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Souveraineté, sobriété : deux piliers pour le numérique

Par Bertrand Lemaire | Le | Green it

Jean-Noël Barrot, ministre délégué à la transition numérique et aux télécommunications, est confronté à l’impact environnemental et à la souveraineté. En début de semaine, il a dû traiter l’un et l’autre dans la même journée avec la remise du rapport ADEME/ARCEP et le colloque d’IDFRights.

Jean-Noël Barrot est ministre délégué à la transition numérique et aux télécommunications. - © Républik IT / BL
Jean-Noël Barrot est ministre délégué à la transition numérique et aux télécommunications. - © Républik IT / BL

Le lundi 6 mars 2023 a été une journée chargée pour Jean-Noël Barrot, le ministre délégué à la transition numérique et aux télécommunications. Dans la même journée, il s’est retrouvé confronté à deux dossiers particulièrement ardus : d’une part l’impact environnemental du numérique d’abord, au travers de la remise d’un rapport, d’autre part la souveraineté lors d’un colloque organisé par IDFRights (Institut des Droits Fondamentaux Numériques), un cercle de réflexion présidé par l’ancien journaliste et député européen Jean-Marie Cavada.

Pour commencer, l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l'énergie) et l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) ont remis, ce jour-là, à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, et Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, les résultats de leur étude prospective sur l’empreinte environnementale du numérique en France à l’horizon 2030 et 2050. Ce rapport est en fait le troisième volet du travail commandé par le gouvernement en août 2020, la remise des deux premiers volets ayant eu lieu en 2022. Les rapports peuvent être retrouvés en ligne.

Une croissance considérable de l’empreinte environnementale du numérique

Les estimations de l’ADEME et de l’ARCEP ont été largement remises en cause par divers experts contestant les bases de calcul. Il n’en demeure pas moins que l’impact environnemental du numérique est incontestable, que ce soit pour la fabrication des équipements comme pour leur utilisation. En matière de prospective, les hypothèses retenues restent toujours des hypothèses et les chiffres avancés seront sans doute contestés. Mais, là encore, l’appel à la modération est raisonnable. Même l’ADEME et l’ARCEP reconnaissent (sans le chiffrer) l’impact positif du numérique sur d’autres sources considérables d’impact environnementale, au premier chef desquels les transports.

Selon les deux organismes, en prenant comme hypothèse une progression continue similaire à celle observée ces dernières années, « le trafic de données serait multiplié par 6 et le nombre d’équipements serait supérieur de près de 65 % en 2030 par rapport à 2020, notamment du fait de l’essor des objets connectés. » Dans ce cas, entre 2020 et 2030, nous connaîtrons une croissance de 45 % de l’empreinte carbone du numérique en France pour atteindre 25 Mt CO2eq, de 14 % de la consommation de ressources abiotiques (métaux et minéraux) et de 5 % de la consommation électrique finale en phase d’usage pour atteindre 54 TWh par an. « A horizon 2050, si rien n’est fait, l’empreinte carbone du numérique pourrait tripler par rapport à 2020 » ajoutent les auteurs du rapport.

Des mesures de bon sens ?

L’ADEME et l’ARCEP recommandent logiquement d’observer une certaine sobriété numérique en limitant les nouveaux usages en fonction de leur utilité réelle, en stabilisant ou réduisant le nombre de terminaux et, enfin, en allongeant la durée de vie des équipements. Ces mesures permettraient de réduire de 16 % les émissions de gaz à effet de serre, de 30 % la consommation de ressources abiotiques et de 52 % la consommation d’énergie.

Christophe Béchu a souligné que « la transition écologique passe par une transition numérique décarbonée et écoresponsable. » Agnès Pannier-Runacher a prévu, pour sa part d’inclure un certain nombre de mesures suggérées par ce rapport dans les évolutions du plan de sobriété énergétique. Enfin, « notre société doit prendre deux tournants majeurs : la transition écologique et la transition numérique, il est impératif de les mener toutes les deux conjointement » a commenté Jean-Noël Barrot.

Faire rentrer le numérique dans un cadre légal européen

GàD : Jean-Marie Cavada, Guillaume Grallet, Isabelle Szczepanski (journalistes) et Jean-Noël Barrot. - © Républik IT / B.L.
GàD : Jean-Marie Cavada, Guillaume Grallet, Isabelle Szczepanski (journalistes) et Jean-Noël Barrot. - © Républik IT / B.L.

Ce dernier s’est intéressé le soir à un autre sujet ô combien périlleux, la souveraineté numérique, à l’invitation d’IDFRights. Fondé il y a trois ans par l’ancien journaliste et député européen Jean-Marie Cavada, l’objet de ce cercle de réflexion est de faire rentrer le numérique dans le cadre légal européen et, ainsi, de défendre la souveraineté des entreprises et la maîtrise de leur patrimoine de données. A l’invitation de Nathalie Collin, directrice générale de la Branche Grand Public et Numérique du groupe La Poste, le colloque s’est déroulé au siège de la société publique. Nathalie Collin a accueilli les participants en se réjouissant que La Poste générerait bientôt un milliard d’euros de chiffre d’affaires dans le numérique et en insistant sur la nécessité d’associer souveraineté numérique et régulation sans négliger, non plus, l’inclusion. Elle a, en particulier, pu se réjouir de la sécurisation du CPF (Compte personnel de formation) avec une identité numérique forte (comme celle fournie par La Poste). Cette sécurisation a pu éviter la poursuite de réelles escroqueries tant au détriment du secteur de la formation professionnelle que des salariés privés de leurs droits.

Jean-Noël Barrot n’a pu qu’acquiescer, bien entendu, avant de rappeler que, à notre époque, la souveraineté numérique est une condition de la souveraineté tout court. Trois aspects sont à considérer selon lui : l’innovation (il faut maîtriser les technologies d’avenir, notamment grâce au programme France 2030), la régulation (pour une concurrence équitable sur un marché unique européen avec respect de la vie privée) et l’inclusion (tous doivent bénéficier des bienfaits du numérique). Sur ce dernier point, il a notamment insisté sur les nécessaires investissements en infrastructures télécoms, bien sûr, mais aussi sur le besoin de former les 13 millions d’habitants de notre pays « éloignés du numérique ». Pour le ministre, la crise sanitaire Covid-19 suivie de la guerre en Ukraine ont au moins eu un aspect positif : désormais, nos partenaires européens sont conscients des limites de l’autonomie européenne et de la nécessité de parler de souveraineté.

SecNumCloud et concurrence comme piliers de la souveraineté

Si les évolutions réglementaires européennes amènent désormais à des contrôles a priori et des interdictions de principe (au lieu de longues procédures judiciaires a posteriori) pour garantir la concurrence, il reste du travail à faire. Mais Jean-Noël Barrot a bien insisté sur un point : « nous ne boutons pas les entreprises étrangères du marché européen mais celles-ci doivent respecter nos règles ». Pour les hyperscalers, ce n’est sans doute pas gagné mais le ministre veut croire à des avancées en s’appuyant sur plusieurs piliers. D’abord, entretenir la concurrence, ce qui implique de faire cesser toute dépendance des entreprises, donc à imposer interopérabilité et portabilité grâce à la réglementation européenne. En deuxième lieu, même si les Etats-Unis consacrent un budget à la R&D sans commune mesure au travers de la Darpa, le ministre veut croire aux chances françaises grâce à France 2030. Enfin, il veut lancer un marché du cloud de confiance dont le fondement serait la norme SecNumCloud. Celle-ci garantit notamment l’immunité vis-à-vis des législations et réquisitions étrangères.

Jean-Noël Barrot n’a pas voulu afficher trop visiblement un scepticisme sur les travaux européens visant à trouver un terrain d’entente avec les Etats-Unis afin de permettre une décision d’adéquation des fournisseurs de cloud américains vis-à-vis du RGPD. Schrems III est toujours possible… Mais il a reconnu la nécessité de rendre des arbitrages parfois douloureux, par exemple dans le cas fameux du Health Datahub où un hyperscaler a été choisi pour son hébergement afin de « ne pas retarder la mise en production ». Mais il a confirmé son désir de lutter contre les risques de discrimination, de manipulation culturelle, de viol de propriété intellectuelle, etc. associés à certaines nouvelles technologies (par ailleurs éventuellement prometteuses en cas d’usage pertinent) telles que ChatGPT.