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Paul Cohen-Scali (Sacem) : « notre DSI doit évoluer quand le monde de la musique évolue »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

Devant délivrer de nombreux projets chaque année, la Sacem a adopté SAFe comme le raconte Paul Cohen-Scali, son DSI. Fondée en 1851, la vieille dame doit en effet s’adapter au streaming ou aux NFT.

Paul Cohen-Scali est DSI de la SACEM. - © Républik IT / B.L.
Paul Cohen-Scali est DSI de la SACEM. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la Sacem ?

Fondée en 1851, la Sacem est une société civile à but non lucratif, de droit privé, appartenant aux membres qui prennent une part sociale à l’adhésion. De fait, nous sommes un organisme de gestion collective tel que défini par la Loi.

Nous avons quatre missions. Tout d’abord, bien sûr, collecter et répartir les droits d’auteur. Nous accompagnons également nos membres au fil de leur vie professionnelle par exemple avec des aides (comme le « Régime d’Allocation d’Entraide de la Sacem qui apporte aux créateurs et aux éditeurs un revenu complémentaire au moment de leur retraite ») ou de la formation (Claude Lemesle lui-même donnait ainsi des cours sur l’écriture de chansons). Autre mission, la Sacem défend le droit d’auteur auprès des institutions françaises, européennes voire mondiales. Enfin, nous menons une action culturelle pour promouvoir et soutenir la création. Nous pouvons ainsi, par exemple, aider la promotion d’artistes émergents ou l’enseignement et la découverte de la musique à l’école ou bien soutenir la musique à l’image lors d’événements majeurs comme The American French Festival (TAFF) à Los Angeles.

Comment est organisée la DSI ?

La DSI est centrale. Les délégations régionales n’ont pas de service informatique. En cas de besoin, nous pouvons faire appel à des prestataires locaux. La DSI est rattachée à la Directrice Générale Gérante, Cécile Rap-Veber. Je suis membre du Comité de Direction.

Quelles sont les grands principes de votre architecture IT ?

Nous avons un métier très particulier. En général, il n’y a qu’une seule société de collecte de droits musicaux par pays (pas aux Etats-Unis ou au Brésil). Et ce n’est pas le même fonctionnement que les collectes d’autres organismes de gestion collective dans d’autres domaines. Nous sommes aussi le plus important et de très loin : en 2022 nous avons collecté plus de 1,4 milliard d’euros de droits d’auteur.

Il nous reste encore un petit peu de mainframe : la sortie sera achevée fin 2024. Pour l’essentiel, aujourd’hui, le on premise est constitué de serveurs Linux.

Nous recourons pour certains traitements de données à du cloud public, en l’occurrence Amazon Web services, quand nous avons besoin d’une forte élasticité, par exemple quand nous traitons des données provenant de Spotify. Nous allumons et éteignons les services selon nos besoins. Je précise que nous les éteignons effectivement pour réduire non seulement les frais inutiles mais aussi notre empreinte énergétique dans le cadre de notre politique RSE.

Nous avons trois grands systèmes pour la gestion de la collecte et de la répartition des droits : le premier pour les « droits généraux » (entreprises, cafés-restaurants…), un deuxième pour les médias (radios, télévisions…) et le dernier pour le streaming qui est très particulier et très consommateur de ressources.

Notre architecture est essentiellement serverless.

Vous avez participé à une « tournée » en région. Comme vous ne chantez pas, de quoi s’agit-il ?

Nous avons été une dizaine de la direction de la Sacem (dont notre Directrice Générale-gérante) à aller à la rencontre de nos collaborateurs sur nos sites régionaux mais aussi au siège.

D’abord, nous avons expliqué la stratégie de la Sacem et l’évolution du marché de la musique ainsi que le modèle de fonctionnement de chacune des grandes directions. Bien sûr, en allant les rencontrer, nous avons favorisé l’échange, la réponse à des questions sans tabou. Et puis nous avons pu aussi avoir des échanges informels. Même des collaborateurs de longue date ont découvert des choses, beaucoup en effet restaient focalisés sur leur seul métier sans toujours comprendre ce qui relève des autres spécialités.

Concernant la DSI, j’ai de quoi remplir quatre années d’une feuille de route avec des projets. La DSI est la première direction en termes de budget, ce qui nous pousse à gérer les priorités et les besoins de chaque direction. Nous ne pouvons pas répondre à tout, tout de suite. Cela peut paraître un discours simple mais c’est important de rappeler ces basiques.

En 2023, nous avons délivré 179 projets contre 117 en 2022 et 70 il y a quelques années, avec un mix entre des projets d’envergure et de plus petits projets. Parmi les plus importants, nous sommes en train de migrer la plateforme URights vers AWS. URights est un outil de reconnaissance des droits sur les plateformes de streaming, VoD/SvoD et réseaux sociaux construit avec notre partenaire technique IBM.

179 projets, c’est beaucoup. Lesquels vous semblent les plus importants ?

Tout d’abord, citons le portail des mandants. Les mandants comme Universal Music Publishing International sont ceux qui missionnent la Sacem, pour collecter les droits numériques des œuvres de leur catalogue dans près de 200 pays. Les sociétés homologues de la Sacem d’autres pays peuvent également lui confier des mandats pour gérer les droits online au niveau mondial. Le portail des mandants leur permet d’avoir un accès le plus autonome possible aux données nécessaires à leur suivi d’activité, en termes de collecte et de répartition.

Nous avons mis en place un nouveau CRM avec Microsoft Dynamics pour traiter le streaming.

En 2022, nous avions lancé l’expérimentation d’un service de protection des œuvres dans la blockchain : Musicstart. Cette expérimentation est désormais pérennisée et étendue à tous nos sociétaires. Cette protection permet de fournir grâce à l’horodatage de la blockchain une preuve d’antériorité et se différencie du dépôt d’une œuvre. Le « dépôt », chez nous, implique aussi de donner les informations relatives à la répartition des droits.

D’une manière générale, nous avons travaillé sur la qualité des systèmes et amélioré le CRM sociétaire. Nous avons accéléré les répartitions, le délai entre la diffusion et le paiement pour Spotify étant passé de neuf à six mois.

Et puis, évidemment, nous avons travaillé sur l’IA.

Que signifie l’IA pour la Sacem ?

L’année écoulée, nous avons sensibilisé tous les collaborateurs sur les enjeux autour de l’IA car même si on en parle beaucoup, il était nécessaire de préciser les choses.

Pour la Sacem, l’IA concerne deux types de sujets.

Tout d’abord, nous réfléchissons à l’impact de l’IA sur le processus de création d’une œuvre. Nous avons fait valoir notre droit d’opt-out sur les IAG du marché afin que les œuvres déposées à la Sacem fassent l’objet d’une demande d’autorisation préalable pour toute utilisation par les bases d’entraînement.

Et puis, bien sûr, davantage pour la DSI, l’IA est aussi un outil qui peut être utilisé pour accroître la productivité interne de la Sacem.

Nous avons organisé un séminaire en septembre 2023 pour 250 collaborateurs de toutes les directions avec des intervenants extérieurs (Luc Julia, start-uppers, etc.) pour réfléchir à des cas d’usage. Des ateliers menés sous coaching du Sacem Lab, notre cellule innovation, ont ensuite permis de réfléchir métier par métier. Puis, début décembre, chaque équipe a pitché ses cas d’usage devant un comité de sélection. Treize projets ont été présentés et l’idée était d’en choisir trois. Finalement, tout était tellement pertinent que quatre ont été choisis pour la première phase, et tous les autres projets seront déployés au fil des prochaines années. Nous allons mettre en œuvre une plate-forme technique privée pour développer nos cas d’usage.

Vous avez déployé les méthodes agiles alors que les fondamentaux de votre métier sont constants depuis 1851. Pour quelle raison ?

Nos missions sont constantes mais tout le reste change et, contrairement à ce que beaucoup de gens croient, nous sommes en situation ultra concurrentielle ! Notre DSI doit évoluer au fur et à mesure que le monde de la musique évolue. Nous sommes en concurrence avec les sociétés d’auteurs étrangères et les sociétés technologiques qui s’intéressent de plus en plus au secteur de la musique en raison de son attractivité

Depuis 1851, les modes de consommation de la musique ont énormément changé. Aujourd’hui, ce qui génère des revenus, c’est le streaming. La collecte représentait en 2022 près d’un demi-milliard d’euros par an contre une vingtaine de millions il y a dix ans ! Les processus ne peuvent pas rester les mêmes.

Nous prenons énormément d’initiatives pour mieux rémunérer les créateurs et éditeurs, par exemple en instaurant un droit de suite pour les NFT, ce qui n’existait pas.

Il faut donc que nous bougions. Comme nous sommes numéro un mondial et une des sociétés de collecte de droits les plus efficaces dans ses missions, il nous faut sans cesse répondre à l’attente des sociétaires qui ont des besoins et des souhaits.

Adopter l’agilité a permis des ruptures dans les modes de fonctionnement, une vraie proximité avec les métiers et de vraies remises en question constantes. A cela s’ajoute le développement de la responsabilité et de l’autonomie de nos collaborateurs ainsi que l’accélération de notre transformation.

Et pourquoi avoir adopté le framework SAFe ?

Pour accélérer la transformation de la Sacem, nous devions faire autrement. SAFe est un corpus méthodologique éprouvé de référence et, en plus, on trouve des gens déjà formés sur le marché. 40 % des sociétés ayant adopté les méthodes agiles l’utilisent. Adopter ce corpus a fait énormément de bien à la DSI et dans notre relation avec les métiers, en bousculant les équilibres en place.

Nous avons commencé à déployer SAFe il y a deux ans en nous appuyant sur une équipe de trois consultants de Publicis Sapient et nous les avons gardés lorsqu’ils ont rejoint Aqobat. Les premiers trains ont été mis en place début 2022 et le dernier (le train infrastructures) en mars 2023. Toute la DSI travaille en mode agile, en mode trains, avec des clients métier pour chaque équipe.

SAFe est devenu notre quotidien. Aujourd’hui, nous ne sommes plus en transformation mais plutôt en amélioration continue. Nous avons fait ce que nous avions dit en lien avec notre plan d’embauches.

Justement, les talents IT ne sont-ils pas plus difficiles à recruter que les talents musicaux ?

En net CDI, nous sommes 71 de plus depuis octobre 2021. Nous sommes désormais 171 internes et 9 stagiaires/alternants. Nous avons en effet fait le choix de travailler avec des jeunes et des écoles.

En revanche, nous recourons à moins d’externes. Comme un interne coûte par nature toujours moins cher qu’un externe, nous avons fait d’importantes économies (environ 2,8 millions d’euros).

Beaucoup de gens font de la musique. Beaucoup de gens font de l’informatique. Et beaucoup de ceux qui candidatent pour être informaticiens à la Sacem ont un lien avec la musique : certains appartiennent à un groupe, d’autres ont des musiciens dans leur famille, etc. Mais, même s’ils font bien le lien entre la musique et la Sacem, les candidats découvrent la réalité de notre société en entretien : la dimension internationale, les actions au-delà de la collecte… Ils sont, d’une manière générale, très enthousiastes. La difficulté, comme dans la musique, n’est pas d’avoir des candidats mais de trouver les vrais talents ! Mais nous avons fait de très bons recrutements.

Notre équipe est solide, avec de bonnes méthodes et une bonne organisation.

Quels sont vos défis pour 2024 ? Faites-vous partie des organisations impactées par les Jeux Olympiques ?

Les Jeux Olympiques sont un client mais ils ne constituent pas un défi pour l’IT. Par contre, le risque est, pour la Sacem, bien celui d’un moindre nombre de festivals et concerts pour des questions de sécurité ou d’indisponibilité des lieux (par exemple, l’Accor Arena Paris Bercy est très prise par les Jeux).

Notre défi majeur, c’est toujours la modernisation de notre SI. Nous avons, par exemple, prévu de refondre notre SI financier (un spécifique). Et j’ai relancé le projet de refonte du SI client (sur Oracle) que j’avais arrêté en 2019.

Bien entendu, nous allons poursuivre sur l’IA.

Enfin, il nous faut offrir toujours plus de services à nos sociétaires. Le monde évolue sans cesse et il nous faut, pareillement, évoluer sans arrêt.

Podcast - La SACEM adopte SAFe et l’agile pour s’adapter aux bouleversements de la musique

Paul Cohen-Scali, DSI de la SACEM, revient sur l’évolution de son secteur qui implique une nécessaire adaptation de son système d’information. Et, de ce fait, la SACEM devait adopter une démarche agile à l’échelle, ce qui a été grandement facilité par le framework méthodologique SAFe.