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Jean-Marc Steffann (La Poste) : « nous avons de grandes ambitions dans les services de confiance »

Par Bertrand Lemaire | Le | Gouvernance

DSI de la branche Grand Public et Numérique de La Poste, Jean-Marc Steffann explicite ici la stratégie numérique de ce groupe public.

Jean-Marc Steffann est DSI de la branche Grand Public et Numérique du groupe La Poste. - © Républik IT / B.L.
Jean-Marc Steffann est DSI de la branche Grand Public et Numérique du groupe La Poste. - © Républik IT / B.L.

Comment est organisée La Poste à la suite de son dernier plan stratégique ?

La Poste est un groupe multi-activités qui réalise un chiffre d’affaires de 35,4 milliards € et emploie 184 000 collaborateurs en France et 238 000 avec l’international. Il faut en effet ne pas oublier que 44 % de l’activité du groupe se fait à l’international via Geopost et la CNP (Brésil, Italie…).

La Poste est organisée en quatre branches d’activité.

La branche historique est la branche Service-Courrier-Colis, au nom explicite. L’essentiel de ses relations commerciales sont B2B. Elle propose également des offres B2B2C, par exemple via des sites e-commerce comme Vinted. 

Les activités de colis express à l’international sont regroupées dans la branche Geopost. La Banque Postale avec sa filiale CNP assurances constitue la troisième branche du groupe.

Enfin, la branche Grand Public et Numérique, dont je suis DSI, est une construction inédite issue du nouveau plan stratégique du groupe. Cette branche est centrée sur un segment de clientèle  et non plus sur un métier. Nous agrégeons en effet le réseau de bureaux de poste et l’ensemble des services dédiés au grand public tant en bureau qu’en ligne. Les offres grand public courrier et colis sont donc distribuées par notre branche. Le groupe Docaposte est rattaché à Grand Public et Numérique.

Pouvez-vous entrer plus en détail sur la description de la branche Grand Public et Numérique ?

Nous avons vocation à travailler pour le grand public. Nous portons l’offre du groupe autour des clients particuliers et professionnels (TPE, indépendants et petites collectivités). Nous disposons pour cela du réseau des 17 000 points de contact (environ 7000 bureaux de poste et environ 10 000 partenaires : La Poste agence communale et La Poste relais  en supermarchés, libraires, buralistes…). En parallèle, nous nous appuyons sur la distribution digitale de nos produits et services sur LaPoste.fr ou via les applications mobiles. 

Retrouvez Jean-Marc Steffann à l’IT Night

Jean-Marc Steffann, Directeur des Systèmes d’Information de la branche Grand Public et Numérique du groupe La Poste, est membre du jury des Trophées de l’IT Night et interviendra donc lors de la soirée. Plus d’informations sur l’IT Night

Comment est organisée l’IT associée à tous ces services ?

Le principe est d’opérer au niveau groupe une mutualisation. Par exemple, tout ce qui est infrastructures est géré au niveau groupe, tout comme l’IT des fonctions support (finances, RH…) et la bureautique Microsoft Office 365.

Au sein de la branche Grand Public et Numérique, nous avons l’IT des services numériques grand public (LaPoste.fr, L’Identité Numérique…). Nous pilotons la connaissance clients et l’accès sécurisé à nos services numériques.

Et en matière d’IA et de data ?

En matière de data et d’IA, nous disposons d’un datalake qui compte parmi les plus aboutis du marché avec les algorithmes associés. Nous avons identifié 600 projets d’IA sur des sujets opérationnels.

Par exemple nous avons créé une solution de détection de la fraude grâce à la data et à l’IA, opéré aujourd’hui par une filiale, Transactis, qui a vocation à être commercialisé auprès d’autres acteurs. Parmi les autres projets, citons l’optimisation de l’organisation des équipes dans les bureaux de poste, l’interprétation des factures (détection de chaque information pour une injection automatique dans les systèmes d’information)… et la reconnaissance d’adresses sur les lettres.

Bien sûr, l’OCR existe depuis longtemps. Mais, désormais, quand on scanne une enveloppe, nous pouvons, grâce à l’IA, corriger les erreurs liées aux caractères illisibles comme celles de rédaction. Si vous vous trompez dans le code postal ou dans l’orthographe du nom de la rue, par exemples, le système pourra corriger.

Je rappelle à cette occasion que le groupe La Poste a ouvert une école dédiée à la data et à l’IA pour que nous disposions des ressources humaines dont nous avons besoin. Cette Ecole a deux spécificités : la parité (elle compte autant de femmes que d’hommes parmi les 51 premiers apprenants) et la formation à l’éthique dans l’usage des données et de l’IA. Les candidatures pour la nouvelle promotion seront d’ailleurs prochainement ouvertes.

Parmi les services numériques mis en œuvre par La Poste, l’un a particulièrement du succès au sein de FranceConnect : L’Identité Numérique. Comment ce service fonctionne-t-il ?

Rappelons la genèse du projet. La Poste a toujours été intéressée par la question de l’identité, de sa gestion et de sa vérification, en premier lieu pour son propre usage. Dans le cadre de ses activités, La Poste réalise quotidiennement plusieurs centaines de milliers de vérification d’identité. Le courrier se dématérialisant, la question de l’identité numérique est ainsi apparue. En bureau de poste, la validation de L’Identité Numérique passe par une vérification de l’identité par un postier.

En 2014, l’Union Européenne a normalisé ce qui devait être l’identité numérique dans la norme eIDAS avec trois niveaux. Dans le niveau simple, c’est du pur déclaratif. Le niveau substantiel inclut une réduction significative du risque de fraude. Enfin, le niveau élevé est dite « identité régalienne », similaire à l’usage des papiers d’identité officiels. Pour le commerce, le niveau substantiel est généralement suffisant. Cela correspond à la vérification visuelle simple d’une carte d’identité par un commerçant recevant un chèque en face-à-face.

Il faut distinguer l’identification, c’est à dire la collecte initiale des données d’identité, et l’authentification, le contrôle de ces éléments. L’authentification peut reposer sur trois facteurs : ce que je connais, ce que je suis (biométrie) et ce que je possède. A cela, il faut ajouter une dimension aléatoire. Pour que l’identité numérique soit déclarée de niveau substantiel, il faut deux facteurs et un aléa. Le « ce que je suis » était compliqué à mettre en œuvre car il n’existe pas et il ne peut pas exister de base de données centrale biométrique. Pour le « ce que je possède », nous avons choisi le smartphone plutôt qu’une carte à puce. Lire l’IMEI était un test trop simple pouvant être falsifié. Nous avons préféré la solution fournie par Thales qui identifie le smartphone avec une clé unique calculée. Quant au « ce que je sais », c’est un code PIN à saisir sur l’application mobile L’Identité Numérique. Enfin, la fonction d’aléa opère dans la transaction entre le solliciteur et le smartphone.

Début 2020, L’Identité Numérique a été certifiée comme substantielle par l’ANSSI dont le niveau d’exigence est particulièrement élevé.

FranceConnect est un fédérateur qui s’appuie sur des identités numériques pré-existantes. L’Identité Numérique de La Poste fait partie de celles-ci. C’est le seul à être de niveau substantiel. FranceConnect envoie sa demande d’authentification par API et la réponse intègre les informations demandées (nom, prénom, civilité, date et lieu de naissance…). Depuis fin 2022, FranceConnect+ distingue les authentifications substantielles. Le premier usage était bien sûr l’accès au CPF.

Parmi les évolutions structurelles du marché, il y a bien sûr la baisse du courrier papier. Vous développez des lettres électroniques…

En effet, il s’agit pour nous de se mettre en posture de distribuer des lettres électroniques, éventuellement rematérialisées au plus près du destinataire, ce que l’on appelle l’e-lettre rouge.

A priori, ce service s’adresse à des gens autonomes sur le plan informatique. Mais La Poste a une vocation universelle et nous devions donc rendre accessible ce service à des personnes non-autonomes autant pour des questions d’aptitudes que matérielles. Il est possible, ainsi, de scanner soi-même une lettre papier en bureau de poste sur un automate dédié. Mais il est aussi possible de demander à un chargé de clientèle de scanner son courrier pour le même service. Un tel service dépanne quelqu’un qui ne serait pas autonome. Le fichier ainsi obtenu est envoyé au plus près du destinataire avant d’être rematérialisé (imprimé) et distribué. En multipliant les sites d’impression pour être au plus près du destinataire, nous pouvons décommissionner toute la lourde logistique du J+1, très consommatrice en carbone (avions, camions…). En supprimant les avions et camions et en ne gardant que les facteurs pour la distribution du dernier kilomètre, nous abaissons considérablement notre empreinte environnementale.

Le colis, dopé par le e-commerce, compense-t-il la baisse du courrier ?

Nous développons actuellement la prise de rendez-vous en bureau de poste afin d’éviter à nos clients de faire la queue pour récupérer son colis. Il s’agit d’améliorer la prestation offerte afin d’être plus attractif. Il s’agit pour nous de garder le flux dans le bureaux.

Certes, le marché du colis s’accroît. Mais ce marché est l’objet d’une forte captation par la concurrence et sa croissance ne compense pas complètement la baisse du courrier papier.

Comment, de ce fait, maintenez vous les flux de clients en bureaux de poste ?

Nous multiplions les autres services. Par exemple, nous proposons de passer l’examen du code de la route en bureaux de poste. Demain, d’autres examens pourront être passés de la même façon. Nous avons développé des tablettes sécurisées avec le ministère de l’intérieur pour ces services et nous multiplions les points de passage d’examens.

Quels sont vos autres défis ?

Le premier est probablement d’adopter la logique plateforme, c’est à dire de créer un seul service pour un type d’usage (par exemple comme L’Identité Numérique). Nous sommes actuellement en train de construire ces plates-formes. Nous avons en effet une ambition numérique significative dans les services, notamment les services de confiance. Nous voulons rapprocher le digital et le physique, proposer de récupérer un courrier recommandé ou un colis avec une identité numérique, prendre en ligne un rendez-vous en bureau de poste, etc. Ce rapprochement du digital et du physique suppose de marier des systèmes qui évoluent avec des rythmes différents.

Notre deuxième défi n’est pas moindre : il s’agit de la qualité de service. L’expression « comme une lettre à La Poste » montre que le niveau d’exigence est très élevé vis-à-vis de nos services. Or c’est nettement plus compliqué de garantir cette qualité de service à l’ère numérique qu’auparavant. L’envoi de lettres recommandées durant la crise sanitaire Covid-19 a été tout sauf simple. Auparavant, il n’y avait pas besoin d’élasticité face à des pics brutaux d’activité. Aujourd’hui, nous devons travailler sur l’élasticité en plus de l’industrialisation et de l’automatisation des services numériques.

Bien sûr, il nous faut poursuivre la digitalisation de La Poste et aboutir à La Poste Data Driven. Pour cela, nous avons l’obligation de rendre accessibles des datas de qualité. Certains flux de données sont avec une qualité satisfaisante, d’autres sont actuellement en cours de mise à niveau, d’autres le seront plus tard.

Enfin, comme nous l’avons déjà évoqué, le courrier papier diminue très fortement. Nous vivions sur un produit très mature et stable mais c’est terminé. Il nous faut donc créer de nouveaux services. Pour cela, nous n’avons pas d’autre choix que de procéder par essais-erreurs pour mener nos innovations. Si l’ensemble de nos défis nous aide pour relever ce défi-ci (par exemple, la création de plates-formes facilite le déploiement de nouveaux services), il nous reste à généraliser une posture organisationnelle IT plus agile.


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