Grégory Gonzalez (Maïsadour) : « nous faisons de la DSI le partenaire naturel des métiers »
La coopérative Maïsadour mène des évolutions IT majeures tant très techniques qu’orientées métiers. Grégory Gonzalez, DSI de Maisadour, revient sur ses approches, sa stratégie et ses projets comme une migration SAP ou l’intégration de la facturation électronique obligatoire.

Pouvez-vous nous présenter Maïsadour ?
Maïsadour est une coopérative agricole. Historiquement, notre territoire d’origine était dans les Landes (maïs de la vallée de l’Adour, au sud de Mont-de-Marsan).
Aujourd’hui, nous générons un chiffre d’affaires de 1,385 milliard d’euros et nous disposons de 200 sites en France et dans la Grande Europe voire au-delà (Côte d’Ivoire, Mexique…). 22 % de nos 4300 salariés travaillent à l’international !
Nos 5000 agriculteurs adhérents sont, pour l’essentiel, en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie mais pas seulement : pisciculture en Bretagne, saucisserie dans le Cotentin… Notre activité va « de la fourche à la fourchette » selon l’expression consacrée : des semences (y compris R&D) à l’agro-alimentaire en passant par la collecte de grains, l’abattage de la volaille… Nous avons une activité transformation de volaille (Saint-Sever) et de la gastronomie (notamment avec la transformation du canard et des marques comme Comtesse du Barry, Delpeyrat…). Nous avons aussi une activité distribution B2C (les boutiques Comtesse du Barry essentiellement).
Dans un tel contexte de multiples activités et localisations, comment est organisée l’IT ?
Depuis 2017, l’IT bénéficie d’une organisation centralisée pour tous les métiers et toutes les filiales. Mais, comme les métiers sont effectivement très différents, nous avons un Responsable Relation Métier (RRM) par métier (semences, production végétale, volailles, etc.) au sein de la DSI. Les RRM me sont directement rattachés.
Nous avons également une gouvernance locale de proximité avec un comité réunissant le RRM concerné, le DG de la branche et quelques managers pertinents. Bien entendu, nous avons aussi une gouvernance groupe.
Nous avons des équipes par pôles : finances, RH, opérations, digital, data… Une direction de la gouvernance est en charge de la gestion de projets, de la conduite du changement, de l’architecture, de la communication de la DSI…
En tout, la DSI représente 66 collaborateurs internes auxquels s’ajoutent environ une quinzaine d’ETP d’ESN. Nous gérons 130 solutions pour 3000 utilisateurs sur 4500 terminaux. En support, nous traitons environ 150 tickets/jour.
Quels sont vos grands choix d’architecture ?
Nous représentons une soixantaines de sociétés aux activités variées. Il est donc impossible d’avoir un seul SI. Nous avons malgré tout un socle commun construit autour du Cloud Azure, de la bureautique collaborative Microsoft et de SAP pour la fonction Finance/Comptabilité.
Nous avons un principe : ne pas opposer le Cloud et le pas-Cloud. Nous disposons ainsi de nos propres datacenters. Mais, autant que possible, quand c’est économiquement pertinent, nous optons pour le SaaS, même si les éditeurs ont souvent la tentation d’exagérer leurs tarifs. Pour éviter cela, nous réalisons autant que possible des appels d’offres systématiques. Nous veillons à garder nos datacenters à l’état de l’art et nous capitalisons dessus. Ils sont audités tous les ans. Mais cela ne nous empêche pas de saisir les opportunités du Cloud, en principe sur Microsoft Azure.
De même, nous évitons le développement spécifique et nous le concentrons là où il apporte une vraie valeur ajoutée.
SAP fait partie de votre socle. Avez-vous toujours un SAP ECC 6 ?
Nous avons plus de 25 ans d’utilisation de SAP ! Nous avons la volonté de nous appuyer sur ce socle pour un périmètre large : Finances, RH, Concur…
Historiquement, nous avions une implémentation SAP HR pour toute la paie et deux implémentations SAP ERP, l’une pour la gastronomie, l’autre pour le reste du groupe.
Le périmètre exact de SAP peut varier selon les sociétés. Si la compta générale couvre toutes les sociétés sauf quatre petites filiales, l’ensemble des modules choisis par le groupe est implémenté dans le commerce et la production mais, pour la volaille par exemple, il y a un outil métier dédié.
Côté ERP, nous sommes totalement, pour l’instant, en ECC 6 dans notre datacenter. Par contre, côté HR, nous sommes S/4 depuis octobre 2024. Nous avons basculé en choisissant l’offre Rise. La bascule ERP vers ECC/Hana avec Rise se fera le week-end de la Pentecôte avec une interruption de trois jours, uniquement pour l’implémentation « groupe » (pas la gastronomie). Ce premier projet est purement technique avec, là aussi, un gain purement technique grâce à Hana mais sans modification des interfaces.
La vraie transformation S/4 avec bascule sur l’interface Fiori se fera à partir de 2026 avec une convergence des deux implémentations en une seule, en offre Rise hébergée chez Microsoft Azure.
Nous nous appuyons sur SAP mais pas seulement. Nous avons également des outils connexes tels que l’offre de formation SAP Enable ou le Business Process Engineering avec Signavio.
Les clients SAP sont obligés de basculer d’ECC vers S/4 à cause de l’arrêt de la maintenance ECC mais trouvez-vous tout de même une valeur dans ces projets ?
L’obsolescence technique doit être prise en compte, bien sûr. Notre stratégie est de nous inscrire dans la feuille de route de l’éditeur pour profiter de l’innovation et éviter toute obsolescence.
Dans notre secteur, les marges sont faibles. La DSI doit s’inscrire dans le schéma induit et réduire les coûts en proposant des solutions performantes. Le choix de Rise a été choisi avant tout pour son coût total de possession. J’estime que nous avons les moyens suffisants pour remplir nos missions mais, quand nous nous benchmarkons, nous sommes clairement en dessous du marché en termes de coûts.
Nous avions besoin de mieux garantir la robustesse de nos implémentations et d’améliorer PCA et PRA. Nous avons aussi beaucoup de données. Mais, pour l’heure, nos usages au-delà du simple reporting sont faibles. Nous avons la volonté de développer ces usages notamment grâce à l’IA Joule.
Et puis, un point qui est aujourd’hui important doit être souligné : SAP est un éditeur européen.
N’est-ce pas ennuyeux, d’un point de vue souveraineté, de s’appuyer à ce point sur Microsoft Azure comme sur d’autres clouds américains ?
Quand nous avons lancé nos travaux et choisi Rise en 2023 après neuf mois d’études, le contexte géopolitique était différent. Cela dit, nous avons veillé à garantir la sécurité, la réversibilité et la conformité (en particulier avec un hébergement en Europe sans réplication hors d’Europe). Entre la position de SAP sur la sécurité, les engagements de Microsoft et le fait que nous avons de nombreuses filiales un peu partout dans le monde, nous pensons avoir fait les bons choix.
Cela dit, notre datacenter est bien à l’état de l’art, flexible et sécurisé. Il héberge aujourd’hui 80 % de notre SI. Et nous suivons les actualités de Microsoft avec qui nous sommes en relation directe. Pour l’heure, les offres alternatives sont soit économiquement non-pertinentes (Bleu par exemple) soit insuffisamment matures.
Pour mémoire, les élections américaines ont lieu tous les quatre ans… Nous verrons bien les évolutions. Mais nous avons évidemment travaillé sur le sujet.
Quelles sont les prochaines étapes ?
A la Pentecôte, du 7 au 9 juin 2025, nous basculerons donc sur ECC/Hana. Nous travaillons avec SAP Services pour être au bout d’un engagement total de SAP.
Comme je l’ai indiqué, il nous reste quelques déploiements à faire sur quelques filiales et à réaliser la convergence des deux instances en une seule.
Nous pourrons alors commencer à étudier l’évolution vers S/4 à partir de 2026. Nous devons notamment bien analyser si les évolutions seront importantes en termes de data, de métiers… Ce n’est qu’ensuite que nous procéderons effectivement à la migration.
Nous avons conclu un contrat long avec SAP pour sécuriser son engagement et notre modèle économique.
L’IA est-elle un sujet pour vous ?
C’est assez difficile d’y échapper ! Il y a un peu plus d’un an, nous avons procédé à un échange au sein du ComEx et nous avons défini une stratégie pour l’innovation et l’IA. Nous avons créé un plan en six étapes.
D’abord, il s’agit de répandre une vraie connaissance générale de l’IA, ce que c’est ou pas.
Dans la foulée, il s’agissait de faire de même concernant l’IAG. A cette étape, il fallait également travailler sur la charte d’usage en tenant compte de l’éthique, de la RSE, d’une interdiction du recours aux GPT publics… Nous avons choisi Microsoft Copilot en version privée.
Ensuite, nous avons organisé des ateliers d’idéation pour identifier des cas d’usages avec la valeur induite et les efforts nécessaires pour les mettre en œuvre.
Aujourd’hui, nous sommes à la quatrième étape. Nous commençons la mise en œuvre de démonstrateurs sur trois catégories. D’abord l’efficacité opérationnelle (même si je ne crois pas aux fameux +30 %). Ensuite, la création de valeur sur les processus métiers. Il s’agit d’identifier les solutions IA/IAG actuelles dans les outils que nous utilisons mais que nous n’exploitons pas. Enfin, il s’agit de travailler sur la chaîne de valeur métier au plus près des métiers. Certains métiers sont très volontaires pour avancer sur ce sujet, d’autres moins. Pour motiver les réticents, nous essayons de montrer ce qui a été fait chez les concurrents ou les partenaires.
La cinquième étape sera celle de l’industrialisation des cas d’usages pertinents.
Enfin, la dernière étape consistera à achever la transformation métier.
Nous sommes bien convaincus des apports en valeur de l’IA à condition d’être pragmatiques et de se concentrer sur les bons sujets.
Nous profitons de nos travaux pour rappeler l’importance de la data et de ses règles (RGPD, qualité, gouvernance…). La data, c’est aussi pour le pilotage de notre ambition RSE, y compris le reporting CSRD et l’agriculture régénératrice (une agriculture prenant soin du sol avec des cycles d’exploitation, moins d’engrais, etc.). Nous avons de nombreux outils à base de data pour accompagner nos agriculteurs. Par exemple, nous travaillons avec des start-ups qui proposent des drones analysant les sols ou bien des « chiens robots » qui aident à rentrer les volailles la nuit…
Vous travaillez avec des agriculteurs qui sont certes des professionnels mais souvent des TPE. Comment abordez-vous la facturation électronique obligatoire ?
Depuis des années, nous avons travaillé sur la dématérialisation des factures avec une centralisation sur un coffre-fort sur notre extranet ainsi que de l’EDI avec les centres de gestion. Nous avons travaillé en amont de l’implémentation de la réforme avec le cabinet Deloitte pour tenir compte de nos particularités comme d’importantes autofacturations.
Aujourd’hui, nous sommes en finalisation du choix de notre PDP. Ce choix devrait être officialisé courant Juin 2025. Notre objectif est d’être en avance par rapport à l’échéance. La réforme concerne les factures en France B2B mais aussi le reporting de la facturation B2C et internationale. Ensuite, le projet durera six à huit mois avec une forte implication de SAP.
Bien entendu, nous partageons avec nos collègues des autres coopératives sur ce sujet.
Le projet bénéficie d’un co-sponsoring DAF/DSI car les enjeux sont sur l’organisation avec une évolution des rôles au sein de la comptabilité notamment.
Facturation électronique obligatoire : un club pour comprendre les enjeux
Mardi 1er juillet 2025, Républik IT et Républik Finance organisent un club conjoint destiné aux CIO et CFO sur le sujet « Facturation Electronique Obligatoire : de la data à la performance ». La bascule vers la Facturation Electronique Obligatoire n’est pas vraiment une difficulté technique mais une profonde refonte des processus avec, de ce fait, un impact IT mais aussi sur l’organisation de la fonction finance. En particulier, le fait que toutes les factures constituent des données structurées homogènes ouvre des opportunités importantes.
Premier club commun entre les deux communautés, ce diner-débat sera aussi l’occasion de discuter de la gouvernance partagée entre CIO et CFO.
Quels sont vos défis pour les mois et années à venir ?
Nous avons lancé, il y a deux ans, le projet « Impact ». Son objet est de faire de la DSI le partenaire naturel des métiers pour la mise en œuvre de solutions pour les métiers (par exemple la refonte de l’intra/extranet). Il s’agit maintenant d’aller encore plus loin dans la stratégie conjointe avec les métiers.
Nous avons un ambitieux projet de création d’un nouveau Core RH pour tout le groupe avec SAP Success Factor.
Un autre projet est le rapprochement IT entre le domaine volaille et le domaine canard.
Côté infrastructures, nous voulons refondre nos datacenters et finaliser le déploiement de la fibre sur nos 200 sites dont beaucoup sont en zones rurales.
Enfin, il s’agit d’accompagner l’évolution du groupe. Le SI doit être robuste, bien sûr, mais doit aussi être assez agile pour suivre cette évolution.