dans le nombre de nos sites qui sont bien nos établissements, pas des franchises. Point qui est également très important pour nous, Chateauform’ est une société à mission.

Nous avons plusieurs divisions. La première est celle des séminaires d’entreprises avec deux gammes : City (des hôtels particuliers en ville) et Vert (des châteaux à travers l’Europe). L’activité Event nous permet de proposer des événements dans des lieux tels que la Salle Wagram ou Les Docks de Paris, avec traiteurs. Enfin, Inside qui amène le savoir-faire Chateauform au sein même de grands groupes, par exemple un espace restauration dans leurs propres locaux ou sur un de leurs campus. Nous avons également deux filiales, CERAN (école de langues en Belgique) et IME (organisation d’événements).

L’activité des séminaires d’entreprises est très particulière et il n’existe pas de logiciels adaptés sur le marché.

Quelle est votre organisation IT ?

Historiquement, il y avait une certaine autonomie pour rendre un meilleur service de proximité au client mais nous avons la volonté de davantage mutualiser en central. D’ores et déjà, toute l’IT dépend de la DSI.

Nous avons créé une direction digitale globale qui couvre tout le spectre, du marketing digital à la DSI. Sur les trente collaborateurs de cette direction, vingt sont affectés à la DSI dont une dizaine de développeurs. La direction commerce dispose de son côté d’une équipe BI mais les départements data et cybersécurité sont bien rattachés à la DSI.

Comment est structurée votre architecture IT ?

Jusqu’à présent, notre SI est hybride mêlant du cloud au on premise. Mais nous sommes actuellement en train de mener une migration full cloud public afin de nous concentrer sur la création de nos propres outils en recourant au maximum à des offres managées. Pour l’heure, nous pratiquons le lift & shift mais, à terme, nous ferons une refonte technique pour tirer parti du cloud.

Nous sommes à mi-chemin de la reconstruction de notre IT et, en particulier, nous menons un important travail sur l’ergonomie car il ne sert à rien d’avoir de très bons outils que personne n’utilise.

Nous utilisons des SaaS comme Microsoft Dynamics aussi bien pour le CRM que pour l’ERP.

Mais, comme notre activité est assez spécifique, nous avons développé notre propre PMS (property management systems, gestion d’établissement), baptisé Liigo. Il existe quelques outils récents sur le marché mais plutôt dédiés à l’hôtellerie, ce qui est très différent de l’organisation de séminaires. Par exemple, en hôtellerie, il y a une grande importance au check-in/check-out, ce qui est secondaire chez nous.

De la même façon, notre site web a été développé en interne car il vise à de la génération de leads avec une reprise en main humaine derrière le premier contact.

Pourquoi vous êtes-vous intéressés à l’IA et plus particulièrement à l’IAG ?

Le moteur de notre activité est réellement humain. En aucun cas il n’est donc question de remplacer l’humain. Mais il s’agit d’aider, d’augmenter l’humain. Si un conseiller passe une heure avec un prospect pour organiser un séminaire, il vaut mieux éviter d’avoir à passer dix minutes à faire de la saisie.

Un fils de notre président est expert en IA et nous avons, de ce fait, bénéficié d’un fort sponsoring de la direction pour aller dans cette direction. Nous avons pu présenter en interne l’intelligence artificielle à une centaine de cadres au cours d’un séminaire, pour faire comprendre à chacun de quoi il s’agissait et ce que l’on pouvait en tirer.

Bien évidemment, le développement de nos usages de l’IA contribue à l’image de notre entreprise, notamment au bénéfice de notre marque employeur. Le message est clair : nous utilisons des outils innovants.

Quels projets avez-vous menés ?

Notre première initiative date d’août 2023 avec un chatbot sur notre site web. A l’époque, nous avons utilisé ChatGPT 3.5, aujourd’hui ChatGPT 4, avec du développement interne. La réelle intelligence est, à ce niveau, dans le prompt. L’idée est, ici, de permettre à un prospect de présenter son besoin en langage naturel et de lui proposer en retour ce que l’on peut faire pour lui.

Cela dit, nous sommes très vigilants sur les hallucinations. Pour l’heure, nous en sommes à une version 1.5 d’un chatbot d’acquisition de leads. Il en résulte une demande bien qualifiée quand notre commercial rappelle le client pour finaliser.

Sur ce genre de projet, il faut se lancer, s’acculturer. Et, en plus, nous avons pu constater un retour sur investissement rapide.

Notre deuxième projet a été une utilisation de Copilot for Sales qui est intégré dans Microsoft Dynamics CRM. Ce projet vise à accompagner les conseillers et organisateurs de séminaires, soit une population d’environ 150 personnes. Notre objectif était, là, de réduire le poids des tâches à faible valeur ajoutée. Twelve Consulting nous a accompagné sur ce projet. Dans notre activité, le processus de vente est très long : il peut durer des mois avec de multiples échanges. L’IA permet de réaliser une synthèse des e-mails avant un nouveau contact et, également, de proposer une assistance à la rédaction d’e-mails en respectant le ton et le choix des termes propres à notre groupe. Cette assistance est proposée mais jamais imposée : elle est utile pour les nouveaux entrants mais pas vraiment nécessaire pour les seniors. Enfin, Copilot est également un outil de traduction pour les ventes internationales.

Copilot peut aussi réaliser automatiquement une synthèse de web-conférence sur Teams mais, pour l’heure, nous ne l’utilisons pas encore. En effet, nous ne pratiquons que peu de contacts commerciaux par cet outil. Notons que les licences Copilot sont intégrées dans celles de Microsoft Dynamics.

L’étape suivante, c’est usage de Copilot 365, c’est à dire l’IA de Microsoft Office 365. A terme, Copilot devrait être ainsi étendu à d’autres fonctions, notamment dans la finance.

Selon les collaborateurs, l’usage de l’IA/IAG est plus ou moins intense. Nous avons besoin de former les gens au prompting pour qu’ils obtiennent de bons résultats. Il faut bien acculturer nos collaborateurs afin qu’ils comprennent les usages possibles.

Comment gérez-vous la confidentialité des données alors que Copilot est une IA américaine dans le cloud de Microsoft ?

Nous utilisons Microsoft Dynamics dont le CRM a déjà nos données !

Copilot est une IA d’entreprise, cadrée contractuellement avec une conformité réglementaire garantie par l’éditeur. C’est évidemment mieux que la « shadow IA ». Et si nous bloquons les usages IA/IAG, nous aurons de la « shadow IA ».

D’une manière générale, nous restons vigilants sur la confidentialité de nos données et sur le shadow IT.

Comment avez-vous conduit ces projets d’IA ?

Le chatbot, nous l’avons entièrement intégré en interne. Les usages de Copilot ont été mis en place en nous faisant accompagner par Twelve Consulting. Les assistants métiers ont, eux, été mis en œuvre en interne.

Twelve Consulting nous a accompagné autant sur le design que sur les tests. Nous avons commencé par mettre en place un démonstrateur auprès d’une dizaine de collaborateurs pour tester les usages. Leur approche a été très pragmatique et le cabinet a bien accompagné le déploiement de l’outil en menant l’acculturation sur le terrain.

L’IA faisait partie de la pile de choses à faire. Sans leur aide, peut-être que nous n’aurions pas eu le temps de lancer notre IA cette année.

Quel bilan tirez-vous de ces projets ?

Globalement, nous pouvons nous réjouir d’avoir un très bon outil pourvu que l’on sache l’utiliser ! Cela dit, je pense que l’outil doit encore s’améliorer. Pour l’heure, par exemple, nous gardons le logo « béta » sur le chatbot. Sur les mails commerciaux, nous savons que les commerciaux seniors font mieux que l’IA mais les juniors sont aidés par la machine.

En fait, l’IA nous aide dans un grand nombre de tâches. Les utilisateurs reprennent la main tout en automatisant une quantité de missions. La condition du succès, c’est de savoir faire un prompt.

Et puis l’IA permet aussi la rétention des talents IT alors que le marché est très concurrentiel Les collaborateurs se forment, se passionnent… et restent ! Développer de l’IA est plus intéressant que la Nième interface API avec la comptabilité…

Quels défis vous reste-il à relever ?

Déjà, il va nous falloir terminer les assistants métiers. Nous voulons notamment remplacer les FAQ par de l’IAG retraitant la documentation afin de répondre aux questions avec plus d’efficacité, y compris dans Teams pour l’interne. Si, d’un côté, la direction des ressources humaines sera intéressée de ne plus avoir à répondre dix fois par jour à la même question sur les congés, notre vrai problème, ce sont les hallucinations. En matière d’IA, les hallucinations constituent le vrai défi qui conditionne la confiance que l’on peut accorder aux solutions.

Un autre défi, plus technique, est aussi de minimiser les outils et la consommation de ressources. L’IA est ainsi très consommatrice et ce n’est guère compatible avec des objectifs de diminution d’empreinte environnementale. Pour aller dans ce sens, on pourrait aller vers des outils plus petits et spécialisés, utiliser du SLM plutôt que du LLM par exemple.

Chateauform’ existe depuis 1996 et nous sommes en forte croissance. Nous sommes en B2B mais aussi en Human2Human, en omnicanal. Et l’omnicanal, aujourd’hui, c’est aussi WhatsApp… Si nous voulons éviter une augmentation non-maîtrisée des tâches à accomplir, nous devons automatiser plus mais sans perdre l’humain, tellement nécessaire dans notre métier.