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Stanislas Duthier (Groupe Rocher) : « nous sommes pragmatiques, pas gérés par des présentations »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Le groupe Rocher défend des valeurs fortes orientant largement ses choix IT, en particulier en matière de Green-IT, mais toujours avec pragmatisme.

Stanislas Duthier est DSI du Groupe Rocher.  - © Républik IT / B.L.
Stanislas Duthier est DSI du Groupe Rocher. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter le Groupe Rocher ?

Le groupe a été créé en 1959 par un visionnaire, Monsieur Yves Rocher. Personne, dans notre entreprise, ne dit simplement « Yves Rocher ». Au sein du groupe, il y a une réelle adhésion de chacun à l’entreprise, à ses valeurs et à son fondateur. L’entreprise est née en Bretagne, à La Gacilly, et la plupart de nos produits cosmétiques sont créés à base d’actifs issus du végétal. En 2019, le Groupe Rocher est devenu Entreprise à Mission, avec l’ambition de développer un écosystème durable qui combine création de richesses et écologisme humaniste. Pour sa part, la fondation Yves Rocher, reconnue d’utilité publique et associée à la marque éponyme, agit pour la biodiversité et finance notamment des actions de reboisement avec des ONG partenaires et récompense des femmes engagées pour changer le monde.

Le groupe est bien sûr d’abord connu pour sa marque historique, Yves Rocher, spécialisée dans la cosmétique végétale. Mais nous regroupons aussi d’autres marques : le textile pour enfants avec Petit Bateau, la cosmétique Dr. Pierre Ricaud, la marque Arbonne de cosmétique végétale et de nutrition (essentiellement aux Etats-Unis), Stanhome (produits d’entretien notamment en vente en réunion), la cosmétique premium Sabon (en Asie surtout), et, enfin, le maquillage Flormar (essentiellement au Moyen-Orient).

Le groupe procède à une importante intégration verticale et, de ce fait, possède notamment des dizaines d’hectares de champs, des sites de production et gère des réseaux de magasins.

En tout, dans le monde, le groupe réalise un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros en 2023 grâce à plus de 15 000 collaborateurs. Nous fabriquons chaque année 449 millions de produits pour nos 50 millions de clients. Nous avons des effectifs dans 118 pays, la France représentant 39 %, le reste de l’Europe 17 %, l’Asie et le Moyen Orient 32 % et 12 % en Amérique.

Avec des activités aussi variées dans autant de pays, quelle est votre organisation IT ?

La DSI groupe gère la totalité de l’IT du groupe. Cette IT se décline en IT centrale et en IT locale. Notre gouvernance repose sur une recherche de consensus entre le global et le local sur les choix d’architecture ou de solutions, les recrutements, etc.

Plus on est loin du client final, plus le central a la main (par exemple : infrastructures, cybersécurité…). Les applications corporate, de la même façon, sont gérées au niveau central. Notre infrastructure et la plateforme data repose sur Google. Pour le CRM, nous avons choisi globalement le SaaS Salesforce mais l’exécution opérationnelle est locale car on se rapproche du client. La gestion des front (retail, ecommerce) est variable même si elle est gouvernée entre le central et le local. Un front e-commerce, par exemple, pourra être choisi par l’entité locale et validée avec le central. Nous avons aussi bien du Shopify que du SAP Commerce Cloud. Pour la marque Yves Rocher, il y a une petite exception historique qui fait que son IT est entièrement gérée par le central.

Nous sommes pragmatiques, nous ne sommes pas gérés par des présentations Powerpoint.

Notre DSI groupe est intégralement en mode produits. Nous avons ainsi 43 produits gérés par des collaborateurs aux rôles précis et explicites. Pour baisser nos coûts et gérer la pénurie de talents, nous recourons à des prestataires near/off-shore mais nous maîtrisons bien notre IT en interne. Le pilotage de la DSI repose sur l’approche OKR (Objective Key Result). L’amélioration continue est l’essence d’une DSI.

Du coup, votre architecture est essentiellement cloud ?

Quand on migre vers le cloud, il faut une vraie raison. Rappelez-vous : nous sommes pragmatiques. Et, d’ailleurs, personne n’est full cloud autrement que dans des présentations Powerpoint.

Cela dit, pour toute nouvelle solution, nous partons systématiquement sur du cloud voire du SaaS. Quand nous déployons du S/4Hana, c’est du cloud sans discussion.

Mais certaines applications Legacy ne peuvent pas migrer. Une bascule sur le cloud implique donc un changement applicatif. Cela ne se fait que si le métier y trouve un intérêt. Notre gestion e-commerce/VPC/VAD a été créée maison en java : elle a pu être migrée et cela a un sens pour nous en termes opérationnels.

Pourquoi n’avoir qu’un seul cloud et avoir choisi Google Cloud Platform ?

Nous avons fait le choix exclusif (hors SaaS) de Google Cloud Platform (GCP) parce qu’être multicloud n’aurait pas beaucoup d’intérêt et nous compliquerait la vie, d’autant que nous ne sommes pas un si gros groupe que cela. De plus, nous avons de très bonnes relations avec Google et nos collaborateurs sont formés à cette plate-forme. Google nous a bien accompagnés pour monter en compétences techniques. Et puis l’empreinte environnementale de leur offre est bonne. N’oublions pas non plus l’équation financière… Google était prêt à discuter sur des engagements pris sur cinq ans.

Nous avons fait le choix du Cloud pour « opexiser » notre SI. Auparavant, avant même de lancer un projet, il fallait commencer par acheter le matériel… et ne pas se tromper.

Cela dit, notre destin n’est jamais entre les mains de tiers : les compétences clés sont toujours en interne.

Le Groupe Rocher est très « green » par vocation. Quelles initiatives IT4Green et Green-IT avez-vous ?

En 2020, nous avons commencé par calculer notre empreinte environnementale. Nous avons actualisé les chiffres en 2024.

Pour baisser le poids du transport, nous favorisons le télétravail. Au niveau du matériel, nous ne fixons plus de durée de vie à nos terminaux : nous ne les remplaçons que s’ils ne fonctionnent plus. Côté smartphones, nous n’utilisons que des téléphones reconditionnés et nous favorisons le BYOD afin qu’il n’y ait qu’un seul terminal à la fois personnel et professionnel. Pour les PC, nous ne pratiquons pas encore le BYOD car les contraintes en matière de cybersécurité sont, pour l’instant, encore trop lourdes mais nous essayons de trouver des solutions.

Bien sûr, nous avons un attachement à la frugalité, notamment en matière de nettoyage des données stockées. Avec notre partenaire Idecsi, nous déployons une application pour faire un bilan à ce niveau et permettre aux collaborateurs de nettoyer leur stockage de manière ludique et fun.

Nous veillons aussi à former nos collaborateurs aux bons gestes en nous appuyant sur des ambassadeurs dans les directions métiers et IT.

Tous nos projets passent par un scoring RSE. Au-delà de l’empreinte environnementale, nous tenons aussi compte d’éléments tels que l’accessibilité.

Enfin, notre programme Green IT repose sur nos collaborateurs aidés d’alternants, nous ne recourons pas à du consulting.

Vous disposiez d’un SAP ECC 6 mais vous avez mentionné un S/4Hana. Où en êtes-vous de la migration et avez-vous recours à l’offre Rise ?

Notre SAP ECC 6 est hébergé sur des infrastructures mutualisées. Nous migrons actuellement vers S/4Hana sur Google Cloud Platform en y ajoutant Ivalua pour le e-procurement. En tout premier lieu, nous avons recruté quatre experts S/4Hana. Ces recrutements constituaient un pré-requis au projet. Le e-procurement et la partie finances sont en cours de déploiement. Nous avançons de manière pragmatique et soutenable financièrement, sans précipitation. Nous plantons convenablement les jalons, un à un. L’achèvement du projet est prévu pour 2030.

Le core model a été lancé en Roumanie sur quelques marques, à titre de pilote, puis nous avons déployé d’autres pays comme l’Espagne. La première marque dont la migration totale sera achevée est Arbonne (en mai 2024). Au niveau groupe, il nous restera à réaliser le manufacturing et la distribution.

Nous n’avons pas choisi l’offre Rise pour l’instant, nous discutons avec SAP à ce sujet.

En complément, nous avons choisi de déployer les solutions Boomi pour gérer les flux de données et APIgee sur Google pour la gestion des API.

Toutes les décisions sont prises collégialement avec les métiers. Même l’intégrateur du projet est choisi avec la direction métier concernée. Un projet comme celui-là est colossal et très loin d’être évident.

Quels sont vos autres grands projets du moment ?

Outre la migration S/4Hana, nous travaillons sur un projet Data/CRM pour devenir data driven. Pour que cela avance, il faut que les patrons de marques soient bien convaincus du bien-fondé de ce projet.

Nous n’avions pas pris (à raison je pense) le train du Métavers mais nous prenons celui de l’IA. Nous avons un expert dont la fonction est d’acculturer les dirigeants et nous nous appuyons sur la plate-forme Mendo pour dispenser sur smartphone ou PC une formation ludique, interactive et fun.

Nous avons également signé un contrat pour développer notre RAG (retrieval augmented generation) afin de faciliter l’accès à nos nombreuses bases documentaires et permettre à des métiers comme les RH, juridique ou encore les achats de gagner du temps dans leur travail quotidien. Nous menons aussi des expérimentations, en interne, pour générer du contenu (texte et image) sans oublier le volet éthique de ce type d’initiative. Nous développons également l’interrogation de bases de données en langage naturel. Et puis nous testons la génération de code avec Github Copilot.

Enfin, nous cherchons à baisser nos OpEx en recrutant en interne ou en recourant au near/off-shore ainsi qu’en décommissionnant des outils obsolètes.

La guerre des talents est-elle particulièrement dure quand l’essentiel de l’entreprise est dans un village en Bretagne ?

Concernant la DSI, je peux recruter à Paris, à Rennes et, en effet, à La Gacilly. Trois endroits possibles : cela donne un vrai choix ! Sans oublier l’international… Nos comités de direction (par exemple sur la cybersécurité) sont internationaux et la prochaine étape sera d’avoir des équipes transversales internationales.

Quels sont vos défis pour 2024 ?

Je vais en citer trois. D’abord, le virage IA. Ensuite, il nous faut réussir le passage au data driven, ce qui implique d’avoir une data de qualité et une gouvernance métier / IT. Enfin, nous devons poursuivre la baisse de nos OpEx.

Podcast - Le Green-IT, enjeu majeur pour le Groupe Rocher

Stanislas Duthier, DSI du Groupe Rocher, détaille ici l’approche Green-It du Groupe Rocher. Entreprise à mission, ce groupe tient en effet beaucoup à sa responsabilité sociale et environnementale. La première action relève bien sûr de l’acculturation, notamment avec la semaine annuelle du Numérique Responsable. Mais, bien sûr, le groupe ne se limite pas à cela. Des actions sont donc réalisées autour du stockage, de la gestion du parc de terminaux et de l’estimation de l’impact RSE de chaque projet avant son lancement.