Rh

Corinne Lossy-Dajon (Femmes@Numérique) : « on a besoin des femmes pour le numérique de demain »

Par Bertrand Lemaire | Le | Management

A l’occasion de la Journée des Droits des Femmes 2023, nous avons interrogé Corinne Lossy-Dajon, présidente de l’association Femmes@Numérique. Ancienne vice-présidente du Cigref, elle a été notamment DOSI de Crédit Agricole Consumer Finance (2002-2009) et à la tête de l’IT d’AG2R La Mondiale (2009-2022).

Corinne Lossy-Dajon est présidente de l’association Femmes@Numérique - © D.R.
Corinne Lossy-Dajon est présidente de l’association Femmes@Numérique - © D.R.

Il existe une fondation et une association Femmes@Numérique. Pourquoi cette dualité et quels sont les objectifs de cette double initiative ?

La Fondation a été créée en 2018, c’était le début de visibilité de notre démarche initiée à la suite aux travaux du Cigref sur la mixité dans le numérique. Nous n’avions pu que constater qu’il y a peu de femmes dans le secteur. En tant que DSI depuis plus de trente ans, je n’ai pu, aussi, personnellement, que le constater.

Fin 2017, nous avions décidé de mettre en avant cette problématique voire d’en faire une Grande Cause Nationale. Le thème finalement retenu par le gouvernement a été les violences faites aux femmes mais notre initiative a bénéficié du soutien de plusieurs membres du gouvernement.

La fondation Femmes@numérique, abritée par la Fondation de France, regroupe 42 entreprises mécènes et a vocation à financer les actions engagées par le collectif de passage à l'échelle.

L’association a, elle, été créée en 2021. Ce deuxième pilier visait à passer à l’échelle les initiatives grâce aux moyens de l’association. Celle-ci réunit des personnes morales. Elle est d’intérêt général et ce qu’elle fait est disponible pour les non-membres. L’objectif de l’association est d’animer, d’amplifier, d’éclairer et de déployer les actions de la Fondation et, ainsi, de les pérenniser, en lien avec les pouvoirs publics.

Il s’agit de mesurer les impacts des actions, voir ce qui marche ou pas, puis de capitaliser sur les résultats et de les diffuser. Nous n’avons pas vocation à opérer nous-mêmes mais à mesurer et à faciliter le passage à l’échelle.

Certes, la prise de conscience a quelques années. Il existe de nombreuses initiatives et associations mais il y avait un manque de fédération, de coordination. Les réseaux de bénévoles font beaucoup de choses mais il faut mailler les initiatives et fournir les bons outils. Si on sensibilise au collège les jeunes filles mais qu’il n’y a pas de suivi au lycée pour le choix des spécialités et ensuite pour Parcoursup, c’est un coup d’épée dans l’eau. Il faut mener des actions à court terme pour répondre aux besoins du marché mais aussi à plus long terme pour construire un numérique durable et de confiance.

Justement, quels sont les enjeux vis-à-vis du marché ?

La féminisation est un moyen de répondre aux tensions sur le marché en matière de talents. Pourquoi se priver de la moitié des talents ? Si on peut assurer une action continue du primaire au supérieur, on s’assurera de pouvoir amener des femmes plus nombreuses dans les métiers du numérique. La formation permet aux femmes de répondre aux besoins du marché.

Nous avons besoin des femmes pour fabriquer le numérique de demain.

Il y a un triple enjeu : économique (répondre aux besoins du marché), social (assurer l’autonomie financière des femmes avec des métiers porteurs) et sociétal (associer les femmes à la conception du monde de demain).

Nous sommes en 2023. L’égalité légale des sexes est un acquis. Pourquoi y-a-t-il encore un problème d’égalité réelle des sexes ?

Il y a tout de même eu des avancées significatives ! Les lois sur une proportion de femmes dans les instances dirigeantes, sur la formation, sur la reconversion… sont autant de bonnes choses.

Mais, oui, ça reste un sujet de société comme le montre l’index de l’égalité professionnelle femmes/hommes. La journée du 8 Mars est précisément importante pour rappeler que le problème n’est pas réglé, en particulier l’inégalité des rémunérations. Seules 2 % des entreprises respecteraient réellement l’égalité.

Certes, on peut se désoler d’avoir encore à en parler mais la prise de conscience est positive. Il s’agit bien d’une question de mixité, en aucun cas d’opposer les femmes aux hommes. Cette journée du 8 mars est l’occasion de rappeler la problématique et de pousser à mettre en œuvre des mesures efficaces.

Y-a-t-il une spécificité au numérique ?

Oui. Clairement, les jeunes filles ont des difficultés à appréhender les métiers du numérique. Il y a besoin de développer la connaissance de ces métiers dont la connotation est très technique. On entend encore que « ce n’est pas un métier pour les femmes ». Il faut donc développer l’attractivité des filières numériques et faire en sorte que les jeunes filles qui ont, au départ, les mêmes aptitudes, choisissent ces métiers.

En particulier, les choix de spécialités au lycée et ensuite le choix des études doivent faire l’objet d’une grande attention. Les écoles travaillent à gommer les discriminations et faire en sorte que les jeunes filles se sentent bien en les rejoignant.

Mais très peu de femmes dans les formations, c’est mécaniquement très peu de femmes dans les métiers.

Il est particulièrement importants que les rôles-modèles soient mis en avant. Il faut que les étudiantes viennent parler aux lycéennes et aux collégiennes. Et puis il ne faut pas oublier la possibilité de la reconversion en cours de carrière : c’est même plus rapide pour fournir les talents et les DRH doivent s’y atteler.

La crise sanitaire Covid-19 a amené un développement fort du télétravail. Est-ce que cela a facilité la vie des femmes ayant des responsabilités ou, au contraire, les a renvoyées à « garder les enfants tout en travaillant » ?

Le travail à distance a concerné un très grand nombre de métiers bien au-delà du numérique. Bien entendu, beaucoup de métiers du numérique peuvent être réalisés entièrement à distance et cela influe nécessairement sur leur attractivité. Mais, attention en effet à la tentation de croire qu’une femme qui travaille à domicile peut aussi garder les enfants : ce n’est pas possible !

(La DILA, sur le site Vie-Publique, est revenu sur ce sujet dans une étude, NDLR)

Depuis vingt ans, la proportion de femmes dans les écoles d’ingénieurs ne cesse de chuter. Que peut-on y faire pour inciter les jeunes filles à choisir le numérique ?

Tout d’abord, rappelons qu’il n’y a pas que les écoles d’ingénieurs ! En 2017, quand nous avions travaillé sur le sujet au Cigref, j’avais trouvé incroyable qu’il y ait moins de femmes dans les filières de formation qu’à mon époque !

Il faut travailler sur la représentation de ces métiers à une époque où tout le monde vit par le numérique. Il est sans doute nécessaire d’insister davantage sur le rôle du numérique dans l’amélioration de la vie quotidienne des gens, sur le sens des métiers plus que sur la technologie en tant que telle. Les écoles doivent améliorer leur marketing : les jeunes filles n’ont pas envie de faire de la technologie et des mathématiques mais elles doivent mieux appréhender la réalité des métiers du numérique.

Vous avez organisé un colloque le 16 février 2023. Quelle est l’utilité de telles initiatives ?

Beaucoup de travaux sont réalisés dans l’ombre. Nous avions besoin d’un marqueur fort, de questionnement sur les démarches, d’où ces Premières Assises de la féminisation des métiers et filières numériques. Deux ministres, Jean-Noël Barrot (Numérique) et Isabelle Rome (Égalité entre les femmes et les hommes), et beaucoup d’associations ont pu ainsi partager les mêmes constats et le même sentiment d’urgence. Il s’agit d’éviter une catastrophe économique, sociale et sociétale. Il faut pour cela montrer, à travers des exemples, ce qui marche, poser tout sur la table. Et nous pouvons nous appuyer sur le plan France 2030 qui prévoit d’importants investissements dans le numérique.

Nous avons publié à cette occasion un plaidoyer avec des propositions concrètes, 14 propositions sur quatre axes : créer une culture favorable au développement égalitaire du numérique, valoriser la transversalité des sciences et du numérique au service du vivre-ensemble en rendant équitables et adaptées les pratiques d’enseignement en STIM, concevoir et déployer sur la durée un dispositif national de sensibilisation aux biais de genre et de valorisation des enjeux et métiers du numérique, et enfin créer les conditions favorables à l’entrée des femmes sur le marché du travail dans les métiers et filières numériques pour qu’elles y restent durablement du lycée à l’évolution de la carrière des femmes.

Comme vous le souligniez, la prise de conscience est ancienne et pourtant le problème existe toujours. Quels espoirs peut-on avoir d’une amélioration de la situation ?

Beaucoup de choses bougent. Les Premières Assises de la féminisation des métiers et filières numériques ont permis de fédérer mais aussi de montrer, ce qui était un vrai défi en soi. Nous avons eu, à la suite de ce colloque, plus de 700 retours de personnes souhaitant visionner le replay, en plus des plus de 360 présents. C’est une vraie réussite car nous ne sommes pas contenté d’alerter : nous avons proposer. Ce succès montre le besoin des acteurs de l’écosystème de se réunir, de se fédérer, entre associations, acteurs en entreprises, pouvoirs publics…

La mobilisation existe, notamment autour du programme France 2030, donc, oui, on peut avoir de l’espoir. Il faut communiquer et mobiliser les financements pour former et insérer les femmes.

Deux actions sont directement issues des Premières Assises de la féminisation des métiers et filières numériques. D’une part, nous mettons en place un observatoire, ce qui nécessite peu de moyens en dehors du temps d’expert. D’autre part, en partenariat avec la Fondation Inria, nous lançons l’initiative Tech’tudiante. Il s’agit d’un accompagnement d’étudiantes à la fois par du mentorat et un soutien financier. La Première Ministre Elisabeth Borne a exprimé son intérêt.


Sur le même sujet

- 15 mesures pour accroître la place des femmes dans le numérique : le 16 février 2023, la Fondation Femmes@Numérique a organisé les premières Assises nationales de la féminisation des métiers et filières numériques.

La Poste appuie treize femmes entrepreneures du numérique

La Poste a lancé la cinquième édition du concours « Coups de Cœur #FemmesduNumérique », destiné à valoriser la place et la capacité d’innovation des femmes dans le numérique. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 31 mars 2023. La Poste va accompagner treize projets (un par région) avec un soutien financier de 2000 euros et l’appui à une campagne de financement participatif sur la plateforme KissKissBankBank, avec l’aide d’une centaines de partenaires partout sur le territoire.

La Poste précise : « le projet, attendu en phase de développement ou d’évolution, peut être un service numérique innovant (application, plateforme, objet connecté, etc.) ou une solution au service du numérique (service de promotion du numérique, service d’inclusion numérique, etc.). Les initiatives sont notamment attendues dans des secteurs tels que la santé, le développement local, la lutte contre les inégalités, les enjeux environnementaux, la solidarité. » Deux projets seront tout d’abord retenus par région avant qu’ils ne soient départagés par un vote du public du 9 au 31 mai.

Les résultats seront dévoilés lors de l’événement Viva Technologies du 14 au 17 juin 2023 à Paris avec l’attribution d’un « super Coup de cœur La Poste #FemmesduNumérique » associé à une aide supplémentaire de 2000 euros.

Les candidatures se déposent sur le site KissKissBankBank