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Anne-Delphine Beaulieu (Lisi Group) : « il faut compter pour que ça compte »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Anne-Delphine Beaulieu est directrice RSE et de la transformation digitale de Lisi Group. Cette double compétence lui permet le pilotage d’un ambitieux plan « 3P » (People, Planet, Profit). Elle détaille ici l’approche et la trajectoire long terme du spécialiste des solutions d’assemblage.

Anne-Delphine Beaulieu est directrice RSE et de la transformation digitale de Lisi Group. - © Républik IT / B.L.
Anne-Delphine Beaulieu est directrice RSE et de la transformation digitale de Lisi Group. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous présenter Lisi ?

Le Groupe LISI est une entreprise familiale qui œuvre dans les secteurs de l’aéronautique, de l’automotive et du médical. Le groupe génère 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires grâce à ses 10 000 collaborateurs. Nous existons depuis 1777 et sommes toujours détenues par les mêmes familles.

Nous sommes un groupe industriel mondial spécialisé dans la conception et la fabrication de « solutions d’assemblage ». Le groupe dispose de 42 usines dans 13 pays.

La division aérospace conçoit et produit une très large gamme de systèmes d’assemblage, de raccords hydrauliques et des composants de structure métallique à forte valeur ajoutée pour les plus grands acteurs mondiaux du secteur de l’aéronautique. La division automotive conçoit et produit des solutions d’assemblage et composants de sécurité pour les constructeurs et les équipementiers automobiles dans le monde entier. La division médicale fabrique des dispositifs médicaux : implants orthopédiques et instruments de chirurgie mini-invasive.

Ces solutions d’assemblages peuvent être de très grosses pièces (lèvres et bords d’attaque ou aubes de moteurs d’avion) ou ressembler à des vis, boulons, écrous de tailles diverses mais de haute technologie.

Lisi Group est spécialisé dans les « solutions d’assemblage ».  - © Républik IT / B.L.
Lisi Group est spécialisé dans les « solutions d’assemblage ». - © Républik IT / B.L.

Comment est organisée l’IT ?

Chaque division dispose d’une équipe dirigeante dotée de la totalité des fonctions corporate : DAF, DRH, etc et bien évidemment DSI. Au niveau du groupe, l'équipe dirigeante a globalement les mêmes fonctions. Il y a donc un DSI Groupe.

Vous êtes « directrice RSE et de la transformation digitale ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Ma fonction est orientée sur la vision et transformation de l’organisation de Lisi. A travers le digital ou la RSE, nous touchons aux enjeux métiers, opérationnels, à la trajectoire de décarbonation et à la nécessaire évolutions des compétences ou de notre culture d’entreprise pour s’adapter.

Une ambition trop élevée ne sert à rien car elle ne peut pas être réalisée.

Il s’agit d’adapter notre organisation, de faire évoluer notre culture d’entreprise, de prévoir les compétences à mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs… Quand on parle d’une trajectoire carbone pour 2050, il est clair que nous travaillons pour les générations futures. Mais il faut bien positionner le gouvernail afin qu’il y ait un équilibre entre ce que le groupe veut faire et les moyens qu’il peut y consacrer, notamment en définissant une trajectoire mais aussi une vitesse. Une ambition trop élevée ne sert à rien car elle ne peut pas être réalisée.

Le groupe Lisi a une vraie culture du consensus et mon rôle consiste aussi à organiser les débats pour atteindre ce consensus.

Quelles sont les grandes caractéristiques de votre IT existante ?

Chaque DSI de division porte aussi bien les projets que les infrastructures et les applicatifs (y compris les ERP) nécessaires. La DSI groupe coordonne cependant l’ensemble pour tenter autant que possible de transversaliser des projets et  mutualiser les efforts. La DSI pilote ainsi la cybersécurité qui est mise en commun.

Retrouvez Anne-Delphine Beaulieu à l’IT Night

Anne-Delphine Beaulieu est membre du jury des Trophées de l’IT Night. Elle assistera donc aux présentations des candidats le 30 avril 2024 et à la cérémonie le 27 mai 2024

Par votre fonction, vous êtes directement concernée par le reporting RSE. Comment procédez-vous ?

Pour vous donner un ordre d’idée, le suivi carbone, c’est autour de 300 000 points de données par an. Nous travaillons à mettre ces données à disposition de toutes les entités du groupe afin, par exemple, qu’un directeur d’usine puisse à son tour les manipuler et réduire l’empreinte carbone et suivant l’impact de ses actions.

Nous avons également un gros chantier sur la donnée : mettre en place des capteurs, des plateformes de supervision, rendre la donnée accessible, visible et de qualité. Plusieurs avancées ont été faites. En France, nous avons fortement accru le nombre de capteurs et détecteurs et formalisé des partenariats avec les fournisseurs d'énergie pour accéder aux consommations en temps réel. C’est aussi le cas sur l’eau, où les capteurs nous permettent de détecter plus rapidement des fuites d’eau. Nous travaillons aussi à réduire l’impact carbone de nos énergies consommées avec d’avantage d'énergie renouvelables. Nous avons, par exemple, installé des panneaux solaires sur les toits de trois de nos usines. Depuis 2019, notre empreinte carbone a chuté de 37 %. Nous travaillons aussi avec des start-ups, telles que Traace ou Climate Seed qui nous aident sur l’approche et la simulation.

Enfin, nous essayons, avec la DAF, de construire un outil unique de reporting autant financier qu’extra-financier. Nous explorons diverses solutions actuellement et nous nous dirigeons plutôt vers du SaaS..

Quelle est votre action en termes de Green-IT ?

Tout d’abord, l’impact carbone des usages IT est encore balbutiant. Nous travaillones avec nos grands fournisseurs pour récupérer auprès d’eux un certain nombre de facteurs d'émission afin de fiabiliser nos calculs. Enfin, nous regardons aussi ensemble quelles sont leurs plans d’action et trajectoire carbone. Par exemple, nous regardons s’ils récupèrent la chaleur fatale de leurs datacenters.

Nous incluons aussi des clauses d’achats responsables dans les contrats de tous nos fournisseurs.

Pour tous les investissements supérieurs à 250 000 euros, nous nous astreignons à calculer l’impact carbone total en même temps que l’impact financier (ROI) et l’impact sur les conditions de travail.

N’est-ce pas un exemple d’application de votre stratégie « 3P » ?

En effet. « 3P », c’est « People, Planet, Profit ». Cette stratégie est transverse et se diffuse sur tous nos projets. Il s’agit d’objectiver la prise de décision en se basant sur les données.

Innover pour préparer le futur que nous voulons.

Un principe dans l’inclusion des femmes dans les directions, c’est « pour que les femmes comptent, il faut compter les femmes ». Mais, en fait, c’est vrai pour tout. Il faut toujours compter pour que ça compte. C’est aussi vrai, en particulier, pour l’impact carbone.

Si un investissement est positif sur chacun des trois « P », l’intérêt de l’investissement ne fait pas de doute. C’est plus compliqué si le bilan est hétérogène selon les « P » et il faut alors arbitrer. Mais, dans tous les cas, parce que c’est notre culture, nous déciderons par le consensus.

Nous voulons innover pour préparer le futur que nous voulons.

Cela nécessite la « data au coeur » pour comprendre ce que l’on fait et pourquoi on le fait (« Be data ready »), d’être crédible et donc d’être capable de développer un narratif (« Be storytelling ready ») et enfin d’agir (« Be action ready »).

Avez-vous des projets précis en matière d’IA ?

La data et l’IA sont des chantiers transverses qui doivent servir des enjeux stratégiques. Les métiers doivent s’approprier les enjeux avant que l’IT ne puisse mettre en œuvre. Quand une donnée sort d’une machine industrielle, seul le métier peut juger de sa pertinence directe ou bien de la nécessité de l’associer à d’autres données pour en maximiser la valeur.

En tant que directrice de la transformation digitale, j’ai un rôle transverse qui doit contribuer avec les métiers et avec l’IT. Etant moins dans l’opérationnel, j’ai la capacité d'être plus en amont sur la partie réflexion stratégiques, analyse des enjeux et proposition de trajectoires. Comme à chaque transformation, la recherche du consensus est nécessaire pour que toutes les fonctions s’alignent vers un même objectif.

Nous visons en 2024 d’aboutir à des propositions concrètes et atteignables sur la trajectoire IA dans un budget contraint. Notre objectif pour cette trajectoire IA est qu’elle serve les enjeux d’amélioration de performance, d’optimisation des investissements, de l’innovation et qu’elle nous positionne sur des initiatives cohérentes avec le plan d’affaires à quatre ans.

Enfin, quels sont vos défis ?

Il y a deux défis : celui de la technologie et celui de l’adaptation des compétences et de l’acceptation plus rapide des changements.

Sur la technologie, avec les bons partenaires et les bonnes solutions, cela devrait se digérer. Sur l’adaptation des compétences, l'émergence d’une appétence et d’une culture Data, c’est moins évident à orchestrer dans les univers industriels qui sont les nôtres. Il va falloir accepter l’idée qu’on doit apprendre l’IA, désapprendre et réapprendre. Ce n’est malheureusement pas une option.

Podcast - People, Planet, Profit : 3P pour une trajectoire long terme chez Lisi Group

Anne-Delphine Beaulieu est directrice RSE et de la transformation digitale de Lisi Group. Après avoir présenté son entreprise et expliqué son rôle, elle détaille ici la stratégie « 3P » (People, Planet, Profit) de Lisi Group.