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Didier Mamma (Decathlon) : « le défi, pour tous les métiers, est de s’emparer de la data »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Didier Mamma, CDO du groupe Decathlon, détaille la stratégie data de ce fabricant et distributeur d’articles de sport.

Didier Mamma est vice-président Data Value Creation de Decathlon United. - © Decathlon
Didier Mamma est vice-président Data Value Creation de Decathlon United. - © Decathlon

Aujourd’hui, où en est le groupe Decathlon ?

Fondé en 1976, le groupe Decathlon rassemble aujourd’hui 170 000 collaborateurs. Nous disposons de 1700 magasins dans 70 pays dont 324 en France. Dans nos particularités, nous ne sommes pas que distributeur puisque nous concevons et faisons produire des articles et nous menons également de la recherche et du développement (par exemple en biomécanique pour optimiser les usages). Nous sous-traitons la production elle-même mais nous pilotons et contrôlons les processus sans oublier que nous veillons à améliorer notre écoresponsabilité (baisse de l’empreinte CO², amélioration de la réparabilité…).

Comment est organisée votre IT ?

Au sein de Decathlon Technologies, Decathlon United constitue un centre d’excellence au service des différentes entités du groupe en matière d’IT et de digital. Les gros sujets communs (comme l’IT de la supply-chain) sont centralisés. Mais d’autres sujets, le e-commerce par exemple, sont relativement décentralisés mais nous visons à une harmonisation croissante. Cette approche fait que les outils restent proches des besoins locaux mais la cohérence n’est pas toujours optimale. Or l’expérience client est meilleure quand il y a une bonne harmonisation. Nous adoptons donc de plus en plus des applicatifs communs choisis centralement avec un paramétrage local afin de garantir l’interopérabilité. Et puis, c’est beaucoup plus simple pour généraliser au niveau groupe des bonnes idées locales.

Et votre fonction data ?

La fonction data est rattachée à l’IT. Nous avions avec les métiers, comme le marketing, des relations type client/fournisseur mais nous essayons aujourd’hui de développer une relation de type partenariat. Côté data, nous avons des collaborateurs qui connaissent bien le métier et nous pouvons donc nous challenger mutuellement. Le métier vient avec ses besoins, ses problèmes, sans savoir précisément comment y répondre, et la solution, c’est le rôle de l’équipe data.

Un exemple typique de problématique que nous avons à traiter est l’attribution. Nous avons des applications destinées à améliorer l’expérience clients comme Decathlon Coach ou Decathlon Outdoor. Il n’y a aucune vente donc aucune génération directe de chiffre d’affaires par ces applications. Mais ces applications, en améliorant l’expérience clients, va avoir des conséquences sur la fidélité, sur les réachats, etc. Donc elles vont contribuer à l’accroissement du chiffre d’affaires et il s’agit d’attribuer une partie de nos revenus à ces applications.

Côté patrimoine data, au-delà des données classiques de toutes les entreprises (SIRH, etc.), de quoi est-il composé chez Decathlon ?

Une de nos particularités est d’avoir de nombreuses données issues de la production et de la supply-chain. La difficulté est ici de collecter la données auprès de fournisseurs en travaillant le plus en amont possible sur les formats, l’exhaustivité, la qualité… Nous disposons également des données de nos applications d’expérience clients comme Coach ou Outdoor et des services communautaires associés.

Une famille de données de plus en plus critique est, chez nous, les données de conception des produits. Nous conservons un historique de la conception et nous analysons des éléments tels que la composition du produit, son vieillissement, sa réparabilité, son recyclage, le réemploi de sa matière… Comme on dit chez nous, « la matière est chez le client » et il faut donc savoir la récupérer pour la réutiliser. Nous utilisons également l’IA pour optimiser l’emploi de la matière, notamment face à des pénuries ou une inflation, une volonté de baisser l’empreinte environnementale, etc.

Enfin, comme tous les distributeurs, nous analysons les tickets de caisse. Nous cherchons à connaître le taux de sortie, le taux de réachat, la cannibalisation… Nous comparons les performances de magasins similaires avec une clientèle similaire pour optimiser nos mètres-linéaires de rayons.

Quelles technologies employez-vous ?

Nous sommes en full cloud avec Google Cloud Platform (GCP) et Amazon Web Services (AWS). GCP nous sert surtout à la Supply Chain Core Platform, à l’ingénierie, au e-commerce… Sur AWS, nous utilisons surtout S3 Redshift , Databricks et DBT Cloud. Ce dernier est un outil low code qui permet de traiter le SQL comme n’importe quel autre langage de programmation et de mettre à disposition des utilisateurs des requêtes et des rapports développés par des spécialistes. Depuis peu, nous utilisons également Tableau.

La guerre des talents est-elle, pour vous, un sujet ?

Oh oui, c’est bien un sujet ! Toutes les entreprises ont besoin des mêmes talents au même moment et le volume disponible d’expertises n’est pas suffisant. A cela s’ajoute le besoin de suivre le rythme élevé d’innovations sur ce marché très dynamique. Il nous faut donc embaucher des jeunes tout juste sortis de l’école pour disposer des compétences sur les nouvelles technologies et former en continu nos propres collaborateurs.

La tension sur le marché fait que les talents sont très volatiles. Au moins, les jeunes sortant d’écoles n’ont aucune difficulté à trouver du travail.

Notre botte secrète pour séduire les talents, c’est notre activité qui apporte le sport et donc le bien-être et la santé auprès d’un maximum de gens. De plus, nous investissons beaucoup sur les technologies les plus récentes et c’est aussi un facteur de séduction. Pour un jeune ingénieur, c’est passionnant de travailler chez Decathlon où les projets sont nombreux et sur des sujets très variés.

Nous menons, de plus, une politique d’inclusion notamment de femmes. A compétences égales, j’ai plutôt tendance à favoriser le recrutement de femmes car une équipe réellement mixte, avec une bonne proportion de femmes, rend celle-ci plus efficace et équilibré.

(Le Club Data Onboard #2 sera d’ailleurs sur le thème « Guerre des talents : recruter et gérer sa carrière » le mardi 28 mars 2023 de 19 :30 à 22 :00, à Paris Champs-Elysées, NDLR) 

Quels sont vos grands défis pour les années à venir ?

Les défis ne relèvent pas de la technologie mais de la nécessaire adoption de la data par les métiers. Ceux-ci ne peuvent plus éviter d’utiliser la data, des algorithmes, de l’IA… Un responsable supply-chain ou fabrication qui n’utiliserait l’IA/ML serait forcément moins performant que ses concurrents face aux innombrables variables à prendre en compte. Tous les métiers vont devoir s’emparer de la data et de l’IA et c’est un défi considérable, le principal défi des années à venir. Les entreprises ne se rendent pas compte du changement et des efforts nécessaires. C’est un défi comparable à l’arrivée de la mécanisation lors de la Première Révolution Industrielle.

L’IA ne remplace pas l’humain (je n’y crois pas du tout). Mais elle augmente l’humain. On ne doit pas avoir la crainte de perdre son travail à cause d’une IA. Peut-être davantage si l’on n’utilise pas l’IA.


Sur Républik Retail

- 13 juillet 2022 : « Data et IA : Comment Decathlon crée de la valeur avec ses données ».