Arnaud Boucher (Chronodrive) : « avec l’IA, le profit ne s’oppose pas à la RSE et au client »

Pouvez-vous nous présenter Chronodrive ?

Créé en 2004, nous sommes un pionnier du drive. Nous disposons aujourd’hui de 56 drives sur tout le territoire national. Nous appartenons au groupe Auchan Retail avec qui nous mutualisons la logistique mais nous choisissons notre propre assortiment, notre propre politique commerciale, notre WMS et nous gérons notre propre stock. Nous sommes un drive solo. Nous ne réalisons donc pas de picking dans les stocks d’un magasin ouvert au public.

Seules les commandes complètes sont possibles. Concrètement, lorsqu’un produit n’est pas disponible en stock (ce que, bien sûr, nous cherchons à éviter), il ne peut pas être commandé et apparaît comme indisponible dans l’application. Le stock affiché correspond au stock réel, ce qui permet de garantir à chaque client qu’il repartira avec l’intégralité de ses courses, sans produit manquant. Nous garantissons la commande disponible dans votre coffre de voiture en 30mn ou, depuis deux ans, livrée chez vous en moins de deux heures. La livraison est actuellement un service intégré dans neuf drives (nous augmentons ce chiffre) et repose sur du collaboratif ailleurs (un client venu faire ses courses est récompensé pour livrer celles de quelqu’un près de chez lui).

Notre force est un service client irréprochable. Même si le drive est évidemment une forme de commerce plus compliquée que le retail classique, notre Net Promoter Score est supérieur à 80 depuis dix ans, très loin devant nos concurrents (le suivant est aux environs de 60).

Nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 490 millions d’euros en 2025.

Quelle est votre organisation IT et comment vous positionnez-vous par rapport à elle ?

En tant que directeur des métiers, je m’occupe de la technique, de l’immobilier, de l’organisation, des méthodes, de la qualité, de la RSE et de la logistique.

La DSI regroupe l’IT, la data/IA et la cybersécurité. Elle est organisée comme un partenaire des métiers, avec une responsabilité directe sur la transformation digitale, la valorisation de la donnée et la qualité de service.

Les sujets sont co-construits : le métier porte l’ambition business, la DSI porte les choix technologiques, data et sécurité pour créer de la valeur durable

Quelles sont les grandes lignes de votre architecture ?

Nous avons construit ces deux dernières années un SI plateforme, basé sur des APIs et des briques composables, adapté à notre modèle de drive 100 % digital et à nos exigences de temps réel.

Cette approche nous permet d’intégrer rapidement des solutions externes, y compris en SaaS, tout en conservant un haut niveau de maîtrise et de qualité de service.

L’IT est centralisée et utilisée par l’ensemble des drives, et nous nous appuyons largement sur le cloud public — notamment GCP et Azure — pour la scalabilité, la résilience et la sécurité.

Quelle était votre problématique initiale ayant justifié le recours à l’IA Bamboo Rose Decision Intelligence ?

Nous avons la volonté de toujours mener et améliorer une « chasse au gaspi ». C’est une préoccupation autant de RSE que d’optimisation de notre chaîne de valeur.

Depuis dix ans, nous avons un algorithme qui permet de définir des promotions par catégorie de produits lorsque les dates limites de consommation approchent (« DLC courtes »). Par exemple, le yaourt au bout de six jours ou la viande au bout de trois jours. L’idée est d’accélérer la vente sur ces produits. Plus la DLC se rapproche, plus la promotion est importante. Quand la valeur est de 0, nous le proposons en Too Good To Go ou nous le remettons aux banques alimentaires pour une consommation immédiate.

En drive, il y a par nature moins de perte qu’en libre-service car les produits ne sont pas manipulés par les clients.

Pourquoi vouliez-vous changer d’approche ?

Parfois, nous avons constaté que nos promotions n’étaient pas toujours parfaitement ajustées. Si nous réalisons une promotion de -50 % alors que l’écoulement serait suffisant avec -30 %, il vaut mieux, évidemment, faire une promotion à -30 %.

Il peut y avoir parfois des problèmes d’approvisionnement, par exemple un doublement d’une ligne de commande. Nous recevons donc deux fois la quantité de produits attendue.

L’écoulement des produits est connu par notre historique. Et notre préoccupation est que nous voulons une certitude d’écouler toute la marchandise dans les temps.

Evidemment, il était hors de question de faire de l’IA pour le plaisir de faire de l’IA. Mais il se trouve que nous avons beaucoup de data : vingt ans d’expérience avec 100 % de clients encartés ! L’IA permet une approche avec une grande granularité pour une meilleure adéquation offre/demande pour garantir l’écoulement intégral de la marchandise.

Notre nouveau moteur de promotion discute avec l’IA dynamiquement. Il s’agit d’avoir une politique juste et efficace. Avec l’IA, le profit économique ne s’oppose pas à la RSE et à la satisfaction client.

Quel bilan tirez-vous de ce choix de l’IA ?

Classiquement, la « casse » (pertes de produits) est de l’ordre de 2 % en distribution. Nous avons baissé ce taux de 8 % en quelques mois. L’optimisation de la marge résultante est, en équivalent année pleine, estimée à 700 000 euros.

Comment le projet a-t-il été mené ?

Depuis 2023, nous travaillions avec Vertigo sur divers sujets. En mars 2025, nous avons commencé à réfléchir sur l’usage de l’IA sur notre optimisation de l’écoulement des surstocks car nous pensions que nous pouvions faire mieux. Nous avons donc sollicité Vertigo. Cette entreprise a été rachetée par Bamboo Rose et leur solution est devenue Bamboo Rose Decision Intelligence. L’outil est en SaaS.

En mai-juin 2025, nous avons déployé la solution sur cinq drives en test. Devant le résultat positif, nous avons déployé sur l’ensemble des drives en deux vagues durant l’été.

Le choix que nous avons fait de plateformiser notre IT nous permet, comme vous le voyez, d’aller très vite pour déployer une solution.