Stéphane Rousseau (CEF) : « mon rôle est de proposer des solutions »
Après une longue carrière de DSI dans le BTP et l’industrie, ancien trésorier du Cigref, Stéphane Rousseau est aujourd’hui directeur de la transformation numérique de la Conférence des Evêques de France (CEF). Il nous explique cet étonnant choix de carrière et ses missions dans ce poste dont il est le premier titulaire.
Pouvez-vous nous expliquer l’organisation et de l’Église en France et plus particulièrement le rôle de la Conférence des Evêques de France (CEF) ?
Il existe une « conférence des évêques » par pays. En France, notre réalité juridique est l’Union des Associations Diocésaines de France. Chaque diocèse est en effet constitué juridiquement autour d’une association diocésaine. Ce sont, à chaque fois, des associations Loi 1905 et non pas Loi 1901.
Je dis « juridiquement » du point de vue civil. Nous sommes soumis à trois règles de droits. La première est le droit civil de la République. La deuxième est le droit canonique (celui de l’Église Catholique). Et la troisième, c’est le droit des cultes qui, pour l’Église, est basé sur les Concordats qui sont des traités internationaux entre la France et le Saint-Siège.
En tout, en France, il existe une centaine de diocèses dont certains ne sont pas géographiques comme le Diocèse aux Armées. L’Église comporte 9700 paroisses et dessert 40 000 lieux de cultes. Chaque évêque dirige son diocèse, en pleine responsabilité, et ne répond qu’au Pape. Il existe cependant une quinzaine de « provinces ecclésiastiques » qui regroupent un certain nombre de diocèses. L’Église, en France, c’est 114 évêques, 10 000 prêtres et 8000 salariés de droit commun (dont moi).
La CEF est une sorte de centre de services partagés avec des experts de divers domaines (financier, juridique, événementiel… et désormais numérique). Elle compte une centaine de salariés et à peu près autant de bénévoles. L’Assemblée Plénière de la CEF se réunit deux fois par an avec tous les évêques de tous les diocèses. Le Conseil Permanent comprend quinze membres représentants chacun une province ecclésiastique, ce qui permet une bonne représentation de tout le territoire. Le président de la CEF est élu en son sein par l’assemblée plénière pour un mandat de trois ans, renouvelable, tout comme deux vice-présidents et un secrétaire général. Les pôles d’expertises de la CEF sont supervisés chacun par un secrétaire général adjoint.
L’Église vit essentiellement des dons des fidèles, soit 824 millions d’euros en 2024.
Comment est organisé l’IT de cet ensemble déjà assez complexe ?
En novembre 2024, l’Assemblée Plénière a constaté le besoin d’une dynamique autour du numérique et a voté la création de mon poste, qui n’existait donc pas auparavant, avec un contrat de trois ans. J’ai été approché par d’anciens dirigeants IT impliqués auprès de la CEF que j’avais connus au Cigref. Nous avons débuté les discussions au printemps et je suis entré en fonction à la CEF en septembre, une fois mon préavis et la période d’été passés.
Je rappelle que le principe général est l’autonomie des diocèses et la subsidiarité. Ce principe ne change pas et s’applique aussi au numérique.
Avant mon arrivée, chaque diocèse agissait selon sa taille et les compétences dont il disposait et il manquait une dynamique de mutualisation et de partage à l’échelle nationale. L’informatique peut, selon les cas, reposer sur un bénévole, un prestataire externe ou un véritable responsable salarié voire une équipe. Il n’y avait aucune unité de stratégie et encore moins de solution. Contrairement à d’autres métiers, notamment dans la communication, il n’y avait pas non plus de réseau de collaboration entre les responsables IT des différents diocèses.
Il y avait malgré tout quelques initiatives plus ou moins communes comme les paniers de quêtes connectés : il y en a 4500 dans toute la France ainsi que 500 troncs connectés (pour des paiements par carte bancaire).
Aujourd’hui, je suis rattaché, en termes d’instance de gouvernance, au Conseil des Ressources et Moyens à la tête duquel il y a un secrétaire général adjoint. Le Comité de Pilotage du Numérique est, lui, présidé par un évêque. J’ai trois actions principales dans ma feuille de route.
Tout d’abord, je dois accompagner les diocèses dans l’amélioration de leur cybersécurité. Il s’agit de travailler, bien sûr, sur les outils qu’il faut rationaliser mais aussi les bonnes pratiques. Nous sommes pour cela accompagnés par le cabinet Vona Consulting.
Ensuite, il s’agit de construire un catalogue de solutions pour éviter la situation actuelle où il y a une dizaine d’outils de comptabilité, de CRM… Il faudra prévoir les différents cas des diocèses de tailles variées. Dans cette partie de ma mission, il y a aussi la gestion de la relation fournisseurs : comprendre les roadmaps, gérer les contrats et les niveaux de service, faire monter en maturité les petits fournisseurs locaux… Il n’est pas exclu que nous mettions en place des contrats cadres mais la subsidiarité demeure le principe et chaque diocèse conservera donc sa liberté de choix. Il est également possible que nous propositions des SaaS mutualisés, sous les mêmes réserves. Mais, pour Microsoft Office365, par exemple, chaque diocèse a son propre tenant.
Enfin, il y a le « service au métier », ce que l’on nommerait dans une entreprise le « business partner ». Il s’agit de faciliter l’action pastorale, d’être un « pastoral partner », d’assurer une veille technique afin de trouver les solutions et les outils pour animer la communauté, organiser les événements, etc.
Le diocèse de Nanterre propose une application qui permet de lire la totalité de la Bible en quatre ans avec un programme de sept minutes par jour, non pas de la Genèse à l’Apocalypse, mais en fonction des temps liturgiques avec des explications. Cette application a été réalisée par des bénévoles. Dans les futures applications de ce type, je peux être amené à accompagner les initiatives ou à faciliter leur diffusion (avec une réflexion sur la disponibilité, la résilience, la cybersécurité, etc. comme il convient lorsque l’on passe à l’échelle).
Quel est le jour de votre fête ?
Comment trouver un prénom pour votre enfant ? Quelle est la signification de votre prénom ? A quelle date, chaque année, l’Église fête-t-elle votre saint-patron ? Qu’a fait celui-ci ? Parmi les services digitaux de la CEF, Nominis répond à toutes ces questions !
Si vous vous appelez Georges, vous noterez que l’Église doute de l’existence des dragons. Pour chaque Saint-Patron, la légende dorée est généralement mentionnée mais avec les réserves nécessaires et une vision plus historique qui, bien évidemment, est davantage porteuse de vertu exemplaire.
La CEF a un SI propre…
Oui, bien sûr, mais il n’est pas dans mon périmètre. Je ne suis en charge que de l’accompagnement des diocèses.
L’informatique de la CEF est celle d’une PME bien digitalisée avec SIRH, finances, communication en ligne, etc.
Quels sont les enjeux de la « transformation numérique » des diocèses ?
Personne ne cachera le fait que le premier enjeu est de faire des économies. Il s’agit de minimiser la consommation de ressources consacrées à l’intendance car nos moyens sont limités, issus essentiellement des dons des fidèles, et notre objet reste l’action pastorale.
Cela passe notamment par l’harmonisation de nos choix IT, en évitant de réinventer la roue dans chaque diocèse. On pourrait faire en sorte d’avoir une solution par problématique (et éventuellement type de contexte comme la taille du diocèse) : gestion d’annuaire, suivi des habilitations des établissements recevant du public (les églises sont des ERP !), la gestion du patrimoine immobilier… Il y a, à ce niveau, une vraie demande des diocèses.
Mais mon rôle n’est que de proposer des solutions et d’animer un réseau. Avec le double principe de subsidiarité et d’autonomie des diocèses, je n’ai aucune autorité sur les responsables informatiques des diocèses. J’ai un management d’influence. Je dois faire la preuve par l’exemple de ce que je propose, par exemple en réalisant un déploiement pilote avant de suggérer une généralisation.
Mon contrat est de trois ans, renouvelable, mais ma mission comprend aussi la réflexion sur une organisation cible pérenne, toujours dans le respect de la subsidiarité.
Des projets ont-ils déjà été lancés ?
Nous n’en sommes évidemment qu’au début.
Nous avons un chantier sur l’harmonisation de la comptabilité et de la gestion. Dans les paroisses, cette fonction est souvent assurée par des bénévoles et la facturation électronique obligatoire nous oblige à remettre en cause des logiciels souvent un peu obsolètes.
Nous devons aussi travailler sur notre CRM (notre « christian relation management ») pour gérer nos relations donateurs et émettre les reçus fiscaux. Dans les difficultés, il y a notamment le fait que l’on ne s’adresse pas à des seniors de plus de soixante-dix ans comme à de jeunes catéchumènes. Mais nous devons malgré tout développer notre marketing. La relation avec le croyant est réalisée par chaque paroisse, accompagnée par son diocèse, lui-même accompagné par la CEF. Aujourd’hui, 30 à 40 % du Denier du Culte est digital. Nous nous devons donc évidemment de proposer les règlements par carte bancaire, Paypal, Apple Pay, etc.
Nous avons aussi un important enjeu autour de la gestion du parc immobilier, qu’il s’agisse du parc que nous utilisons ou de celui que nous possédons pour le louer.
La dématérialisation des processus, qu’il s’agisse des processus de gestion comme des processus pastoraux, est un enjeu important dans une organisation par nature très décentralisée.
Quels défis vous restent-ils à relever ?
D’abord, la mise en réseau des acteurs du numérique. L’Église a la capacité à attirer les compétences, y compris dans le numérique, mais il s’agit d’en optimiser l’emploi.
Ensuite, je vais dire que mon défi, plus personnel, est de me faire comprendre ! J’ai eu l’habitude des ComEx et des grandes entreprises. Désormais, mes interlocuteurs sont les économes diocésains et je dois leur expliquer mes problématiques. Leur appréhension des sujets numériques est très variable.
Revenons maintenant sur votre parcours personnel. Après avoir été CIO groupe d’Eiffage et d’Ingenico notamment, pourquoi avoir rejoint la CEF ?
Le poste de CIO a besoin de se renouveler régulièrement pour garantir la capacité d’innovation. Changer de poste, dans une vie de CIO, est parfaitement normal. Après vingt ans dans le BTP, j’avais ainsi opté pour le secteur du paiement.
Comme je l’ai dit, l’Église a un vrai pouvoir d’attraction des talents. Un certain nombre de bénévoles, anciens cadres dirigeants IT de grandes entreprises membres du Cigref, ont recherché des candidats. Un comité d’expert a fait des préconisations pour le poste. Un ami m’a dit : « j’ai un poste pour toi ». Et il a présenté mon profil. J’ai ensuite rencontré les responsables du recrutement. J’ai un contrat de travail ordinaire mais j’ai aussi un « contrat canonique », une « lettre de laïc en mission ecclésiale », signée par un évêque.
Quelque soit l’organisation, lorsque l’on rejoint le secteur non-marchand, c’est évidemment que l’on adhère à la cause.
L’essentiel de ma carrière est évidemment derrière moi. Les jeunes ne sont pas les seuls à rechercher des postes avec du sens. Eux n’ont pas forcément la possibilité de faire ce choix qui est évidemment moins intéressant sur le plan économique que des emplois dans des organisations non-lucratives. Mais, à soixante ans, je n’ai plus de crédit ou d’enfant à charge et je peux me permettre ce choix.
La durée du contrat, trois ans, donne un horizon clair, une certaine perspective appropriée à mon cas.
Vous avez dirigé d’importantes équipes dans de très grandes entreprises. Aujourd’hui, vous devez manager des bénévoles. Qu’est-ce que cela change ?
Certes, dans le monde marchand, on a des collaborateurs salariés mais que l’on doit accompagner en plus de les encadrer. Le salaire achète du temps.
Et, dans le non-marchand, ce sont des bénévoles qui font un travail de conviction, pas en contrepartie d’un salaire. Il faut donc les piloter tout en respectant leurs propres enjeux, leurs besoins (comme la reconnaissance), leurs limites (notamment rarement du plein temps…) alors qu’ils apportent pratiquement un mécénat de compétences.
Certains bénévoles essaient de retrouver des attentes, par exemple une contribution à un résultat pour un ancien dirigeant retraité.
Les bénévoles font vraiment partie des équipes et ils sont des parties prenantes des décisions. Salariés et bénévoles doivent se nourrir mutuellement.
Podcast - Comment, DSI expérimenté, Stéphane Rousseau a répondu à l’appel de l’Eglise
La Conférence des Evêques des France joue le rôle de centre de services partagés pour l’Église Catholique en France. Après sa longue carrière de DSI en entreprises, Stéphane Rousseau en est devenu directeur de la transformation numérique. Il nous explique ici son rôle et la raison pour laquelle il a fait ce choix de carrière.