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Chadi Mraghni (O2) : « la confiance permet l’agilité sur un projet complexe »

Par Bertrand Lemaire | Le | Cas d’usage

L’entreprise de services à la personne O2 compte sur la digitalisation de ses processus pour accroître son efficacité. Si beaucoup d’applications sont spécifiques et « faites maison », O2 sait aussi s’appuyer sur des partenaires externes tels que le cabinet de conseil et d’expertise technique Ippon Technologies pour son application mobile de gestion Nomad. Récit de Chadi Mraghni, DSI du groupe O2.

Chadi Mraghni est le DSI du groupe O2. - © Loïc Sabatte, Zazou Photo / O2
Chadi Mraghni est le DSI du groupe O2. - © Loïc Sabatte, Zazou Photo / O2

Pouvez-vous nous présenter O2 ?

Nous sommes la plus importante entreprise du secteur privé lucratif en France spécialisée dans les services à la personne. O2 est née en 1995 et a commencé réellement son développement dans les années 2000. Notre métier est en effet récent. Nous fournissons des prestations sous la forme d’heures de personnel au domicile en bénéficiant d’aides fiscales : ménage/repassage, jardinage, aide aux seniors, garde d’enfants… Remarquons que nos assistants de vie ne sont pas des aides-soignants et encore moins des infirmiers ou des médecins : nous ne pratiquons donc aucun geste à caractère médical.

Sous l’enseigne O2, nous avons 15 000 collaborateurs dont 13 000 intervenants à domicile.

En tout, le Groupe Oui Care est composé d’une quinzaine de marques (O2, APEF, La Compagnie des Lavandières, Les Bienveillants…) et regroupe plus de 20 000 collaborateurs. Nous avons plus de 630 agences en France. Le groupe est aussi présent en Espagne et en Afrique, et souhaite continuer son développement en Europe, en Afrique, aux Amériques et en Australie. Notre réseau est composé pour à peu près la moitié de succursales et le solde de franchisés. Les franchisés sont bien sûr plus autonomes (tarifs, politique RH…).

Nos clients sont, en principe, des particuliers. Parfois, nous pouvons avoir des contrats avec, par exemple, des assureurs au bénéfice des particuliers (aide à domicile pour aider aux tâches ménagères en cas de fracture…). De même, il peut y avoir du financement public dans le cadre de l’aide sociale.

Dans tous les cas, nos process sont très réglementés.

Comment s’organise l’IT d’un groupe à ce point décentralisé ?

Le SI est principalement centralisé. L’accès au SI fait partie du contrat de franchise. Dans un secteur à très faibles marges, l’IT est un fondement de l’industrialisation de nos processus.

En 2005, O2 a créé un ERP propre sur mesure, à base de Java et d’un framework maison. Il a suivi à marche forcée l’évolution du groupe mais au prix d’une grosse dette technique. Un bon développeur a besoin d’environ six mois pour être totalement opérationnel sur la compréhension de cet outil.

Du coup, qu’avez-vous fait ?

Il fallait, vous l’avez compris, le transformer. Notre marché est très spécifique et finalement peu mature en matière d’IT. Tous les acteurs importants ont donc des outils faits maison qui sont au coeur de leurs processus. Notre ERP couvre ainsi la gestion des clients et des contrats, celle des intervenants, le planning des interventions… mais il y avait de nombreuses opérations manuelles.

En 2018, nous avons lancé un vaste chantier de refonte de cet ERP en architecture micro-services en l’associant à une digitalisation de l’activité. Chaque intervenant dispose ainsi d’un smartphone professionnel (sécurisé avec Mobile Iron) et d’une application fournie par nous. Celle-ci comprend toutes les informations utiles sur les clients (y compris un lien maps pour cartographier l’accès au lieu d’intervention), sur le planning, les fiches de mission (ce qu’il faut faire chez chaque client), etc. L’application intègre également la télégestion : un QRcode chez le client est scanné à l’arrivée et au départ, déclenchant ainsi la facturation et la paie. Chez les personnes âgées, il peut y avoir des prestations critiques. Dans ce cas là, si l’intervenant n’a pas scanné le QRcode dans le temps imparti, s’il est donc en retard, il y a une alerte qui déclenche toute une procédure d’escalade en agence afin de traiter l’incident en urgence.

Depuis janvier 2023, nous facturons nos prestations à la minute. Le scan du QRcode n’en est donc que plus essentiel. La facturation se fait évidemment au client mais aussi, le cas échéant, à un financeur tiers (assureur, aide sociale…) avec la bonne répartition en fonction du contrat.

La digitalisation concerne-t-elle également l’équipe commerciale et de gestion ?

Tout à fait. Nous avons réalisé cette partie avec l’aide du cabinet de conseil et d’expertise technique Ippon Technologies. En agence, il y a les chargés de clientèle et les autres personnels encadrants. Les chargés de clientèle sont le plus souvent chez les clients et il faut donc les accompagner en mobilité. Auparavant, ils n’avaient en effet pas d’accès au SI en mobilité. Or chaque client est unique. Après un premier contact, un chargé de clientèle vient toujours faire une visite au domicile, le lieu d’intervention, pour préciser la prestation. Chaque année, nous faisons ainsi 150 000 visites ! Avant, chaque chargé de clientèle notait les éléments dans un dossier papier, remplissait un devis, un contrat papier… C’était lourd en termes de procédure et tous ces papiers étaient encombrants autant pour lui que pour le client. Ensuite, il fallait ressaisir les données dans l’ERP et cela prenait parfois jusqu’à une heure ! Et la saisie était nécessaire pour lancer la prestation. En cas de retard de saisie, il y avait donc retard au lancement de la prestation, donc perte de chiffre d’affaires. En plus, faire le calcul du devis pouvait être parfois très complexe (aide aux seniors ou à la parentalité notamment).

Nous avons donc mené un projet de digitalisation avec Ippon Technologies baptisé Nomad. Dans l’application, le chargé de clientèle saisit la description du besoin. Le processus de création du devis est très guidé, même pour un nouveau collaborateur. Auparavant, il fallait une très lourde formation pour réaliser des devis. A la fin, l’application génère un devis et le client peut signer sur smartphone. Il reçoit alors son devis et son contrat par mail aussitôt. Cela dit, si le client préfère, il peut aussi signer par mail avec une signature électronique YouSign (connectée à l’application par API). Voire, pour les seniors notamment, le client peut toujours recevoir le contrat papier que nous lui envoyons via le service Maileva de La Poste, également connecté par API à notre SI.

Evidemment, comme nous devons être partout, l’application peut être utilisée en mode déconnecté et, dans ce cas, se synchronise dès que possible. Tout est en Java en architecture micro-services.

Comment Nomad est-il connecté au projet de refonte de l’ERP ?

Nomad est un accélérateur de la refonte d’Odyssée, notre ERP. Mais cette refonte est toujours en cours. Le chantier est prévu sur encore cinq ans car nous ne pouvons pas tout arrêter pendant les travaux !

Pour une prestation de type ménage/jardinage, tout est simple. Pour le service aux seniors, c’est nettement plus compliqué et cadré réglementairement. Nous avons commencé la refonte par le plus simple, ménage et jardinage. Depuis janvier dernier, nous travaillons sur le marché senior et, à la mi-2023, nous attaquerons la partie de l’ERP pour le marché enfance/parentalité.

A ce jour, sur les 250 000 visites réalisées avec la nouvelle procédure, nous avons économisé environ 125 000 heures de travail.

Comment avez-vous réalisé un tel projet très métier en vous appuyant sur un cabinet extérieur ?

Nous avons bien entendu utilisé une méthode agile. Ippon Technologies nous a apporté les premières briques techniques et, ensuite, ce cabinet a joué un rôle d’accélérateur et de facilitateur. Nous l’avons choisie sur appel d’offres il y a près de quatre ans maintenant et nous avons pu bénéficier d’une vraie collaboration de qualité. La difficulté de travailler avec une ESN quand on est en agile, c’est bien sûr la question de la facturation : pas possible de faire du pur forfait puisque la cible n’est pas définie. Et la régie…

Nous avons donc opté pour un modèle de forfait au sprint avec, si cela est nécessaire, un ajustement tarifaire en cas de difficulté. Nous nous connaissons suffisamment pour discuter d’une telle rallonge budgétaire si cela est justifié. La confiance entre eux et nous permet l’agilité sur un projet complexe.

L’application Nomad a ainsi été construite au quotidien avec les utilisateurs de terrain sans aucun cahier des charges initial. Et 100 % des utilisateurs sont satisfaits !

Nomad permet un gain de temps administratif, des calculs automatiques (donc sans erreur) et la suppression des erreurs de ressaisie. A ce jour, il y a 1700 utilisateurs dans 450 agences. La fin du déploiement est prévue pour le courant de l’année. Ensuite, nous avons une vraie feuille de route pour ce produit. Et je parle de « produit » à dessein. Ce n’est pas un projet avec un début et une fin mais un produit qui continue d’évoluer au fil des demandes du métier. Il y a un product owner chez nous et un product owner chez Ippon Technologies.

Un fort cadrage initial ne sert à rien. Par contre, la confiance entre l’ESN et le client est nécessaire pour adapter l’intervention au fil du besoin.