Joffrey Célestin-Urbain (Campus Cyber) : « nous sommes des acteurs du lien »
Si le Campus Cyber a commencé par un projet à socle immobilier, ce projet est aujourd’hui riche d’ambitions élevées pour le développement de l’écosystème de la cybersécurité français et européen. Joffrey Célestin-Urbain, président du Campus Cyber de Paris La Défense, détaille la deuxième phase du projet.

Inauguré en 2022 pour réunir en un même lieu la communauté Cyber française, le Campus Cyber de Paris La Défense est critiqué par ses détracteurs comme un simple projet immobilier onéreux. Qu’en est-il ?
Le Campus Cyber est d’abord un actif immobilier, en effet. Il fallait regrouper physiquement les membres de la communauté cyber dans une colocation. Dès le départ, il s’agissait de créer un lieu totem pour la cybersécurité française, avec une forte dimension collective : mutualisation des communs, plateforme CTI partagée, accueil de délégations internationales, incubation de start-ups, formation d’étudiants, etc.
Désormais, il faut, en quelque sorte, une deuxième création. Je me vois comme un refondateur. Si une tour, c’est un actif immobilier, cela doit aussi être un écosystème vivant où les résidents sont convaincus de la valeur ajoutée de ce regroupement.
Donc, oui, il y a eu un aménagement immobilier au début parce que on ne peut pas tout faire en même temps, même si les ambitions étaient bien là dès le départ. Mais il faut maintenant une nouvelle équipe pour faire travailler les gens ensemble. Par exemple, pour les start-ups, être au Campus c’est être au contact d’entreprises qui vont les tirer vers le haut, notamment de grands groupes pouvant être leurs clients. La valeur écosystémique n’est pas encore optimale mais existe déjà.
Mais l’actif immobilier est et demeure un socle sur lequel le reste se construit.
Dans la tour, nous avons des acteurs de l’État, des chercheurs, des entreprises de toutes tailles, des start-ups… L’animation doit être renforcée. Il faut décloisonner. Il faut aussi aider à créer de la valeur sur la cybersécurité en France. Par exemple, il faut aider à la croissance des acteurs, qu’ils ne restent pas des acteurs de niche rencontrant des difficultés à passer à l’échelle et juste satisfaits de leur excellence technique. Chinois et Américains ont été capables de créer des géants. L’Europe doit à son tour créer des champions de dimension mondiale : cela doit être notre priorité. Sur la cybersécurité, l’Union Européenne est un espace en devenir où l’on manque de lien.
Le « Campus Cyber 2.0 », c’est une aide à tout l’écosystème cyber.
Vous êtes président du Campus Cyber. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Le Campus Cyber est une société par actions simplifiées. L’État en détient 39 %. Parmi les 190 membres actionnaires, on trouve Bpifrance, des régions, des entreprises… Les résidents, eux, payent un loyer et bénéficient d’un bail commercial classique (3-6-9 ans).
Notre modèle économique, c’est bien, aujourd’hui, la location d’espaces de travail. Demain, nous ajouterons une couche de services écosystémiques qui amènera aussi des revenus financiers pour que le Campus ait d’autres revenus que seulement fonciers. Le Campus doit produire des externalités pour tout le monde.
Il existe aujourd’hui des Campus dans plusieurs villes. Quels sont les liens entre Campus ? S’agit-il vraiment de la même chose ?
Les autres campus, dits « campus territoriaux », sont représentés dans un collège dédié au Conseil d’Administration du Campus Cyber de Paris La Défense. Onze régions sont actuellement représentées même s’il n’y a pour l’instant que cinq campus. Aucun des campus territoriaux n’est une filiale du Campus Cyber de Paris La Défense.
Chaque campus a ses propres priorités (le maritime en Normandie, l’aéronautique en Occitanie…). Nos liens sont plus fonctionnels. Il y a un large consensus pour que nous travaillons tous ensemble et pas chacun de son côté voire en concurrence. Nous devons éviter les doublons et organiser le travail en commun. Selon l’entreprise concernée, il vaut mieux, parfois, devenir résident dans un campus territorial plutôt qu’à La Défense.
Il y a une grande variété de statuts : association, incubateur, société… De même, certains campus ont bien un bâtiment comme à La Défense, parfois ce sont des bâtiments labellisés. Mais la boussole reste le travail en commun. Nous sommes des acteurs du lien.
Quelle est la réalité de la collaboration entre sociétés/organisations hébergées dans un Campus ?
J’espère que les résidents prennent leur café ensemble à la machine à café commune ! Au départ, nous pensions que la collaboration se ferait spontanément, simplement à cause de la réunion dans un lieu unique. Mais, en réalité, la dimension humaine est à développer et à orchestrer.
Nous disposons d’un incubateur, Cyberbooster, qui accompagne actuellement une dizaine de start-ups chaque année. De grandes entreprises (FDJ United, TotalEnergies, SopraSteria…) parrainent ces start-ups. Ces partenaires ou grands clients guident les start-ups.
Au sein du Campus, nous avons aussi des offres de formation (Epita, HS2…). Les étudiants sont disponibles sur place pour des stages ou du recrutement, avec un jobdating sur site. Les organismes de recherche publics présents peuvent aussi soutenir la R&D des entreprises.
Il faut désormais passer d’une collaboration ponctuelle à une démarche systémique. Il faut aussi inciter à la collaboration entre résidents pour répondre conjointement aux appels d’offres de grands donneurs d’ordres.
Quelle est aujourd’hui la feuille de route du Campus Cyber de La Défense ?
La base, c’est le Coeur Campus, l’écosystème des résidents (120 organisations à ce jour).
Nous devons renforcer les offres de la filière en regroupant les entreprises afin d’en développer la taille. Nous devons également travailler en faveur de la préférence franco-européenne en cybersécurité. Le Campus Cyber doit être un accélérateur du choix d’offres souveraines pour les grands groupes clients.
Mais nous avons aussi à contribuer à la cyber-résilience de l’ensemble du tissu économique. Par exemple, cela passe par mettre en avant les outils de la mise en conformité NIS2 proposés par des résidents du Campus.
Tous les campus, de toutes les régions, ont vocation à être des plateformes de services.
Le Campus Cyber Lab est un lieu d’innovation, d’anticipation, de réflexion. La cybersécurité n’est pas un élément isolé. Il faut la relier à l’IA (offensive ou défensive) ou à l’informatique quantique (cryptographie post-quantique…).
Justement, quelle vision voyez-vous de la cybersécurité ? Le Campus doit-il étendre ses préoccupations à l’informatique de confiance ?
Dans la réalité, nous sommes en effet le Campus de la Cybersécurité et du numérique de confiance. L’échelle des conséquences des cyber-attaques est telle que le sujet remonte aisément au Conseil d’Administration ou au Comité Exécutif.
Le Campus doit être l’endroit où l’on peut découvrir les tendances transverses. Par exemple, l’intelligence artificielle permet le développement d’attaques nouvelles. Le cerveau humain n’est pas nécessairement prêt à détecter des imitations aussi sophistiquées que celles que l’on peut aujourd’hui générer. Il semble clair aujourd’hui qu’il faut mettre des IA défensives en face des attaques faites par IA. Il y a, de ce fait, une question de l’impact du développement de l’IA sur l’emploi, y compris les emplois très qualifiés comme les experts en cybersécurité.
Une autre tendance est le développement du Cloud public mais celui-ci génère un évident problème de confiance. Il faut gérer les risques associés au sens large, y compris géopolitiques.
Ce besoin de transversalité implique une nécessaire horizontalité mais c’est parfois difficile dans les grandes organisations.
Quels défis voyez-vous pour vos membres en 2025-2026 ?
Face à une grande variété de situations et de typologies de cyber-attaques, il est compliqué de répondre de manière homogène.
Côté bénéficiaires, je dirais que le défi est celui de la cybersécurité dynamique. La menace est très évolutive. Elle nécessite une adaptation permanente dans un contexte économique qui reste difficile, même sur la cybersécurité. Le marché de la cybersécurité est porté par deux moteurs : la réglementation et l’intensité de la menace. Mais la contrainte économique est bien là. Il faut aussi diversifier son sourcing, les produits utilisés, et choisir préférentiellement des produits français ou européens.
Côté offres, il faut passer à l’échelle, cibler au minimum l’Europe. Il faut que les offreurs profitent du Campus Cyber pour se réunir afin de « chasser en meute ».
Enfin, quels défis voyez-vous pour le Campus en 2025-2026 ?
Le principal, c’est bien sûr le développement de notre nouveau modèle économique pour délivrer toutes nos promesses.
Mais il nous faut aussi trouver des gains rapides pour démontrer au plus vite que le Campus Cyber a changé de dimension.
Podcast - Le Campus Cyber, bien plus qu’un projet immobilier
Joffrey Célestin-Urbain est président du Campus Cyber de Paris La Défense. Il explique ici les raisons d’être du Campus Cyber. La première phase a été de constituer un regroupement physique des acteurs du secteur. Désormais, une deuxième phase est nécessaire pour produire davantage de valeur pour tout l’écosystème, au-delà même des résidents. Cela va passer par davantage de services qui vont enrichir le socle immobilier.