Dominique Luzeaux (AND) : « l’agile permet, à chaque itération, de vérifier la valeur délivrée »

Qu’est-ce que l’AND (Agence du Numérique de Défense) et comment son rôle s’inscrit-il dans l’ensemble des entités en charge des différents aspects de l’IT au Ministère des Armées ?

L’AND (Agence du Numérique de Défense) a été créée en avril 2021. Elle s’inscrit en effet dans un ensemble de directions ayant chacune son rôle.

La DGNum (Direction Générale du Numérique) établit la politique générale. La DIRISI (Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information) exploite et administre les SI. 

L’AND, quant à elle, conduit les projets numériques, conseille les autorités du ministère et met en œuvre la politique industrielle dans le domaine des technologies numériques de l’information. L’informatique embarquée dans les systèmes d’armes ne fait pas partie de notre périmètre : nous nous occupons des SI opérationnels (pour apporter les outils de commandement aux forces, y compris sur les théâtres d’opération) et des SI de gestion, ainsi que le socle numérique (réseaux, infrastructures, services… par exemple la téléphonie sécurisée). Il existe une équipe mixte DIRISI/AND pour le socle.

L’AND et la DIRISI sont là, respectivement, pour conduire les projets et les exploiter au service des différentes DSI métiers du ministères (direction générale de l’armement, secrétariat général, forces…) dans un contexte de cybersécurité défini par le ComCyber.

Quels sont les moyens dont dispose l’AND ?

L’AND fonctionne sur un mode projet et transverse. L’AND pilote fonctionnellement 450 personnes mais la plupart des personnels restent dans leurs organisations respectives (direction générale de l’armement, secrétariat général, forces…). Moins de 15 % sont organiquement rattachés à l’AND. Dans les 85 %, les deux-tiers sont de la DGA, un tiers des autres directions et des forces. Par contre, pour les chefs de projet, la moitié sont de la DGA et l’autre moitié des autres directions. Ce mode d’organisation nous permet de mutualiser et d’échanger sur les bonnes pratiques, les solutions… en gardant les équipes de projet au plus près des entités métier.

Nous disposons donc d’un budget propre et du budget des différentes entités pour lesquelles nous travaillons. L’AND peut signer des marchés publics. Les acheteurs fonctionnellement rattachés à l’AND sont des acheteurs de la DGA et de la DIRISI.

Quels sont vos modes opératoires ? Pouvez-vous adopter une approche agile tout en étant dans le secteur de la défense ?

Nous menons des projets soit en cycle en V soit en mode agile. Pour construire le socle, nous avons beaucoup de trains SAFe.

Mais l’agile, c’est tout sauf n’importe quoi. C’est, au contraire, suivre précisément, à chaque itération, ce qui doit être fait. Surtout, l’agile permet, toujours à chaque itération, de vérifier la valeur délivrée et, dans la foulée, d’opérer les arbitrages et les priorisations. Et, à chaque fois, le produit part en production et exploitation. C’est le métier qui, du coût, va valider que la valeur lui a bien été apportée. Le maximum de durée d’un cycle, c’est deux mois.

Quels sont actuellement vos grands projets ?

Pour le socle, nous sommes en train de construire un cloud avec la DIRISI, opéré en interne mais connecté à Internet donc non protégé pour des applications non-classifiées. Nous construisons un deuxième cloud pour la diffusion restreinte, donc non-connecté à Internet. Autre projet, Descartes est un réseau résilient du ministère des armées pour gérer les crises majeures sur le territoire national métropolitain. Nous nous consacrons également à la création d’un téléphone mobile sécurisé compatible « diffusion restreinte ». Il s’agit d’un projet interministériel porté par le Ministère des Armées, différent de la solution retenue par le Ministère de l’Intérieur, et basé sur une solution Thalès Ercom.

Concernant le SI opérationnel et de commandement, nous construisons un SI de conduite des opérations capable de supporter le niveau secret. Artemis.IA est un traitement massif de données hétérogènes pour du renseignement ou du maintien en conditions opérationnelles préventif. Nous avons choisi de créer trois instances mutualisées : l’une pour le niveau secret, une autre pour la diffusion restreinte et la dernière pour le non-protégé. C’est évidemment moins coûteux que de créer une infrastructure par cas d’usage.

Enfin, au niveau du SI administratif et de gestion, je voudrais mentionner Source Solde, la paye des militaires, qui est aujourd’hui parfaitement opérationnel. Nous construisons des SI logistiques et de maintien en conditions opérationnelles pour chacune des trois armées. J’intègre à ce niveau notre outil de télémédecine de l’avant : il s’agit de disposer en opérations d’une aide au diagnostic, de moyens de donner les bons gestes aux soldats sur place et de gérer le dossier médical en ne communiquant que les données nécessaires. Avec le service historique de la Défense, nous travaillons sur l’implémentation de Vitam, le système d’archivage interministériel, projet que nous nommons Archipel. Pour terminer, je vais citer Sigale qui permet aux industriels de réaliser les demandes d’exportation de matériels militaires. Ce projet est mené avec le SGDSN.

La guerre des talents est-elle un sujet pour vous ?

Oui, bien sûr, c’est un souci. La question ne concerne pas que les jeunes mais aussi les profils plus seniors. Nous attirons beaucoup par l’intérêt des missions, la taille des projets et le niveau de responsabilité que nous offrons. Mais nous avons surtout un problème de fidélisation parce que les salaires sont liés à la grille de la fonction publique, même si la DINUM revalorise actuellement la filière numérique.

Et quand on parle de cloud, il faut trouver les bonnes compétences ! Nous sommes en compétition avec tout le monde industriel. En conduite de projets, nous avons une majorité de civils, fonctionnaires ou contractuels.

Quels défis principaux vous restent-ils à relever ?

J’en vois deux principaux.

Tout d’abord, nous devons assurer notre évolution vers le data centric depuis notre actuelle approche system centric. Cela implique de repenser nos architectures et, bien évidemment, d’adapter la cybersécurité en conséquence, avec data centric security et zero trust au lieu de la sécurité périmétrique.

Et puis, bien sûr, il y a le cloud et le edge cloud. On parle en général de core-cloud mais il va y avoir aussi de plus en plus du edge cloud, au plus près des opérations.

D’une manière générale, il nous faut adapter nos systèmes à nos usages futurs.

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