Rh

Jérémie Bertrand (IESEG) : « quelle école de commerce pourrait ne pas enseigner la data science ? »

Par Bertrand Lemaire | Le | Formation

Associer data et business dès l’école est un enjeu saisi au bond par de nouveaux établissements. Jérémie Bertrand, directeur académique adjoint en charges des masters du Programme Grande Ecole de l’IESEG, nous explique comment l’Institut d’Economie Scientifique et de Gestion y parvient depuis 1964, en s’adaptant aux évolutions des attentes des entreprises.

Jérémie Bertrand, directeur académique adjoint en charges des masters du PGE de l’IESEG. - © IESEG
Jérémie Bertrand, directeur académique adjoint en charges des masters du PGE de l’IESEG. - © IESEG

Pouvez-vous, pour commencer, nous présenter l’IESEG (Institut d’Economie Scientifique et de Gestion) ?

L’IESEG a été créé en 1964 au sein de l’Université Catholique de Lille. Nous sommes une école de commerce post-bac proposant un diplôme Bac+5. Nous intégrons donc le cycle bachelor.

Nous disposons aujourd’hui d’un campus dans le quartier Lille Vauban et d’un autre à Paris La Défense. Contrairement à d’autres, pour mener notre internationalisation, nous ne disposons pas de campus à l’étranger mais nous faisons venir les étudiants étrangers sur nos campus français et nous recourons à des partenaires étrangers pour des échanges académiques et des doubles diplômes. Nous pouvons ainsi nous appuyer sur un réseau de 336 partenaires dans 76 pays. La langue de base de l’enseignement à l’école est l’Anglais.

Nous connaissons une forte croissance et comptons actuellement environ 8000 étudiants grâce, notamment, à l’ouverture des masters à des admissions parallèles et à l’alternance.

Si nous restons une école de commerce généraliste, nous avons un double angle particulier pour notre enseignement : la data et la RSE. Nous voulons que ces manières de voir soient des réflexes à tout moment chez nos anciens étudiants.

Quels sont les besoins réels des entreprises en matière de profils associant data et business ? Assurances et banques en utilisent depuis des lustres…

L’expertise technique autour de la data se développe beaucoup dans les écoles d’ingénieurs. Il y a une très forte innovation en la matière. Par ailleurs, il existe des expertises métiers particulières reposant sur la data, banques et assurances sont en effet de très bons exemples.

Mais, du coup, l’écart entre l’accroissement de l’expertise technique et les métiers du quotidien, de front-office, s’accroît. La vocation d’une école de commerce n’est pas d’aller concurrencer les écoles d’ingénieur ou les chercheurs. Mais il s’agit plutôt de développer des profils de facilitateurs permettant de faire communiquer les différentes expertises.

Au delà de la finance ou du marketing, la data est de plus en plus présente dans tous les départements, même la DRH pour la GPEC [Gestion Prévisionnelle des Emplois et Compétences, NDLR]. Et le traitement de la data est de plus en plus technique. Il est donc essentiel que les écoles de commerce forment à la data. C’est juste indispensable. Quelle école de commerce pourrait ne pas enseigner la data science ? Par contre, la mettre trop en avant, c’est juste du marketing.

Concrètement, comment formez-vous à la data science ?

Le bon facilitateur doit parler le langage de chaque partie. Nos étudiants apprennent donc les bases de l’algorithmie, comment on créé des algorithmes, ainsi que celles des statistiques, etc. Nous ne formons ni des informaticiens ni des statisticiens mais des managers qui comprennent leur langage.

Et nous leur apprenons aussi ce qu’ils doivent savoir autour de la data science, par exemple l’aspect juridique du traitement des données (RGPD…), les biais psychologiques qui peuvent apparaître dans les algorithmes… Aux Etats-Unis, il a été montré qu’il pouvait exister une discrimination ethnique indirecte à cause d’a priori inclus dans les algorithmes. Nos étudiants doivent savoir détecter ce genre de problèmes.

Nous avons d’ailleurs lancé un Dataviz Challenge [Concours de datavisualisation, NDLR]. Celui-ci n’est pas encore très connu mais tout étudiant européen peut y participer. Nous avons eu 80 candidats (dont dix externes) en 2021, 100 (dont vingt externes) en 2022 et nous renouvelons l’opération pour 2023. Notre partenaire Cofidis amène un jeu de données important et les quantités doivent produire une visualisation signifiante et claire. La première édition a été remportée par des étudiants de Master 1 (quatrième année), la deuxième par des étudiants de troisième année.

Le spectre d’enseignement est donc très large : logique, codage informatique, statistiques, psychologie, droit… Il s’agit de bien comprendre la data dans tous ses aspects.

Un tel enseignement suppose un certain niveau en mathématiques dès le bac. Est-ce un problème pour recruter les étudiants ? Parvenez-vous, malgré cette exigence, à une certaine mixité ?

De fait, la réforme du lycée a constitué un vrai défi. Le concours d’entrée permet de savoir si l’étudiant a les bases nécessaires pour suivre notre formation. Mais nous avons dû adapter le cursus des deux premières années pour mieux correspondre aux nouveaux profils, en rajoutant des cours pour apporter les savoirs nécessaires. Nous voyons là un avantage de disposer du premier cycle intégré : nous pouvons en adapter l’enseignement pour répondre à nos besoins.

Concernant la mixité de genre, il n’y a pas, chez nous, de véritable souci. Nous restons une école de commerce. La data n’est une question ni de genre ni de culture. Dans l’avenir, nous ne devrions plus nous poser ni cette question ni même la question de la data. Ca sera juste une évidence naturelle.

Quels défis en rapport avec la data voyez-vous à relever dans les prochaines années, pour les entreprises comme pour les écoles ?

Le premier, c’est l’éloignement progressif avec le temps entre pôles d’expertises, au fur et à mesure que les niveaux techniques s’élèvent. C’est un vrai défi pour qui veut être transversal alors même que conserver la transversalité est de plus en plus important.

Un deuxième est sans doute le fait que l’on veut tout quantifier. Mais comment produire de la donnée quand des éléments sont peu ou pas mesurables ? Peut-on, par exemple, mesurer le climat au-delà de données météorologiques ponctuelles ? Il est indispensable d’avoir une bonne connaissance globale du fonctionnement des entreprises (ou du milieu que l’on étudie) pour générer une donnée qui a du sens, de la pertinence, de l’intérêt. Quelque part, produire de la donnée est toujours facile. Mais est-ce que cette donnée a du sens, une utilité ? Former les experts capables de créer des données pertinentes est sans doute un très important défi.


Sur le même sujet

Grégoire Genest (Albert School) : « nous réconcilions excellence et professionnalisation »