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Issiaka Guira (DAE) : « notre enjeu est un alignement permanent entre politiques achats et IT »

Par Bertrand Lemaire | Le | Achat it

Issiaka Guira, sous-directeur de la politique et des stratégies achat à la DAE (Direction des achats de l’État), explique ici les stratégies et approches adoptées par l’État pour réaliser ses achats IT.

Issiaka Guira est sous-directeur de la politique et des stratégies achats à la DAE. - © Républik IT / B.L.
Issiaka Guira est sous-directeur de la politique et des stratégies achats à la DAE. - © Républik IT / B.L.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la DAE (Direction des achats de l’État) ?

Comme son nom l’indique, la Direction des achats de l’État est une « direction achats groupe » pour l’ensemble des ministères. Son périmètre concerne bien tous les achats sauf ce qui relève de la défense et de la sécurité, du stylo-bille à l’immobilier en passant par des véhicules ou des prestations de services.

Son rattachement varie selon les gouvernements. Sous le gouvernement Barnier, elle était rattachée au Ministère du Budget et des Comptes Publics, auparavant au Ministère de l’Economie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique. Concernant l’aspect RSE des achats de l’État, la DAE travaille en étroites relations avec le ministère de l’Ecologie.

Outre deux départements support, la DAE comporte deux grandes sous-directions métiers : la sous-direction de la politique et des stratégies achat (que je dirige) et la sous-direction de la modernisation des achats.

La sous-direction de la politique et des stratégies achat s’occupe de la mise en place de stratégies d’achats, ce qui passe notamment par la mise en place d’accords cadres que les différents ministères vont pouvoir utiliser dans leurs propres achats. Nous pouvons également nous appuyer sur des ministères ou des centrales d’achats comme l’UGAP. Nous disposons d’une trentaine d’acheteurs sectoriels.

La sous-direction de la modernisation des achats réunit des experts thématiques : RSE, innovation, PME… Elle appuie les ministères dans leurs achats. Elle pilote les SI utilisés par les acheteurs, comme Place (la plateforme des marchés publics), ApPach (programmation…), Approch (sourcing amont)…

Pour les achats IT, comment procédez-vous et collaborez-vous avec les autres directions concernées (DINUM, ANSSI…) ?

Chacune de ces directions a des missions définies dans un décret constitutif.

La DAE a, dans ses missions, la politique d’achats. Mais les stratégies sont définies au cours d’un travail interministériel au travers d’« équipes segments » où chaque ministère est représenté. L’animation de ces équipes est faite par un acheteur de la DAE. La DINUM et, autant que besoin, l’ANSSI participent aux travaux. Le Comité des Achats de l’État valide les décisions prises. Les représentants des ministères peuvent être le DNum ou un acheteur.

La DINUM, sous l’autorité du Premier Ministre, définit la stratégie numérique de l’État. Sa gouvernance est similaire à la nôtre. Nous sommes en parfaite symbiose au sein de comités pour aligner nos positions : les politiques IT prennent en compte les politiques achats et vice-versa. La DAE est associée à la création de la feuille de route de la DINUM.

L’intrication est aussi, en retour, dans le fait que la DAE prend en compte les référentiels et normes de la DINUM et de l’ANSSI pour ses cahiers des charges (RGA, RGS, etc.). Malgré le fait que le décret constitutif ne le prévoit pas, la DAE peut aussi contribuer au contrôle des grands projets par la DINUM pour l’aspect achats. Nous consultons aussi l’ANSSI en tant qu’experts sur les projets sensibles et nous menons un travail en commun pour la montée en compétences des acheteurs de l’Etat sur la sécurité des systèmes d’informations.

Chacun doit contribuer aux travaux de l’autre.

Notre enjeu est un alignement permanent entre politiques achats et IT.

Quels sont vos grands choix techniques, en particulier en lien avec la stratégie « Cloud au centre » ?

Nous avons une politique très claire de pouvoir assurer la protection des données, ce qui est un point essentiel dans la stratégie « Cloud au centre ». Selon la sensibilité des données, il y a trois cercles concentriques. Le cloud C1 concerne les intérêts vitaux de l’État, ce qui implique une protection maximale et donc un hébergement interne, souverain et étanche. Avec le cloud C2, on peut recourir à de l’externe SecNumCloud. C3, enfin, correspond à des données de moindre sensibilité et on peut élargir le cercle des hébergeurs admis.

Le rôle de la DAE est de fournir des contrats pour les politiques de consommation en tenant compte des recommandations de la DINUM, tout comme des autres recommandations (impact environnemental, etc.).

Pour C1, nous achetons des capacités à faire un cloud souverain : du matériel, des logiciels, etc. Par exemple, nous avons un marché interministériel concernant les serveurs de puissance X86 qui ont des configurations puissantes tout en respectant des normes environnementales élevées. De tels marchés de mutualisation interministérielle visent à faire jouer l’effet de volume pour diminuer le prix. Pour C3, nous avons travaillé avec l’UGAP qui référence des prestations informatiques.

Le contexte général est celui de la transformation avec un recours au cloud en réflexe. Notre sujet, à la DAE, est de faciliter les achats nécessaires dans de bonnes conditions.

Les règles des Marchés Publics protègent-elles des mauvaises pratiques d’acteurs dominants transnationaux, américains notamment ?

Notre stratégie d’achats se met en œuvre au travers de marchés publics soumis à la réglementation européenne ainsi qu’au Code de la commande publique. Plusieurs principes sont ainsi fixés. Le premier est la liberté d’accès aux marchés publics, ce qui permet un maximum de concurrence. Malgré quelques réserves (par exemple : exclusion de sociétés qui ne sont pas en règle au regard de leurs obligations fiscales), tout opérateur peut candidater. Le deuxième est la stricte égalité de traitement des candidats. Enfin, le troisième principe est celui de la transparence. Les procédures sont transparentes et accessibles à tous. Nous ne pouvons donc pas limiter la capacité d’acteurs américains à répondre ou à gagner un appel d’offres.

Mais nous édictons les besoins ! Par exemple, la DINUM a édicté comme règle, dans certains cas, de recourir à un cloud certifié SecNumCloud. Parmi les besoins, il y a le strict respect des exigences de sécurité et de la réglementation.

Le seul sujet est donc la réponse aux besoins édictés, pas la nationalité du répondant.

Comment vous protégez-vous des changements brutaux de politique commerciale des fournisseurs IT ?

Au-delà de cas comme le rachat de VMware, les modèles d’affaires des prestataires changent, notamment avec la migration du mode licence à un mode locatif. L’État, tout comme le secteur privé, doit s’adapter avec les outils classiques de l’acheteur. Nous avons les mêmes outils de performance que le privé.

Le premier sujet est la diversification des pratiques. Ce volet est piloté par la DINUM. Il s’agit de promouvoir des solutions alternatives, comme les logiciels libres notamment, pour baisser la dépendance aux fournisseurs dominants. Nous menons également une négociation classique avec les fournisseurs et nous essayons d’optimiser l’expression des besoins pour profiter au mieux des offres fournisseurs. Nous avons d’ailleurs un accord cadre général sur l’expertise et le support en matière de logiciels libres.

Comme vous voyez, tout cela est très classique : diversifier, négocier, développer des alternatives…

Comment procédez-vous à des achats IT respectueux d’objectifs RSE ?

Notre stratégie achat IT s’appuie sur la politique générale d’achat, notamment la promotion de l’économie circulaire, le développement des considérations environnementales et sociales, etc. La circulaire du 21 novembre 2023 portant engagement pour la transition écologique de l’État amène de fortes ambitions sur la réduction de l’empreinte CO².

Le Secrétariat Général à la Planification Ecologique pose le cadre général au niveau de l’Etat et le ministère de la transition écologique pilote opérationnellement le sujet.

La DAE contribue dans son rôle d’acheteur et d’appui aux ministères. Le Plan National des Achats Durables implique que tout marché public doit comporter au moins un engagement RSE à partir de 2025. La loi Climat et résilience entraîne plusieurs engagements, des critères de sélection des offres et des conditions d’exécution, à partir de 2026.

Le critère environnemental devra être obligatoire au 1er août 2026 mais l’ambition de la DAE est d’adopter cette règle, pour ses propres marchés, dès janvier 2025.

La promotion de l’économie circulaire doit devenir un réflexe : postes de travail reconditionnés, réparation de terminaux… Pour augmenter la durée de vie des PC, nous envisageons de conclure des marchés de réparation au-delà de la garantie constructeur. La DAE met en place des fiches outils pour aider les acheteurs ministériels pour des marchés qui ne sont pas interministériels.

Quels sont vos grands défis pour 2025 au-delà de l’instabilité gouvernementale ?

La politique des achats comporte des constantes dans le temps. Notre défi est donc la performance économique dans un cadre budgétaire contraint. Il est demandé aux acheteurs de faire des économies et donc de renégocier les tarifs. Par exemple, récemment, dans un marché d’achat de postes de travail commun avec l’UGAP, nous avons eu recours à des enchères inversées. Mais, en amont, il est nécessaire d’homogénéiser les besoins pour massifier les achats.

Un autre défi, nous l’avons vu, est de « faire plus vert ».

Et nous devons aussi soutenir l’innovation et prêter attention à l’impact des achats sur les filières françaises ou européennes. Nous devons donc donner des outils aux acheteurs publics pour capter l’innovation, notamment des formations. Dans le cadre du programme « Je choisis la French Tech », nous avons défini en 2023 un objectif de doublement des commandes aux start-ups d’ici 2027. Nous organisons donc des rencontres entre acheteurs et acteurs de la French Tech autour de sujets comme l’IA, la cybersécurité ou l’immobilier (BIM…). Un premier bilan tiré en mai 2024 a été positif, ce qui nous incite à poursuivre. Rappelons que les achats d’innovations sous 100 000 euros peuvent être réalisés en commande directe.

Podcast - Comment l’État négocie avec les fournisseurs IT dominants

La Direction des achats de l’État (DAE) travaille avec l’ensemble des ministères, en collaboration avec d’autres grandes directions interministérielles (DINUM, ANSSI…), pour couvrir les besoins mutualisables, notamment en matière d’IT. Issiaka Guira, sous-directeur de la politique et des stratégies achat à la DAE, revient ici sur les approches adoptées à l’égard de grands fournisseurs transnationaux dominants.